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Éternelle Yuki, Coralie Akiyama (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) le 23.04.24 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie

Éternelle Yuki, Coralie Akiyama, Éditions du Cygne, Coll. Voix au poème, février 2024, 56 pages, 12 €

Éternelle Yuki, Coralie Akiyama (par Murielle Compère-Demarcy)

 

Akiyama, un autre langage : celui que porte la voix d’une mère, Coralie, à l’adresse de sa fille Yuki coupée d’elle comme une île serait coupée de son archipel.

L’espoir de te revoir s’amuse s’amenuise s’amenuise et

puis comme ça un jour tu me raconteras ta journée je

me jetterai sur l’anecdote comme une affamée sur du

pain.

Yuki signifie « neige », et l’on sait l’inaccessible beauté des neiges éternelles. Neige dont un glaçon par moment renfermerait une pierre et blesserait celle qui innocemment s’en trouverait touchée dans l’éblouissement candide de sa ferveur ; qui atteindrait son corps, son âme, en la brûlant, en les ravissant. En dépit de l’espoir qui tisse sa toile pour en faire la tapisserie d’une Pénélope persévérante et malgré tout tournée vers le possible retour équilibré d’une situation nouée de douloureuse absence.

En dépit de l’espoir qui ne peut couper le cordon d’amour, que ne peut couper aucun homme, entre une mère et une fille. Candeur de la neige de cet espoir reflété par l’Éternelle Yuki (« petite rose pâle / déracinée d’un pays adoptif / haleine sans paroles, parfum perdu du film rêvé / le visage lisse bitume se relief-t-il »)… Croire en son espoir comme « ses dernières allumettes de paroles » face à un mari sourd à la situation, n’est-ce pas l’ultime feu qui reste, quand l’amour conjugal ne réchauffe plus (« l’amour silence un métal froid »), quand l’amour maternel refuse de se faire orphelin sous le poids d’un environnement hostile qui attise la souffrance et alourdit l’existence ?

Au bout d’une patience la pierre se réchaufferait et

j’avais si froid et encore j’y croyais comme l’aventurière

croit en un chemin leur persévérance à tous charriait

des promesses et elles étaient si vraies.

Coupée de sa fille, la mère lance dans « un rêve blanc » l’appel perdu, dans un puits d’amour sans fonds ; elle lance par éclairs, et non sans éclats sur son être, son « Je à la folie » vers sa fille loin d’elle retenue. Cette souffrance constitue un double rapt à l’enfance : Yuki, la jeune fille retenue au Japon, se voit privée de vivre libre aux côtés de sa mère tandis que sa mère se voit privée de vivre auprès de son enfant. Légèreté de l’enfance et fusion filiale sont confisquées, au nom d’un homme-père leur volant l’amour inconditionnel.

En même temps que le cri d’amour d’une mère se grave dans la neige éternelle symbolique de l’Eternal Daughter d’un Joanna Hogg, un cri d’amour est envoyé au Japon où Yuki est comme emprisonnée, non libre de voler à l’air libre avec sa mère. À la page 20, l’image du référent kimono exprime cet envol impossible :

Mon kimono a les ailes lourdes et fait respirer sage où

est la vie qui devait sautiller sur un pied

Métaphore de l’envol impossible viscéralement vrillé à l’expérience du Vivre sous liberté conditionnelle, filée par la chute de l’oiseau que l’on abat, que l’on terrasse, que l’on désaile parfois afin de mieux le domestiquer, le dominer, le contrôler.

Ma grue mon cygne à terre aux ailes lourdes

d’adolescente qui à son tour mettra sa solitude au

moulin du rêve et lavera pour nous un rêve blanc.

Étoilée dans sa chair, en son cœur, par les éclairs multiples du Japon, par l’amour à vif, en vie et à vie qui roule sur le sable des incertitudes conquises, sur la brillance des apparences ou le paraître conventionnel, l’auteure met à l’heure dokidoki* son cœur, entre les lignes, accordant sa « Voix au poème » pour ex-vociférer des murs entre lesquels on les enferme, sa fille chair de sa chair fruit de son arbre-de-vie jusqu’à la mort et elle-même mère rayée du Pays du Levant mais intarissable vague qui soulève autant d’oiseaux sur sa crête qu’il y a de douleur (« plus il y a de douleur et plus il y a d’oiseaux »). Car il est des douleurs indicibles. Coralie Akiyama nous livre ici à fleur de mots et entre les lignes les non-dits d’un amour filial inconditionnel, conditionné par la détermination et les mœurs sociétales, muselé par « un mari en or » au vu des apparences de la société japonaise, geôlier en réalité de son enfant et sa mère (« Mon enfant prisonnière d’un royaume épais »). La morbidité de la situation (père de l’adolescente malade, situation oppressante, mère coupée de son enfant, etc.) retentit comme par le processus des correspondances baudelairiennes jusque sur les paysages, les humeurs…

 

Ciel noir : ce point fixe qui nous attendait. Rose, bleu,

Etoiles : périphéries. Alors comme ça on coupe la parole

à mon enfant.

