Éperdument. Un enfant d’Alep au bord de la Seine, Abed Azrié (par Didier Ayres)
Éperdument. Un enfant d’Alep au bord de la Seine, Abed Azrié, préf. Hubert Haddad, couv. Ziad Dalloul, éd. Al Manar, 2025, 170 p., 22 €

Tout d’abord je voudrais écrire quelques mots sur l’indication Récit inscrit sur la couverture du livre, car si l’on s’en tient au Larousse 2007, le roman a trois définitions qui pourraient donner sens à ce « récit » d’Abed Azrié. Je cite partiellement : « 1. Le roman est une œuvre littéraire, étude de mœurs, analyse de sentiments, observations réelles ou non de faits subjectifs ou objectifs ; 2. Histoire riche d’épisodes imprévus ; 3. Roman familial : fantasme dans lequel le sujet imagine ses parents et les siens ». Je trouve que le récit que fait Abed Azrié de sa propre vie correspond peu ou prou à ces définitions du dictionnaire.
Quoi qu’il en soit, nous sommes pris dans la grande et la petite histoire d’un chrétien d’Orient, vivant en lui-même une espèce de mélange de culture (peut-être difficile mélange). L’on pourrait intituler le livre : La prière et l’exil. Car en somme nous partageons la propre traversée de son histoire personnelle abouchée à un récit à la fois factuel et intellectuel.
Ma vie, aujourd’hui, résulte de toutes les expériences qui ont fait de moi ce que je suis. C’est le fruit de tout ce que j’ai vécu aussi : ouvertures et blocages, efforts, échecs et réussites. Ce qui me semblait mystérieux, invisible, insaisissable s’ouvre et se livre souvent à moi, se dévoile, s’éclaircit. Je trouve des réponses à propos de l’amour, de la fraternité, du lien familial, du rapport avec le monde. Il y a aujourd’hui beaucoup de choses dont je me passe. Ma petite folie est toujours là, et plus précieuse que jamais, elle a trouvé sa place.
Le livre se structure comme un patchwork de l’identité, d’une personnalité faite d’éléments incontestablement épars, parfois contradictoires, en tout cas invitant à voyager sur les deux rives de la Méditerranée, rives orientale et occidentale. L’auteur a vécu son enfance en Syrie (et l’on voit parfois par transparence le destin politique violent qu’a subi le pays), puis s’est dirigé, peut-être sans le savoir, vers une condition d’exilé.
Au Moyen-Orient, vous n’existez pas individuellement. Vous êtes ce que la société veut que vous soyez. Vous êtes condamné à vivre sous le contrôle des autres et dans le renoncement à ce que vous êtes en réalité.
Le principal intérêt du livre c’est d’avoir saisi la particularité d’un parcours de musicien syrien vivant en Europe. Donc, l’on voit les origines textuelles et religieuses de ce que l’on nomme une musique de fusion. L’auteur invite à penser le but de tout art, de la conception d’un spectacle musical jusqu’à sa réception par des auditeurs de différentes cultures.
De fait, c’est la quête de l’âme qui compte le plus. Âme de texture mêlée. Âme musicale du musicien. Âme d’un croyant doux et compréhensif. Abed appréhende la poésie, la pensée intellectuelle, les émotions, les phases de construction d’un spectacle, une double appréciation des musiques orientales et savantes occidentales. Tout à fait par hasard, en finissant le livre, j’ai entendu sur France-Musique la retransmission d’un opéra contemporain, mêlant les cultures, américaine, française et indienne. Il s’agissait pour moi d’une découverte, car, je crois, c’était la première mondiale de l’opéra : The Nine Jewelled Deer, de Sivan Eldar, mariage réussi de composantes de cultures étrangères les unes aux autres, mais qui au lieu de nous perdre, nous donnait un supplément de rêve et d’émotion. N’est-ce pas cela que souhaite réaliser Abed Azrié ?
Didier Ayres
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