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Fragments, Marilyn Monroe

Ecrit par Matthieu Gosztola 02.12.13 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Nouvelles, Poésie, USA, Points

Fragments, édité par Stanley Buchthal et Bernard Comment, traduit (USA) par Tiphaine Samoyault, postface de Antonio Tabucchi, 269 p. 12 €

Ecrivain(s): Marilyn Monroe Edition: Points

Fragments, Marilyn Monroe

 

Fragments réunit les inédits de Marilyn Monroe, textes écrits entre 1943 et 1962. Le titre de l’ensemble est bien choisi, pour ce qui est de l’essentiel de l’ouvrage. Sont en effet photographiées et reproduites des notes écrites « çà et là », – puisqu’il s’agit tout aussi bien de feuillets arrachés, de billets, d’enveloppes ou encore de pages de répertoire. Et ces notes ont, la plupart du temps, une allure fragmentaire, semblant grignotées par le silence, le mépris de soi, la peur, grandissante, monstre de peur.

Car, si l’on peut se poser la question de l’intérêt qu’il y a à réunir ainsi des fragments et à leur donner la forme – fallacieuse eu égard à leur origine et à leur élan – du livre, cette question cesse aussitôt d’insuffler son rythme dans la conscience lorsque l’on prend en considération la façon qu’ont ces écrits, si lapidaires soient-ils, de jeter une lumière – forte, crue – sur la personnalité de Marilyn Monroe, ces fragments relevant « aussi bien de la confidence, de l’observation, de l’automotivation, de l’introspection que d’un volontarisme tantôt pratique et quotidien, tantôt disciplinaire ».

Les écrits – morceaux de basalte arrachés à une conscience pacifiée dynamitée – qui composentFragments montrent à quel point les névroses ont habité la lumière de Marilyn. Tellement forte qu’elle semble encore vivre au présent, sur les photographies que l’on a d’elle, et qui ne résultent pas de l’accomplissement d’une pose. C’est-à-dire sur les photographies capturant sans qu’elle le sache des instants de son élan enfantin, ouvert, clarté assourdissante, musicale clarté. Son élan tellement ouvert ; accueil sans contours. Et effarouché. Et ce, très profondément – jusque dans son rire, son sourire.

Mais l’intérêt majeur de cet ouvrage résulte en ceci : parmi ces notes se cachent d’authentiques et beaux poèmes. Vibrants, amenant une sincérité à trouver, dans les mots, les inflexions d’un cœur.

Intérêt tout à la fois esthétique et documentaire. Car certains de ces poèmes nous apportent un éclairage sur ce que fut la relation de Marilyn avec Arthur Miller (1915-2005), le dramaturge, écrivain et essayiste américain avec lequel se maria l’actrice le 29 juin 1956.

Le 14 juillet, le couple arrive à Londres, parce que doit s’y dérouler le tournage d’un film de Laurence Olivier (Le Prince et la Danseuse) auquel Marilyn prend part. Puis : Miller et Marilyn logent dans la luxueuse résidence de Parkside House, à Egham, près de Londres, dans le Surrey. Les instants – du moins certains d’entre eux – présentent au couple le visage sans fard du bonheur.

« Avoir ton cœur est

la seule chose parfaitement heureuse dont je sois fière (qui m’ait jamais appartenu)

que j’aie jamais possédée ainsi

la seule chose qui me soit jamais complètement arrivée ».

Seulement, voilà. « [U]n jour, Marilyn tombe sur le journal intime de son mari, laissé ouvert, et y découvre que le dramaturge est déçu par elle, qu’il a honte parfois de ses comportements, et qu’il doute de leur amour. Elle est bouleversée […] ».

Les poèmes qui suivent témoignent, sans qu’il soit besoin de les commenter, de ce bouleversement :

 

« Je pense que j’ai toujours été

profondément effrayée à l’idée d’être la femme

de quelqu’un

car j’ai appris de la vie

qu’on ne peut aimer l’autre,

jamais, vraiment ».

 

« Mon amour dort à côté de moi

dans la lumière pâle – je vois sa mâchoire d’homme

se relâcher – et il retrouve la bouche

de son enfance

avec une douceur plus douce

sa délicatesse frémissant

dans l’immobilité

ses yeux ont dû regarder avec émerveillement

l’extérieur depuis la grotte de son

enfance – quand les choses qu’il ne comprenait pas –

il les oubliait

et ressemblera-t-il à cela quand il sera mort

Ô réalité insupportable inévitable

mais préférerais-je qu’arrive d’abord la mort de son amour

ou la sienne propre ?

la souffrance de sa nostalgie lorsqu’il regarde

quelqu’un d’autre

comme une insatisfaction ressentie depuis

le jour de sa naissance

 

Et moi, ma détresse implacable

devant la souffrance de sa nostalgie –

lorsqu’il en regarde une autre et qu’il l’aime

comme une insatisfaction ressentie depuis

le jour de sa naissance

nous devons l’endurer

moi encore plus tristement car je ne puis ressentir aucune joie ».

 

Lire Fragments, c’est être amené à prendre la mesure de la véracité de cette confidence, arrachant le dernier vers à la sérénité du silence.

 

Matthieu Gosztola

 


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A propos de l'écrivain

Marilyn Monroe

 

Marilyn Monroe, de son vrai nom Norma Jeane Mortenson ou Norma Jeane Baker comme indiqué sur son certificat de baptême, est une actrice et chanteuse américaine, née le 1er juin 1926 à Los Angeles (Californie) et morte le 5 août 1962 dans la même ville.

 

A propos du rédacteur

Matthieu Gosztola

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Rédacteur

Membre du comité de rédaction

 

Docteur en littérature française, Matthieu Gosztola a obtenu en 2007 le Prix des découvreurs. Une vingtaine d’ouvrages parus, parmi lesquels Débris de tuer, Rwanda, 1994 (Atelier de l’agneau), Recueil des caresses échangées entre Camille Claudel et Auguste Rodin (Éditions de l’Atlantique), Matière à respirer (Création et Recherche). Ces ouvrages sont des recueils de poèmes, des ensembles d’aphorismes, des proses, des essais. Par ailleurs, il a publié des articles et critiques dans les revues et sites Internet suivants : Acta fabula, CCP (Cahier Critique de Poésie), Europe, Histoires Littéraires, L’Étoile-Absinthe, La Cause littéraire, La Licorne, La Main millénaire, La Vie littéraire, Les Nouveaux Cahiers de la Comédie-Française, Poezibao, Recours au poème, remue.net, Terre à Ciel, Tutti magazine.

Pianiste de formation, photographe de l’infime, universitaire, spécialiste de la fin-de-siècle, il participe à des colloques internationaux et donne des lectures de poèmes en France et à l’étranger.

Site Internet : http://www.matthieugosztola.com