Intérieur, Thomas Clerc
Intérieur, Gallimard l’arbalète, Juin 2013, 386 pages, 22,90 €
Ecrivain(s): Thomas Clerc Edition: Gallimard
Conseil : ne pas laisser traîner ce livre, n’importe où, exposé à l’œil curieux de vos visiteurs… le risque serait trop grand de la salve des « quoi !!! c’est fou ce bouquin ? Tu appelles ça comment ? de la littérature !! »… et d’accompagner le commentaire de rires qui vous moqueront encore, la nuit tombée.
Cet Intérieur est effectivement fou, parfaitement inimaginable, et totalement littéraire. Une sorte d’épice nouvelle jamais goûtée et définitivement adoptée.
Explication qui vaut baptême : l’auteur « a passé ses premiers mois rue de Lille, et se souvient d’avoir entendu, bébé, les plaintes des analysants de Jacques Lacan, dont le cabinet était proche, puis d’avoir habité plus tard rue de Quatrefages, où il reçut les voix de Georges Perec, et de ses Choses, avant d’aménager le 11 Septembre 2001 dans son intérieur… ». 50 m2, rue du Faubourg Saint Martin, et presque 400 pages de… visite ? certainement pas, plutôt de parcours initiatique dans le chez lui de Thomas Clerc. « Autobiographie d’une maison », nous est-il dit.
Gigantesque – et microscopique, à la fois (mélange subtil du traitement des espaces) –, radiographie de tout ce qui construit, meuble, décore chaque recoin du château. On se croirait, par moments, dans ce film déjà ancien qui nous immergeait dans l’intérieur du corps humain, glissant dans la trachée, arrivant, au bord du cœur, avec le fracas du Niagara… Aucune explication savamment étayée ne manque sur les matériaux, les couleurs, et autres imperfections des toilettes « fort exiguës, taillées pour un petit gabarit qui serait en mode vestimentaire, un 36 ou un 38 ». Rien ne nous est épargné, côté cuisine, du « couteau à viande, la seule présence quelques fois par an d’1 rosbif le réveille de sa torpeur », et un délire comparatif autour des presse-agrumes donne le « la » du livre : « il y a pour chaque objet une sorte d’anti frère, de contre modèle réussi ou raté, comme ce livre est la reprise sur dimensionnée du – voyage autour de ma chambre. Je suis 1 anti-Xavier de Maistre ».
Et la drôle de promenade de continuer, du coin bureau au salon et son canapé-lit, mais jamais ouvert, de cette mini bibliothèque, et ses 39 Que sais-je, « qui s’explique par ma conception de la littérature, chargée d’exprimer la totalité du moi-monde »… Un humour, peut-être british, teinté d’amour un rien maniaque des choses, traverse les pages découpées comme un catalogue Leroy Merlin (tiroir central – corbeille – Napoléon chez soi…). On rit vraiment ! « le moment où je dois procéder à l’échange d’éponge usée est solennel ; je place la neuve et l’ancienne côte à côte, et j’observe mes pulsions eugénistes refaire surface ». Parti pris hautement signifiant, sonnant l’importance du quantitatif ; les chiffres sont posés, mais jamais écrits ; 1 n’est pas un, ici. Il a par ailleurs « de l’estime pour son four… et le compotier est sa version personnelle du combat historique entre forme et couleur ».
Mais, naviguer dans le corps secret du chez soi, ouvre-t-il, ou, masque-t-il le bonhomme ? Sort-on au moins – diront quelques esprits chagrins – de ce déjà gros livre, en connaissant le propriétaire ? Bref, ces murs et ces choses ont-ils une âme ?
Il semble que oui : l’homme est encore jeune, une compagne invisible – seuls bruissent à peine quelques bris d’objets féminins ; enseigne – copies en vue dans un porte documents, écrit (large bureau et son ordi – le Mac des intellos). De temps à autre, on « sonne », il ne répond jamais à ce signal de l’extérieur. Hypocondriaque, adepte déclaré de la Citrate de Bétaïne. Un père et surtout un grand-père ami des objets traversent les pages. Peu cuisinier, amateur de vins, campant sur des principes intangibles : « j’ai dit adieu au beurre, au sucre, au sel, aux œufs, à la charcuterie et au Nutella, comme en matière artistique et littéraire, je ne digère pas les nourritures infâmes, le Coelho, le Chagall, la Katherine Pancol »… S’inquiète de son lecteur : « mon regret serait qu’en le lisant, ce livre ne lui fasse ni chaud, ni froid ».
Admet, surtout, comme en passant – on s’en serait douté – que « le déménagement est le grand rêve de ce texte ».
Mieux vaut donc ne pas dévoiler la fin, Hitchcockienne, du périple ; on sonne encore… sortira ? ou pas ??
Martine L Petauton
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