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Géographie des baleines, Manuèle Peyrol

Ecrit par Stéphane Bret 27.11.12 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Roman

Géographie des baleines, Editions De Fallois, octobre 2012, 248 p. 18 €

Ecrivain(s): Manuèle Peyrol

Géographie des baleines, Manuèle Peyrol

L’enfance rend-elle imperméable aux mensonges et aux faux-semblants des adultes ? Selon Manuèle Peyrol, la réponse pourrait être positive si l’on est, comme le principal personnage de son roman, Marie, dotée d’une lucidité à toute épreuve et d’une perspicacité hors norme.

Marie est âgée de cinq ans en 1940. Elle demeure dans un appartement bourgeois avec vue sur le port d’Oran. Tout pourrait se passer très normalement à ceci près que Marie a, déjà, décelé dans l’attitude des adultes un côté ridicule qui la conduit à assimiler ces derniers à des baleines, en raison de la perception de leur taille, aussi démesurée que celles des vraies baleines.

Des échos de conversation tenues entre ses parents parviennent aux oreilles de Marie, des bribes de phrases captées dans les propos des habitants de son immeuble qui semblent se présenter comme des échantillons représentatifs de la société coloniale de l’époque : la « dame russe », ainsi que l’appelle Marie, en raison de son origine russe blanche, monsieur Pinchina, élégant, urbain, cultivant le raffinement, dont on apprend la judéité, la concierge Madame Visconti, la servante Amina, qui va conduire avec Marie quelques dialogues piquants sur les « Indigènes » et la transformation de l’Algérie : « Ils disent que c’est la France mais nous ne sommes pas des Français. Eux sont chez eux, et nous aussi nous sommes chez eux, même si nous sommes chez nous… »

L’école, le cours Fénelon, que fréquente Marie, est aussi un révélateur pour elle ; elle y exerce une acuité d’observation, une capacité d’assimiler les savoirs et les situations peu communes pour son âge, qui conduisent la directrice de ce Cours Fénelon à lui faire sauter une classe. Ce franchissement accéléré de son parcours scolaire la fait se lier à Bonbon, copine de classe complice de ses rêveries et surtout à Sarah, qui quitte le cours, par suite de l’adoption des lois anti-juives vichystes. On est en 1940, et Marie ne se remettra jamais vraiment du départ de Sarah vers l’exil : « Et plus de Dieu, plus d’ange, plus de Sarah pour la sortir de là ? Sarah dispensée de catéchisme parce que les Juifs ne croyaient pas en Dieu (…) Sarah si lointaine… Sarah qu’elle ne reverrait jamais peut-être si les bombes continuaient à tomber sur Londres. Ensemble, elles auraient trouvé un sens au grand déménagement des étoiles ».

Le cours des événements qui se succèdent, poursuite de la guerre, bombardement de l’Afrique du Nord par les Alliés en 1942 avant leur débarquement, le sabordage de la flotte française tout près d’Oran, dans le port de Mers-el-Kébir, le départ de certains vers le front d’Italie, tout cela, la grande histoire, est vécu par Marie à travers son regard d’enfant : les personnes de son quartier aux abris pendant les alertes aériennes, les confidence d’Amina, lui relatant la participation de membres de sa famille à la bataille de Monte Cassino.

En 1945, au mois de mai, elle surprend son père en train de se répandre en propos véhéments et indignés, condamnant la répression qui vient de commencer à Sétif après l’apparition de drapeaux verts (le futur drapeau du FLN), et comprend que l’événement est gravissime.

Ce roman souligne à merveille la puissance du regard d’une enfant, qui, à l’âge de jouer à la marelle ou à la poupée, déteste les mensonges du monde adulte, sa cruauté, sa folie. L’histoire et l’intimisme s’y rejoignent par une confluence fructueuse augmentant l’intérêt que l’on éprouve à la lecture de ce beau roman.

 

Stéphane Bret


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A propos de l'écrivain

Manuèle Peyrol

 

Auteure dans les années 70 de plusieurs romans salués par la critique, dont Journal d’une mère indigne, Manuèle Peyrol fait son retour en littérature avec ce voyage dur, drôle, émouvant, à travers son enfance.

 

A propos du rédacteur

Stéphane Bret

 

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63 ans, réside actuellement à Boulogne-Billancourt, et s’intéresse de longue date à beaucoup  de domaines de la vie culturelle, dont bien sûr la littérature.

Auteurs favoris : Virginia Woolf, Thomas Mann, Joseph Conrad, William Faulkner, Aragon, Drieu La Rochelle, et bien d’autres impossibles à mentionner intégralement.

Centres d’intérêt : Littérature, cinéma, théâtre, expositions (peintures, photographies), voyages.

Orientations : la réhabilitation du rôle du savoir comme vecteur d’émancipation, de la culture vraiment générale pour l’exercice du libre arbitre, la perpétuation de l’esprit critique comme source de liberté authentique."

 

REFERENCES EDITORIALES :

Quatre livres publiés :

POUR DES MILLIONS DE VOIX -EDITIONS MON PETIT EDITEUR 
LE VIADUC DE LA VIOLENCE -EDITIONS EDILIVRE A PARIS
AMERE MATURITE -EDITIONS DEDICACES 
L'EMBELLIE - EDITIONS EDILIVRE A PARIS