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Demeure, Hubert Le Boisselier (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) le 30.06.20 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Demeure, Hubert Le Boisselier, Z4 Editions, 2018, 85 pages, 14 €

Demeure, Hubert Le Boisselier (par Murielle Compère-Demarcy)

 

Le titre de cet opus poétique signé Hubert Le Boisselier nous invite d’emblée à marquer une pause, sur le tarmac de la réflexion et de l’imagination, avant d’entamer notre voyage. Demeure, en effet, remue dès le seuil du livre son chant polysémique : s’agit-il de l’injonction donnée à celui qui agite ou mobilise son existence de « demeurer » un instant dans l’espace d’une pause, l’impératif du verbe se conjuguant à un certain art de vivre où savoir prendre son temps résulte d’un acte de sagesse ? S’agit-il du substantif nommant cette « maison » dans laquelle chacun de nous habite, élit domicile, quelque part, à sa façon, en ouvrier/artisan de son quotidien, en… poète ? Demeure, est-ce même un lieu – immobile ou mouvant –, une position statique dans l’espace ; ne renvoie-t-il pas plutôt à cette posture, dans la dynamique du Vivre, où la cinétique des « entrelangues » mêle et mélange leur langage « dans la désinvolture du temps », pour rejouer/reformuler le monde sur la table de nos pages clairvoyantes reliées à nos mots (words) croisés/entrechoqués/fracturés ? Pour écrire/remodeler un monde « dédoublé » par « le geste d’écrire », recommencé dans la « persistance entre les mots », lu, « redit » sans cesse comme « je parle vide/sur la fracture » ?

Demeure engendre le Poème où habiter en Poète-Corps-Verbe le monde auto-régénéré par le flux inprogress des mots – des mots qui ne sont guère déposés, fixés définitivement, mais qui remuent leur nuit tectonique sur « la brèche » du failli/du faillible.

 

moi-même enfin incarné

dans le désastre d’un noyau vide

douloureusement

myself as flesh deprived of a meaning

voilà que la phrase reçoit une épaisseur

sa présence de bouche pleine

irreverent to the soul

 

La poésie de Hubert Le Boisselier est une poésie qui « demeure », dans le sens où sa temporalité se rejoue et se réinvente dans la matière du Verbe à chaque instant du Vivre vibratoire. Elle bouge les lignes, « souffle essaimé du vertige », désaxe les plans fixes, déjoue les cadres logiques dans lesquels nos systèmes de pensée limitent le monde afin de le saisir. Demeure nous lance le défi d’une langue poétique insaisissable tel le vortex d’une langue initiatique/organique/purgative, l’approche irrépressible d’un trou noir dévié avant l’embrasement, toujours repoussé pour mieux être réexpérimenté dans ses parages chaotiques.

La poésie de Demeure se joue à flux tendu dans ce « hiatus » du dire où la parole se gonfle de la substance du « non-dit », se retire, revient, « dans le spasme de la mer » (A. Artaud), se heurte au fracas du Vivre, se brise, reprend sa course vers l’infini sur la ligne de crête.

 

in-formé

par une langue reptilienne

nom prédaté

empreinte d’un non-dit dévorant

défait de soi

par le dépouillement des mots

d’un autre

mon nom ellipse

aspiré en soi-même

dans le verbe

naître

mon nom ne s’articule à rien

perdu dans les plis du dire

 

Comment « demeurer » quand son « nom ne s’articule à rien », quand « rien ne s’articule/de soi-même» ?

 

il faut une esquisse

à moins que

« ne » s’efface

se dilue

à moins que

« ne » dénoue l’articulation

à moins que rien

finalement articule

parle

sur la fracture

 

Béance de balbutiements à vociférer/proférer comme le désarticulé de la langue réincarnerait le monde en sa chair, en son double – Le Théâtre et son Double, artaudien –, là où « le retrait s’exprime » ; brèche imparable et insoluble où hurler la langue au bord de se dire ; laps du vertige où se désarticuler « corps du présent », se restructurer poème a-syntaxique, demeurer pour s’étreindre dans « l’aspiration sans fin ». Demeure, écrit le poète Hubert Le Boisselier ; de même le poème à l’œuvre sans appuis dans « l’Absolu circulaire » (Antonin Artaud).

