Identification

Hemingway, Hammett, dernière, mélodrame, Gérard Guégan

Ecrit par Philippe Chauché 08.04.17 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Gallimard

Hemingway, Hammett, dernière, mélodrame, mars 2017, 240 pages, 18 €

Ecrivain(s): Gérard Guégan Edition: Gallimard

Hemingway, Hammett, dernière, mélodrame, Gérard Guégan

 

« Avec le temps, c’est devenu un réflexe : lorsque Hemingway se prépare à affronter l’inconnu, il ne se libère de ses angoisses qu’en bâtissant une fiction dans laquelle les dès roulent en sa faveur. Il appelle ces moments-là des Ballades avec un autre soi-même ».

Deux écrivains, deux anciens compagnons de route du Parti Communiste, l’un sur tous les fronts où se vérifie l’art de la vie et du roman – l’Espagne en guerre sociale, l’Italie, les armes, les taureaux et les femmes, l’Afrique, Paris et les peintres, autant de théâtres des opérations –, l’autre signe le plus beau braquage de l’histoire du roman noir, flirte avec la nuit, l’alcool, un Faucon Maltais et Hollywood. Deux compagnons écrivains, détestés par McCarthy et sa clique, suivis de près par le FBI, deux frères d’armes qui se sont perdus de vue, fâchés, séparés par des mots, et un océan. Et puis Hemingway décide un jour de quitter son repaire dans les Rocheuses pour tenter de retrouver son vieil ami, le temps presse se dit-il, alors le vieil homme se lance dans une nouvelle aventure.

Il traverse l’Amérique et échoue dans un taxi que conduit Geena, une jeune femme noire, pour le moins troublante. Le mélodrame est annoncé et amorcé, le roman se dessine, nourri des concordances du temps et des télescopages. En trois dialogues et deux situations, nous sommes à la fois au cœur d’un roman d’Hemingway et d’une histoire de Sam Spade signée Hammett, force des dialogues, vivacité des situations, roman inspiré, visité, électrique comme dans une scène de North by Northwest d’Alfred Hitchcock. D’autres personnages s’inviteront, un cinéaste et son fils, Dorothy Parker, un agent du FBI, et l’ombre permanente du sinistre Edgar Hoover.

« Ses soûleries à répétition, son donjuanisme effréné, son goût des femmes à la dérive et sa fréquentation des bas-fonds n’étaient pas séparables de ses livres, de ses pensées et de ses activités politiques ».

Deux écrivains, saisis par instants de remords, à chacun son remords, à chacun ses morts, dont la rencontre hautement littéraire fait advenir l’histoire politique du siècle passé, Moscou, Staline, l’Espagne en guerre et en révolution(s), le POUM, mais aussi le FBI, la révolte armée des noirs, la traque de compagnons de route des communistes américains, mais aussi Drieu dont l’ombre dramatique se pose sur ce mélodrame. Ce roman est l’histoire de ces deux écrivains au pied du volcan américain, sous le regard et la plume vive et libre d’un autre écrivain, Gérard Guégan.

« On ne devient écrivain qu’avec le concours de ses oreilles. Si vous savez écouter, vous saurez trouver les mots justes ».

Trois écrivains qui savent écouter, et donc écrire et lire, et pour l’un éditer. Ils écoutent du jazz, le cliquetis des machines à écrire, le silence des arènes, les clubs, la rue, les balles des franquistes, et tant et tant d’écrivains, Flaubert, Stendhal, Aragon, Drieu, des russes et des américains. Deux américains et un français tout aussi présents à la langue et à sa musique, deux langues pour trois styles. L’oreille fine, attentif et témoin actif des années de révoltes. Paris Mai, et ses passions, Paris Mai et ses révoltés. Paris Mai, et l’art du dialogue, cette mèche lente qui enflamme le roman. Paris Mai et cette manière unique de conduire un récit, par touches vives et précises, frapper juste et frapper fort bien ancré sur ses phrases, le roman comme art martial. Hemingway, Hammett, dernière, est un éblouissant roman, un fascinant tête à tête, un corps à corps, un mano a mano entre Hammett et Hemingway. Les deux géants ont encore un roman à écrire, et ce sera d’évidence le dernier, il fallait qu’avant que tout ne s’effondre, en 1961, un cancer pour l’un, un suicide pour l’autre, qu’ils se revoient une dernière fois, et ce roman est celui de cette dernière fois.

 

Philippe Chauché

 


  • Vu : 6091

Réseaux Sociaux

A propos de l'écrivain

Gérard Guégan

 

Gérard Guégan, journaliste, éditeur, romancier, trois passions qui l’ont accompagné depuis près de cinquante ans, il a créé les éditions Champ Libre avec Gérard Lebovici et Alain Le Saux, où il publie son premier roman La Rage au Cœur, il y dirige la collection Chute Libre. S’il faut retenir des livres, retenons La vie est un voyage (Christian Bourgois), La Demi-sœur (Grasset), Les Irrégulières (Flammarion), Appelle-moi Stendhal, Qui dira la souffrance d’Aragon (Stock).

 

A propos du rédacteur

Philippe Chauché

 

Lire tous les articles de Philippe Chauché

 

Rédacteur

Domaines de prédilection : littérature française, espagnole, du Liban et d'Israël

Genres : romans, romans noirs, cahiers dessinés, revues littéraires, essais

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Minuit, Seuil, Grasset, Louise Bottu, Quidam, L'Atelier contemporain, Tinbad, Rivages

 

Philippe Chauché est né en Gascogne, il vit et écrit à St-Saturnin-les-Avignon. Journaliste à Radio France durant 32 ans. Il a collaboré à « Pourquoi ils vont voir des corridas » (Editions Atlantica), et récemment " En avant la chronique " (Editions Louise Bottu) reprenant des chroniques parues dans La Cause Littéraire.

Il publie également quelques petites choses sur son blog : http://chauchecrit.blogspot.com