Fragments, Marilyn Monroe
Fragments, édité par Stanley Buchthal et Bernard Comment, traduit (USA) par Tiphaine Samoyault, postface de Antonio Tabucchi, 269 p. 12 €
Ecrivain(s): Marilyn Monroe Edition: Points
Fragments réunit les inédits de Marilyn Monroe, textes écrits entre 1943 et 1962. Le titre de l’ensemble est bien choisi, pour ce qui est de l’essentiel de l’ouvrage. Sont en effet photographiées et reproduites des notes écrites « çà et là », – puisqu’il s’agit tout aussi bien de feuillets arrachés, de billets, d’enveloppes ou encore de pages de répertoire. Et ces notes ont, la plupart du temps, une allure fragmentaire, semblant grignotées par le silence, le mépris de soi, la peur, grandissante, monstre de peur.
Car, si l’on peut se poser la question de l’intérêt qu’il y a à réunir ainsi des fragments et à leur donner la forme – fallacieuse eu égard à leur origine et à leur élan – du livre, cette question cesse aussitôt d’insuffler son rythme dans la conscience lorsque l’on prend en considération la façon qu’ont ces écrits, si lapidaires soient-ils, de jeter une lumière – forte, crue – sur la personnalité de Marilyn Monroe, ces fragments relevant « aussi bien de la confidence, de l’observation, de l’automotivation, de l’introspection que d’un volontarisme tantôt pratique et quotidien, tantôt disciplinaire ».
Les écrits – morceaux de basalte arrachés à une conscience pacifiée dynamitée – qui composentFragments montrent à quel point les névroses ont habité la lumière de Marilyn. Tellement forte qu’elle semble encore vivre au présent, sur les photographies que l’on a d’elle, et qui ne résultent pas de l’accomplissement d’une pose. C’est-à-dire sur les photographies capturant sans qu’elle le sache des instants de son élan enfantin, ouvert, clarté assourdissante, musicale clarté. Son élan tellement ouvert ; accueil sans contours. Et effarouché. Et ce, très profondément – jusque dans son rire, son sourire.
Mais l’intérêt majeur de cet ouvrage résulte en ceci : parmi ces notes se cachent d’authentiques et beaux poèmes. Vibrants, amenant une sincérité à trouver, dans les mots, les inflexions d’un cœur.
Intérêt tout à la fois esthétique et documentaire. Car certains de ces poèmes nous apportent un éclairage sur ce que fut la relation de Marilyn avec Arthur Miller (1915-2005), le dramaturge, écrivain et essayiste américain avec lequel se maria l’actrice le 29 juin 1956.
Le 14 juillet, le couple arrive à Londres, parce que doit s’y dérouler le tournage d’un film de Laurence Olivier (Le Prince et la Danseuse) auquel Marilyn prend part. Puis : Miller et Marilyn logent dans la luxueuse résidence de Parkside House, à Egham, près de Londres, dans le Surrey. Les instants – du moins certains d’entre eux – présentent au couple le visage sans fard du bonheur.
« Avoir ton cœur est
la seule chose parfaitement heureuse dont je sois fière (qui m’ait jamais appartenu)
que j’aie jamais possédée ainsi
la seule chose qui me soit jamais complètement arrivée ».
Seulement, voilà. « [U]n jour, Marilyn tombe sur le journal intime de son mari, laissé ouvert, et y découvre que le dramaturge est déçu par elle, qu’il a honte parfois de ses comportements, et qu’il doute de leur amour. Elle est bouleversée […] ».
Les poèmes qui suivent témoignent, sans qu’il soit besoin de les commenter, de ce bouleversement :
« Je pense que j’ai toujours été
profondément effrayée à l’idée d’être la femme
de quelqu’un
car j’ai appris de la vie
qu’on ne peut aimer l’autre,
jamais, vraiment ».
« Mon amour dort à côté de moi
dans la lumière pâle – je vois sa mâchoire d’homme
se relâcher – et il retrouve la bouche
de son enfance
avec une douceur plus douce
sa délicatesse frémissant
dans l’immobilité
ses yeux ont dû regarder avec émerveillement
l’extérieur depuis la grotte de son
enfance – quand les choses qu’il ne comprenait pas –
il les oubliait
et ressemblera-t-il à cela quand il sera mort
Ô réalité insupportable inévitable
mais préférerais-je qu’arrive d’abord la mort de son amour
ou la sienne propre ?
la souffrance de sa nostalgie lorsqu’il regarde
quelqu’un d’autre
comme une insatisfaction ressentie depuis
le jour de sa naissance
Et moi, ma détresse implacable
devant la souffrance de sa nostalgie –
lorsqu’il en regarde une autre et qu’il l’aime
comme une insatisfaction ressentie depuis
le jour de sa naissance
nous devons l’endurer
moi encore plus tristement car je ne puis ressentir aucune joie ».
Lire Fragments, c’est être amené à prendre la mesure de la véracité de cette confidence, arrachant le dernier vers à la sérénité du silence.
Matthieu Gosztola
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