Dis que tu es des leurs, Uwem Akpan
Dis que tu es des leurs, Books Editions, 2013, trad. de l’anglais par Patrick Honnoré, 382 pages, 21 €
Ecrivain(s): Uwem AkpanLe magazine Books est bien connu des amateurs de littérature et d’articles pointus, fouillés, d’une pertinence rarement prise en faute, sur l’actualité mondiale vue au travers des livres ; il faudrait préciser, concernant la littérature, qu’il s’agit de littérature mondiale : dans les pages de Books, en effet, on peut lire des recensions de livres non encore publiés en français, dont certains ne le seront peut-être jamais – au grand désarroi de qui ne pratique pas l’allemand, l’espagnol voire le tchèque ou le japonais, à qui ces recensions ont donné envie de lire les livres en question. Il était donc naturel que Books se lance dans l’aventure éditoriale, en proposant au public francophone quelques-uns des livres allophones recensés dans ses pages. Dont acte avec Dis que tu es des leurs, recueil de nouvelles du Nigérian Uwem Akpan (1971), prêtre de son état. Ce recueil a rencontré un beau succès critique, en Amérique du Nord en tout cas, en témoignent les extraits des recensions du New York Times (Un premier recueil éblouissant) et du Washington Post (Son empathie et son génie littéraire m’ont transformée) reproduits en quatrième de couverture, et en témoigne aussi son palmarès : le Prix des Commonwealth Writers, celui du PEN Open Book et une sélection dans le Oprah Winfrey Book Club, cette dernière étant garante d’un beau succès de librairie en sus.
Mais que racontent les cinq nouvelles de Dis que tu es des leurs pour avoir rencontré pareille adhésion d’un grand nombre ? Pas grand-chose en apparence : le quotidien d’autant d’enfants qu’il y a de nouvelles, chacun d’entre eux racontant son histoire à la première personne (toujours un bon facteur d’adhésion au récit, justement…), chacun d’entre eux originaire d’un pays africain différent (Kenya, Bénin, Ethiopie, Nigeria et Rwanda), et, surtout, chacun d’entre eux confronté à une situation dramatique propre à son pays. Ainsi, le jeune narrateur de la première nouvelle, Un Festin de Noël, raconte sa vie dans un bidonville, avec des détails aussi signifiants que sidérants pour le lecteur occidental : on sniffe de la colle en famille pour oublier la faim, la sœur de douze ans se prostitue pour payer la scolarité de son petit frère, et elle pense même entrer dans un bordel, on accapare une chienne dont on soupçonne qu’elle est grosse avec l’espoir de vendre les chiots… Quant à l’avenir du narrateur, il porte un nom : bande, qu’on traduira par gang. Une vie ? Non, de la survie.
Les autres nouvelles sont au diapason de la première quant à la vie horrible décrite : Gavés pour le Gabon évoque le trafic d’enfants (et les parents victimes du sida) ; C’est quoi, ce Langage ? montre l’impact des conflits interreligieux sur une amitié enfantine dans une Ethiopie dont est pourtant juste montrée la frange bourgeoise ; Corbillards de Luxe enferme la diversité ethnique et religieuse d’un Nigeria prêt à exploser dans un bus qui tarde à démarrer (de l’essence pour mettre le feu à la maison du voisin, il y a ; pour remplir un réservoir de bus, c’est moins aisé à trouver…) ; La Chambre de mes Parents tend au Rwanda un miroir cruel, où, au sein d’un couple interethnique, la survie de l’un est au prix du massacre de l’autre, avec les enfants comme spectateurs impuissants… Nul doute que Akpan aurait pu écrire d’autres nouvelles encore sur des sujets similaires, racontées depuis le point de vue d’un enfant-soldat, par exemple, ou d’une fille métisse de Soweto. Il aurait pu, il ne l’a pas fait.
Et c’est tant mieux, parce que son recueil est déjà assez insoutenable comme ça. Non pas que l’on veuille jouer aux vierges effarouchées, se mettre des œillères ou nier les malheurs du continent africain ; ce serait d’une bêtise grave. Par contre, Akpan aurait pu ouvrir ses récits à l’espoir, non pas en offrant des fins heureuses systématiques, mais du moins en montrant une possible prise en main de leur destinée par ne fût-ce qu’un ou deux de ces enfants. A en croire les nouvelles de Dis que tu es des leurs, l’enfance en Afrique est synonyme de malheurs subis, comme si ce continent ne pouvait qu’être victime. Heureusement, et c’est toujours ça de gagné, Akpan n’a pas de surcroît orienté ses récits vers une quelconque responsabilité occidentale ou orientale (n’oublions pas le rôle de plus en plus important que joue la Chine sur le continent africain) : elle existe, mais il a préféré cantonner ses cinq histoires à des interactions entre Africains, évitant ainsi de tout à fait infantiliser et victimiser ceux-ci. En gros, le problème de ces nouvelles est qu’elles présentent de l’Afrique une image aussi biaisée que tronquée : biaisée car le point de vue misérabiliste choisi est très orienté ; tronquée car rien ici ne ressemble à de la joie de vivre ou à du bonheur, comme si ces deux composantes étaient radicalement absentes du melting-pot africain.
A ce défaut sur le fond, on peut ajouter au moins deux défauts sur la forme. Le premier est un choix de traduction : dans toutes les nouvelles, mais en particulier dans Gavés pour le Gabon, les discours rapportés sont grevés d’interjections voire d’expressions complètes en anglais et, plus grave pour la compréhension, en dialectes africains. En soi, ce n’est pas agaçant, et on peut volontiers admettre qu’il s’agit d’une volonté de rendre la musicalité et le plurilinguisme des langues africaines à l’oral ; là où ça pose problème, c’est qu’aucun appareil critique n’explique ou traduit ces expressions. Le second défaut est plus technique et se remarque surtout dans la nouvelle Corbillards de Luxe : le point de vue est plus que flottant, puisque des informations sont données sur des personnages de façon abrupte, alors que le récit aurait gagné en finesse si elles avaient été amenées au travers des dialogues, par exemple.
Le tout forme un livre africain à destination de qui veut avoir une vision misérabiliste de l’Afrique, pour la plaindre encore et non pas la soutenir dans une quelconque volonté d’autonomie. Doit-on s’étonner que pareil livre ait rencontré l’assentiment médiatique d’une Oprah Winfrey entre autres ?
Didier Smal
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