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Histoire de la Révolution française Tomes I, II, Michelet en la Pléiade (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché le 10.04.19 dans La Une CED, La Une Livres, La Pléiade Gallimard, Les Chroniques, Les Livres, Critiques, Histoire

Histoire de la Révolution française Tomes I, II, Michelet, Gallimard La Pléiade, février 2019, direction de Paule Petitier, 1500 pages, 62,50 € le volume jusqu’au 31/12/2019

Histoire de la Révolution française Tomes I, II, Michelet en la Pléiade (par Philippe Chauché)

 

« L’historien vise d’abord à ressusciter la Révolution telle qu’en elle-même, dans ses accomplissements et ses prophéties. Il s’agit, en débarrassant le moment révolutionnaire de toutes les scories qui le recouvrent, d’en rendre sensible l’esprit vivant », Paule Petitier, Introduction.

« Du prêtre au roi, de l’Inquisition à la Bastille, le chemin est direct, mais long. Sainte, sainte Révolution, que vous tardez à venir !… Moi qui vous attendais depuis mille ans, sur le sillon du Moyen Âge, quoi ! je vous attends encore ?…

Oh ! que le temps va lentement, oh ! que j’ai compté les heures !… Arriverez-vous jamais ? », Michelet, Introduction, Tome 1er, 2è partie.

Le rideau se lève : nous sommes en avril 1789, la convention des Etats Généraux appela le peuple tout entier à l’exercice de ses droits. Il peut du moins écrire ses plaintes, ses vœux, élire les électeurs.

Acte premier, de ce que sera la Révolution française, cette pièce fondatrice de l’Histoire de France. L’historien écrivain suivra alors, au jour le jour, cette effusion, cette déflagration, ces aventures humaines, ce Roman unique. Une histoire singulière qui ne cessera d’inspirer historiens et révolutionnaires, poètes et romanciers, peintres et musiciens. Il y aura des insurrections, la prise de la Bastille – La Bastille ne fut pas prise, il faut le dire, elle se livra. Sa mauvaise conscience la troubla, la rendit folle et lui fit perdre l’esprit –, mais aussi la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen – Il s’agissait de donner d’en haut, en vertu d’une autorité souveraine, impériale, pontificale, le Credo du nouvel âge… –, la suppression de la dîme, des résistances qui s’organisent, le Midi qui s’enflamme – C’est comme pour ces houillères qui brûlent dans l’Aveyron. Le feu n’est pas à la surface. Mais, dans ce gazon jauni, si vous enfoncez un bâton, il prend feu, il révèle l’enfer qui dort sous ses pieds –, puis entre tensions, trahisons et révoltes, s’ouvre l’année 1790, celle de l’unité de la patrie. Cette aventure historique se déroule sous nos yeux, chaque jour nouvelle, surprenante, étourdissante, éblouissante, effrayante, Michelet, s’y glisse et la fait sienne, l’admire et ne l’épargne pas.

« Une sombre carrière commence d’ici ; nous nous sommes assis un moment sur cette pierre de douleur qui marque l’effrayante entrée. Ceci est la porte d’enfer, la porte sanglante. La voilà maintenant ouverte, et le monde y passera », Massacre de la Glacière à Avignon, octobre 1791.

« Chaque jour, la Commune envoyait de nouveaux municipaux au Temple. Chaque jour, toutes les vingt-quatre heures, un nouveau détachement de gardes nationaux en relevait les postes intérieurs et extérieurs. Ces gens arrivaient, la plupart, fort contraires au Roi, pleins de la passion du temps, l’outrage à la bouche. Comment sortaient-ils le lendemain ? Tout autres, entièrement changés. Beaucoup arrivaient jacobins, et revenaient royalistes », Le Roi au Temple.

« Votre nom ? votre âge ? votre demeure ? – Je suis Danton ; j’ai trente-cinq ans. Ma demeure sera demain le néant ; mon nom restera au panthéon de l’histoire ».

« Et moi, Camille Desmoulins ; trente-trois ans ; l’âge du sans-culotte Jésus », Procès de Danton.

