Femmes sans merci, Camilla Läckberg (par Sylvie Ferrando)
Femmes sans merci, juin 2020, trad. suédois, Rémi Cassaigne, 144 pages, 14,90 €
Trois femmes, trois destins croisés grâce à Internet. Comme dans tout roman policier bien conçu, c’est l’intrigue de Femmes sans merci qui tient le lecteur en haleine. Cette intrigue, construite sur la succession de brefs chapitres portant en titre le nom de l’une des trois héroïnes, remplit bien son rôle de page-turner.
Comme dans tout roman policier bien conçu, les personnages se font le miroir de problèmes sociétaux prégnants dans la société occidentale. Dans cet ouvrage, longue nouvelle ou novella plutôt que roman, c’est la violence conjugale qui est dénoncée, celle des hommes envers leurs femmes, parallèlement à l’éclosion du mouvement #MeToo. Trois destins de femmes, si marqués par l’humiliation ou les coups et l’emprise psychologique et/ou matérielle, qu’on se demande comment une telle concentration d’abjection est possible, en Suède, au XXIe siècle.
Victoria Brunberg, d’origine russe, venue en Suède pour se remarier après la tragédie de son premier mariage, est traitée comme une sorte « d’animal de compagnie » et instrumentalisée par son mari : « “Pipe”, ordonna-t-il, sans quitter l’écran des yeux, en baissant son pantalon de survêtement et son caleçon. Elle s’agenouilla devant le canapé et prit son pénis flasque dans sa bouche ».
Ingrid Steen, ancienne journaliste qui a arrêté de travailler pour élever sa fille, est trompée sans vergogne par son mari, rédacteur en chef d’un grand journal, qui refuse de s’impliquer et de prendre parti lorsque deux de ses collaborateurs sont accusés de harcèlement au sein de la rédaction : « Ferme ta gueule, putain ! Je ne suis pas d’humeur. Tu n’as aucune idée de ce dont tu parles, là ».
Birgitta Nilsson, institutrice proche de la retraite, est régulièrement frappée par son mari : « Le premier coup tomba – un poing fermé, au même endroit que la semaine précédente. Brigitta chuta. Il la fixa, étendue à terre ».
Un plan machiavélique va naître dans l’esprit de ces femmes, qui rappelle quelque peu celui du scénario du film, Le crime était presque parfait, d’Alfred Hitchcock (1954). On retrouve aussi dans ce roman quelques échos de la perfidie de l’intrigue de Monsieur Ripley, de Patricia Highsmith (1955), dont est inspiré le film Plein Soleil, de René Clément (1960). Mais l’analogie s’arrête là, car c’est bien les comportements mesquins, arrogants et brutaux des hommes envers les femmes que Camilla Läckberg met en relief, avec force, dans ce court roman.
Sylvie Ferrando
Camilla Läckberg, née en 1974, est une auteure suédoise de polars. Après une formation d’économiste, elle a rencontré un succès international grâce à son héroïne Erica Falck et la série Fjällbäcka, du nom de la ville où elle est née. Depuis La Princesse des glaces (Actes-Sud, 2008), elle a écrit Le Prédicateur (2009), Le Tailleur de pierre (2009), La Sirène (2012), La Faiseuse d’anges (2014), La Sorcière (2017) et La Cage dorée (2019).
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