 

Murielle Compère-Demarcy

 

Hubert Le Boisselier, né à Rouen en 1968, vit et travaille dans le Nord de la France depuis 1992. Il a toujours aimé lire de la poésie, des romans. Voir des films. Aller au théâtre. Lire, entendre et voir le théâtre de Shakespeare. Lire Eluard, Péguy, Neruda et tant d’autres. Les romans de Jane Austen ou Jean Giono. Voir les films d’Almodovar ou d’Orson Welles. Il écrit de la poésie depuis de nombreuses années mais n’a commencé à envoyer ses poèmes à des revues qu’en 2016 et a été publié dans plusieurs revues en ligne (Capital des mots, Lichen, Recours aux poèmes, Infusion, revue Temporel, 17 secondes, Post, Incertain regard, les Soliflores) ainsi que dans des revues papier (La volée, Filigrane, A l’index, Traction Brabant, Libelle, Comme en poésie, Festival permanent des mots, An Amzer, Portique, Rrose Selavy, Florilège, Verso, Phoenix, Paysages écrits, Traversées, Poésie-première).

 

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A propos du rédacteur

MCDEM (Murielle Compère-Demarcy)


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Murielle Compère-Demarcy (pseudo MCDem.) après des études à Paris-IV Sorbonne en Philosophie et Lettres et au lycée Fénelon (Paris, 5e) en École préparatoire Littéraire, vit aujourd'hui à proximité de Chantilly et de Senlis dans l’Oise où elle se consacre à l'écriture.

Elle dirige la collection "Présences d'écriture" des éditions Douro.

 

Bibliographie

Poésie

  • Atout-cœur, éditions Flammes vives, 2009
  • Eau-vive des falaises éditions Encres vives, collection "Encres blanches", 2014
  • Je marche..., poème marché/compté à lire à voix haute, dédié à Jacques Darras, éditions Encres vives, collection "Encres blanches", 2014
  • Coupure d'électricité, éditions du Port d'Attache, 2015
  • La Falaise effritée du Dire, éditions du Petit Véhicule, Cahier d'art et de littérature Chiendents, no 78, 2015
  • Trash fragilité, éditions Le Citron gare, 2015
  • Un cri dans le ciel, éditions La Porte, 2015
  • Je tu mon AlterÈgoïste, préface d'Alain Marc, 2016
  • Signaux d'existence suivi de La Petite Fille et la Pluie, éditions du Petit Véhicule, 2016
  • Le Poème en marche, suivi de Le Poème en résistance, éditions du Port d'Attache, 2016
  • Dans la course, hors circuit, éd. du Tarmac, 2017
  • Poème-Passeport pour l'Exil, co-écrit avec le photographe-poète Khaled Youssef, éd. Corps Puce, coll. « Parole en liberté », 2017
  • Réédition Dans la course, hors circuit, éd. Tarmac, 2018
  • ... dans la danse de Hurle-Lyre & de Hurlevent..., éd. Encres Vives, collection "Encres blanches" , n°718, 2018
  • L'Oiseau invisible du Temps, éd. Henry, coll. « La Main aux poètes », 2018
  • Alchimiste du soleil pulvérisé, Z4 Éditions, 2019
  • Fenêtre ouverte sur la poésie de Luc Vidal, éditions du Petit Véhicule, coll. « L'Or du Temps », 2019
  • Dans les landes de Hurle-Lyre, Z4 Éditions, 2019
  • L'écorce rouge suivi de Prière pour Notre-Dame de Paris & Hurlement, préface de Jacques Darras, Z4 Editions, coll. « Les 4 saisons », 2020
  • Voyage Grand-Tournesol, avec Khaled Youssef et la participation de Basia Miller, Z4 Éditions, Préface de Chiara de Luca, 2020
  • Werner Lambersy, Editions les Vanneaux ; 2020
  • Confinés dans le noir, Éditions du Port d'Attache, illustr. de couverture Jacques Cauda; 2021
  • Le soleil n'est pas terminé, Editions Douro, 2021 avec photographies de Laurent Boisselier. Préface de Jean-Louis Rambour. Notes sur la poésie de MCDem. de Jean-Yves Guigot. Illustr. de couverture Laurent Boisselier.
  • l'ange du mascaret, Editions Henry, Coll. Les Ecrits du Nord ; 2022. Prélude et Avant-Propos Laurent Boisselier.
  • La deuxième bouche, avec le psychanalyste-écrivain Philippe Bouret, Sinope Editions ; 2022. Préface de Sylvestre Clancier (Président de l'Académie Mallarmé).
  • L'appel de la louve, Editions du Cygne, Collection Le chant du cygne ; 2023.
  • Louve, y es-tu ? , Editions Douro, Coll. Poésies au Présent ; 2023.