L’histoire de la Révolution française est aussi celle de ceux qui la conduisent, la préservent, l’égarent, la trahissent, de ceux qui la subissent, qui la font vivre et qui la font mourir sur l’échafaud. Leurs noms gardent la mémoire de ces instants devenus fondateurs, et ils gardent en mémoire ces jours qui firent trembler l’Europe et la France, ces nuits où des vies se jouaient et où des sorts étaient jetés dans le torrent de l’Histoire, la mémoire vive des hommes et des femmes abandonnés à la vindicte populaire. Ce sont des noms et des visages qui, sous la plume de Michelet, ont à jamais une présence unique. Le livre leur donne l’immortalité de l’Histoire. Ils s’avancent et saluent : Malesherbes – Une chose, parmi tant de services rendus au pays, rendait cet homme sacré, c’est que, sans lui, ni l’Emile, ni L’Encyclopédie, ni la plupart des grands ouvrages du XVIIIe siècle n’auraient pu paraître –, le Roi – Il leva les yeux au ciel, ne résista plus : Faites ce que vous voudrez, dit-il, je boirai le calice jusqu’à la lie–, la Reine, Danton, Saint-Just, Robespierre – Le sujet le plus tragique que l’histoire nous offre, c’est certainement Robespierre. Mais c’est aussi le plus comique. Shakespeare n’a rien de pareil –, Marat, Marie-Charlotte Corday – Que haïssez-vous en lui ? – Ses crimes. Qu’entendez-vous par là ? – Les ravages de la France –, Anacharsis Cloots, Condorcet – Ayant réfugié son âme dans le bonheur à venir du genre humain, dans ses espérances infinies, sauvé par le salut futur, Condorcet, le 6 avril, la dernière ligne achevée, enfonça son bonnet de laine, et dans sa veste d’ouvrier, franchit au matin le seuil de la bonne Mme Vernet –, ceux de la Commune, de la Montagne, de la Gironde, ceux de Vendée, du Languedoc, d’Avignon, du Temple et de Paris. Michelet saisit et se saisit de leurs regards, des mots et des phrases, des hontes et des peurs, de la folie de certains, de la sagesse d’autres, des pleutres, des traîtres et des héros. Il épouse le mouvement des situations, conte le courage insensé qui les irradie, lorsqu’ils affrontent leurs accusateurs, répliquent à la Terreur, montent à l’échafaud. Jamais peut-être le destin déchiré et déchirant de la France, ces années qui s’ouvrirent sur un avenir commun ne furent si finement, si fidèlement transcrites, si glorieusement écrites, dans le sang et la fureur. Si la Révolution avait parfois du style, Michelet, s’en faisant l’historien, en est admirablement nourri. Cette romance Révolutionnaire attendait un historien qui se savait écrivain, et un écrivain qui savait ce que l’historien, mis au défi de raconter ces temps troublés et troublants. L’Histoire de la Révolution française est une Odyssée admirable, Homère a le visage, et la plume légère et acérée de Jules Michelet, l’ami de la Liberté et des Lettres.

 

Philippe Chauché

 

De Jules Michelet on peut aussi lire La Sorcière (Champs Classiques), Histoire de France (Champs Classiques), Le Journal (Classique Folio), Le Peuple (Flammarion). Roland Barthes signera un Michelet par lui-même (Le Seuil). Né à Paris en 1798, il est mort à Hyères en 1874.

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A propos du rédacteur

Philippe Chauché

 

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Rédacteur

Domaines de prédilection : littérature française, espagnole, du Liban et d'Israël

Genres : romans, romans noirs, cahiers dessinés, revues littéraires, essais

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Minuit, Seuil, Grasset, Louise Bottu, Quidam, L'Atelier contemporain, Tinbad, Rivages

 

Philippe Chauché est né en Gascogne, il vit et écrit à St-Saturnin-les-Avignon. Journaliste à Radio France durant 32 ans. Il a collaboré à « Pourquoi ils vont voir des corridas » (Editions Atlantica), et récemment " En avant la chronique " (Editions Louise Bottu) reprenant des chroniques parues dans La Cause Littéraire.

Il publie également quelques petites choses sur son blog : http://chauchecrit.blogspot.com