Que dit-elle ? Que voudrais-tu-t-elle me dire ? Mes

oreilles s’écorchent à trop se pencher vers ces non-dits,

murmures de

Ma grande murée adorée, médaille d’eau vive en

captivité

s’étirent ces oreilles, vers un elfique silence de non-forêt

il se pourrait que tout était écrit comme du papier à

muqueuses

de cirque en cirque de pères sourd à la chaîne Rompre !

L’oreille mutilée de Van Gogh me vient.

Généalogie du ciel soir

 

Il paraît que nous reproduisons au fil du temps les mêmes erreurs, retombons, autant inconsciemment attirés qu’inconsciemment repoussés, dans le labyrinthe de mêmes schémas, de mêmes vortex relationnels qui pourtant nous asservissent. Mais, un jour, au pied de la cascade une carpe sait remonter le vertige de la chute… Écrire, n’est-ce pas nager à contre-courant pour mieux s’abandonner et renaître au Large, « dans les bras de (son) rêve inconditionnel » ?

 

Murielle Compère-Demarcy

 

* Dokidoki : Onomatopée exprimant le bruit du cœur qui bat rapidement.

 

Diplômée de Science-po Lyon, Coralie Akiyama (1984) a vécu à Tokyo pendant 13 ans et partage désormais sa vie entre Paris, Tokyo et Tel-Aviv. Elle est l’auteure de romans : Féerie pour de vrai ; Dévorée ; de recueils de poésie : Désordre avec vue ; Vivante-moi, Shoshana ; et d’une pièce de théâtre, L’Étape zéro. Éternelle Yuki est son quatrième recueil.



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A propos du rédacteur

MCDEM (Murielle Compère-Demarcy)


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Murielle Compère-Demarcy (pseudo MCDem.) après des études à Paris-IV Sorbonne en Philosophie et Lettres et au lycée Fénelon (Paris, 5e) en École préparatoire Littéraire, vit aujourd'hui à proximité de Chantilly et de Senlis dans l’Oise où elle se consacre à l'écriture.

Elle dirige la collection "Présences d'écriture" des éditions Douro.

 

Bibliographie

Poésie

  • Atout-cœur, éditions Flammes vives, 2009
  • Eau-vive des falaises éditions Encres vives, collection "Encres blanches", 2014
  • Je marche..., poème marché/compté à lire à voix haute, dédié à Jacques Darras, éditions Encres vives, collection "Encres blanches", 2014
  • Coupure d'électricité, éditions du Port d'Attache, 2015
  • La Falaise effritée du Dire, éditions du Petit Véhicule, Cahier d'art et de littérature Chiendents, no 78, 2015
  • Trash fragilité, éditions Le Citron gare, 2015
  • Un cri dans le ciel, éditions La Porte, 2015
  • Je tu mon AlterÈgoïste, préface d'Alain Marc, 2016
  • Signaux d'existence suivi de La Petite Fille et la Pluie, éditions du Petit Véhicule, 2016
  • Le Poème en marche, suivi de Le Poème en résistance, éditions du Port d'Attache, 2016
  • Dans la course, hors circuit, éd. du Tarmac, 2017
  • Poème-Passeport pour l'Exil, co-écrit avec le photographe-poète Khaled Youssef, éd. Corps Puce, coll. « Parole en liberté », 2017
  • Réédition Dans la course, hors circuit, éd. Tarmac, 2018
  • ... dans la danse de Hurle-Lyre & de Hurlevent..., éd. Encres Vives, collection "Encres blanches" , n°718, 2018
  • L'Oiseau invisible du Temps, éd. Henry, coll. « La Main aux poètes », 2018
  • Alchimiste du soleil pulvérisé, Z4 Éditions, 2019
  • Fenêtre ouverte sur la poésie de Luc Vidal, éditions du Petit Véhicule, coll. « L'Or du Temps », 2019
  • Dans les landes de Hurle-Lyre, Z4 Éditions, 2019
  • L'écorce rouge suivi de Prière pour Notre-Dame de Paris & Hurlement, préface de Jacques Darras, Z4 Editions, coll. « Les 4 saisons », 2020
  • Voyage Grand-Tournesol, avec Khaled Youssef et la participation de Basia Miller, Z4 Éditions, Préface de Chiara de Luca, 2020
  • Werner Lambersy, Editions les Vanneaux ; 2020
  • Confinés dans le noir, Éditions du Port d'Attache, illustr. de couverture Jacques Cauda; 2021
  • Le soleil n'est pas terminé, Editions Douro, 2021 avec photographies de Laurent Boisselier. Préface de Jean-Louis Rambour. Notes sur la poésie de MCDem. de Jean-Yves Guigot. Illustr. de couverture Laurent Boisselier.
  • l'ange du mascaret, Editions Henry, Coll. Les Ecrits du Nord ; 2022. Prélude et Avant-Propos Laurent Boisselier.
  • La deuxième bouche, avec le psychanalyste-écrivain Philippe Bouret, Sinope Editions ; 2022. Préface de Sylvestre Clancier (Président de l'Académie Mallarmé).
  • L'appel de la louve, Editions du Cygne, Collection Le chant du cygne ; 2023.
  • Louve, y es-tu ? , Editions Douro, Coll. Poésies au Présent ; 2023.