Identification

De natura florum, Clarice Lispector (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi 22.12.23 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Arts, Langue portugaise, Poésie, Editions Des Femmes - Antoinette Fouque

De natura florum, Clarice Lispector, éd. Des femmes-Antoinette Fouque, novembre 2023, trad. portugais (Brésil), Jacques & Teresa Thiériot, Claudia Poncioni, Didier Lamaison, ill. Elena Odriozola Belastegui, 50 pages, 17,50 €

Ecrivain(s): Clarice Lispector Edition: Editions Des Femmes - Antoinette Fouque

De natura florum, Clarice Lispector (par Yasmina Mahdi)

 

Les Jeux floraux, également appelés Floralies ou Floralia, étaient des fêtes célébrées dans la Rome antique en l’honneur de Flore, déesse des fleurs, des jardins et du printemps, d’origine sabine.

Le culte de celle-ci fut établi à Rome par Titus Tatius, roi légendaire de Cures Sabini, puis roi de Rome en même temps que Romulus.

Institués de façon annuelle en 173 av. J.-C. par les édiles curules, les Jeux floraux faisaient partie des plus anciens célébrés à Rome même. Ils se déroulaient du 27 avril au 2 mai.

Ils furent introduits dans tout l’Empire au fur et à mesure des conquêtes romaines, et fort appréciés des peuples conquis en raison de leur caractère licencieux (Source, Wikipédia).

Floralia

La grande femme de lettres Clarice Lispector (Chaya Pinkhasovna Lispector, née de parents juifs en 1920 à Tchechelnyk en Ukraine, morte à Rio de Janeiro en 1977) a composé ce qui pourrait s’apparenter à un album-jeunesse, destiné à faire rêver et à réfléchir. À l’instar du célèbre traité De rerum natura, du poète latin Lucrèce, et du Langage des fleurs, de Charlotte de La Tour en 1818 (ouvrage réputé être le premier et l’initiateur du genre, qui submergea l’Europe et rencontra le succès jusqu’en Amérique et en Afrique du sud), Lispector poursuit un genre littéraire prisé où le message secret se joue en filigrane. L’écrivaine ukraino-brésilienne répertorie un échantillon floral, un ensemble composite de fleurs hétérogènes, de la plus simple à la plus sophistiquée, de la plus commune à la plus ténébreuse. Elle enrichit chacune des fleurs citées d’un caractère propre, en les anthropomorphisant. Elle immortalise ainsi un herbier personnel, un bouquet étrange, allant de la très humble fleur des champs à l’orgueilleuse orchidée. Elle relève le caractère sacré du parfum floral, sa sensualité, la délicatesse de certaines espèces, la résistance pour d’autres, ou au contraire la violence des coloris des fleurs fétiches, voire le danger des fleurs vénéneuses, empoisonneuses… Tout comme les animaux, quelques spécimens éclosent de nuit tandis que d’autres s’épanouissent sous le régime solaire, sur la terre ferme ou dans les milieux aquatiques.

Clarice Lispector parle de la génération, de la fécondation, de la croissance de l’impérieuse nature. Les couleurs ont une grande importance et l’auteure les dote de sentiments ambivalents, de passions : « Les œillets rouges hurlent en violente beauté. Les blancs rappellent le petit cercueil d’un enfant défunt (…) Les roses (…) blanches sont la paix », l’azalée incarne l’amitié. Derrière chaque fleur se cachent peut-être l’esprit et le trait d’âme de Lispector, caractéristiques accolées à sa personnalité, à ses désirs, ses amours. À sa nostalgie également, au vu du court cycle de la flore terrestre. Les fleurs citées témoignent des préférences et du goût à la mode d’une époque, ce à quoi et à qui elles sont destinées, uniques ou en bouquet – les chrysanthèmes par exemple fleurissent aujourd’hui les tombes le jour de la Toussaint. Il s’y trouve une mystique dans cet inventaire subjectif et intime : « L’angélique ; son parfum est de chapelle. Elle porte l’extase. Elle rappelle l’hostie ». L’inflorescence cache « un mystère féminin », aux dires d’une Lispector féministe, ou une androgynie pour le tournesol – les plantes remettent en question les notions genrées : « Est-ce que le tournesol est une fleur féminine ou masculine ? ». L’on reconnaît l’attention particulière que Clarice Lispector porte au monde, le rendant sien avec fougue et étrangeté.

Les illustrations imaginatives à la peinture acrylique et aux crayons de couleur d’Elena Odriozola Belastegui (née en 1967 à Saint-Sébastien, finaliste en 2020 du Prix Hans-Christian-Andersen) apparaissent toujours sur un fond herbeux horizontal rouge rosé, très dense. Des personnages évanescents, naïfs, stylisés, hiératiques, se promènent en rang ou en se tenant par la main. Des insectes volètent, parfois démesurés. Les doubles-pages du lapin bleu géant près d’une femme-feuillage et du renard observant les montagnes sont particulièrement réussies. Les fleurs sont dotées de visages, comme dans les tableaux féériques et oniriques anglais. Les 20 fleurs de prédilection de cette grande dame de la littérature sont réinterprétées à l’aide d’impressions au trait. Un beau livre de collection, à la couverture cartonnée de 14 x 21 cm.

 

Yasmina Mahdi



  • Vu : 853

Réseaux Sociaux

A propos de l'écrivain

Clarice Lispector

 

Clarice Lispector (son nom de naissance est Chaya Pinkhasovna Lispector1) est une femme de lettres brésilienne. Elle est née le 10 décembre 1920 de parents juifs à Tchetchelnyk, un petit village d'Ukraine et morte le 9 décembre 1977 à Rio de Janeiro. Épouse de diplomate, mystique, elle est reconnue internationalement pour ses romans novateurs, mais elle est aussi une grande nouvelliste et une journaliste de renom, ayant assuré une chronique nationale de façon régulière.

Bien que le mot écrivain ait un féminin en portugais, Clarice Lispector refusa toujours son utilisation, assurant « appartenir aux deux sexes ». Elle est décrite par Benjamin Moser, comme : l'écrivain juif la plus importante depuis Kafka.

 


A propos du rédacteur

Yasmina Mahdi

 

Lire tous les articles de Yasmina Mahdi

 

rédactrice

domaines : français, maghrébin, africain et asiatique

genres : littérature et arts, histoire de l'art, roman, cinéma, bd

maison d'édition : toutes sont bienvenues

période : contemporaine

 

Yasmina Mahdi, née à Paris 16ème, de mère française et de père algérien.

DNSAP Beaux-Arts de Paris (atelier Férit Iscan/Boltanski). Master d'Etudes Féminines de Paris 8 (Esthétique et Cinéma) : sujet de thèse La représentation du féminin dans le cinéma de Duras, Marker, Varda et Eustache.

Co-directrice de la revue L'Hôte.

Diverses expositions en centres d'art, institutions et espaces privés.

Rédactrice d'articles critiques pour des revues en ligne.