Histoire d’un chien mapuche, Luis Sepúlveda (par Christelle d'Hérart-Brocard)
Histoire d’un chien mapuche, octobre 2018, trad. De l’espagnol (Chili) Anne Marie Métailié, dessins Joëlle Jolivet, 98 pages, 7 €
Ecrivain(s): Luis Sepulveda Edition: MétailiéIl n’en a pas toujours été ainsi mais aujourd’hui, force est de constater que le roman représente un, sinon le genre prééminent dans le paysage littéraire. Faut-il pour autant bouder les autres genres, ceux dits mineurs, tels que la nouvelle, le conte ou encore la poésie ? C’est une question ouverte qu’il serait intéressant de poser à Luis Sepúlveda, ce conteur si talentueux qu’il serait bien capable d’attendrir les âmes les plus endurcies. Histoire d’un chien mapuche fait partie de ces contes merveilleux abolissant naturellement les frontières entre le réel et l’imaginaire sans toutefois verser dans l’écueil d’une littérature dite de jeunesse, tout à fait méritoire, certes, mais qui, comme son nom l’indique, ne serait destinée qu’à un jeune lectorat. Aussi les adultes y trouveront-ils également leur compte, et quel conte !
Le narrateur est un animal, un chien nommé Afmau. D’abord recueilli par Nawel, le jaguar, il est ensuite adopté par les Mapuches, une communauté d’hommes, avec laquelle il vit des jours heureux. Mais Wenchulaf, le chef indien de cette communauté, est tué par des hommes blancs et son clan logiquement chassé du territoire. Capturé par les assaillants, Afmau perd son nom propre et devient « le chien ».
Affamé, fouetté, martyrisé par ses nouveaux maîtres, il doit guider ces derniers sur la trace des Indiens en fuite cachés dans la forêt, et parmi eux, Aukaman, son frère mapuche, le fils de Wenchulaf. Seulement Afmau a gardé la mémoire de son nom et possède un esprit à la fois vif, ingénieux et loyal. Au péril de sa vie, il saura donc rendre justice aux Gens de la Terre.
Afmau aurait pu être un homme, un héros plus traditionnel. Sa conscience et le discours intérieur qu’il nous livre relèvent de la psychologie humaine. Les personnages qu’il croise et dont il rapporte faits et gestes de manière factuelle, instinctive et économe, incarnent une version exemplaire de la société humaine dans son appareil le plus sobre, mais le plus essentiel. Nul besoin, en effet, de grands développements pour exprimer relations et sentiments humains les plus élémentaires : amour, amitié, haine, peur, crainte, bravoure, loyauté… Tout y est sans être nommé. Tout y figure par le rayonnement sémantique que chaque terme, judicieusement choisi, instille dans le récit.
Le bien et le mal, la justice et l’injustice n’apparaissent pas dans une logique manichéenne mais sont subtilement interrogés par le biais du conte merveilleux qui, en créant de facto l’éloignement par l’invraisemblance, invite subrepticement le lecteur à une réflexion distanciée et donc plus objective sur les ressorts de l’action humaine dans son rapport à la nature.
Rapporter l’essentiel en peu de mots n’est pas un exercice aisé et tout l’art de Luis Sepúlveda consiste à raboter, élaguer, délester la phrase de ses fioritures et redondances afin de ramener l’intrigue à son substrat, sans appauvrir ou étriquer l’histoire mais, bien au contraire, en l’incitant à s’épanouir et à prendre toute son ampleur dans l’imaginaire du lecteur « hors les mots ». L’enfant lisant est sans doute capable d’une telle prouesse. Sachons gré à Luis Sepúlveda et à sa traductrice, Anne-Marie Métailié, de permettre aux adultes que nous sommes de retrouver, le temps d’un conte, notre candeur et notre habileté d’enfant.
Christelle d’Hérart-Brocard
Cette critique est la troisième publiée sur ce livre. Lire les deux autres.
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