De l’ombre, Saïd Sayagh (par Yasmina Mahdi)
De l’ombre, Saïd Sayagh, préf. Marc Wetzel, éd. bilingue français/arabe, éd. Mars-A, coll. Poésie sur tous les fronts, 94 p., 2025, 20 €

Il alla s’asseoir, dans le fauteuil, en face de la croisée, et il regarda la pièce où les rayons épars de la lampe perdaient, en se fondant dans la sombreur des coins, l’orange de leurs lueurs, [...]
Joris-Karl Huysmans, En ménage
Sombreur
De l’ombre est le recueil de Saïd Sayagh, dicté par téléphone à son épouse depuis son lit d’hôpital. Agrégé d’arabe, Saïd Sayagh, enseignant en poste à Montpellier, poète, calligraphe, romancier, a traduit de l’arabe Mahmoud Darwish, Salah Al Hamdani, Michel Eckhart-Elial, notamment. Si l’écrit permet une distance salvatrice, Saïd Sayagh est pris entre le Français, le Berbère, l’Arabe classique et l’Hébreu. Dans sa préface, Marc Wetzel note : « Les poèmes ici réunis, malgré leur sereine unité (d’expérience et de scansion), gardent quelque chose d’une anxiété centrale, car - lors de cette longue période de suspens de toute vitalité - la consolation de mourir n’a pas été trouvée ».
Comme une chape de plomb, un phénomène d’ensevelissement nocturne enserre le malade, l’effaçant presque de la surface du monde. L’univers du poète, ici, est peint à « l’outrenoir », dans la sombreur des jours.
La Ténèbre
descend sur les épaules
La Lumière du jour
se reflète
dans le sombre de la nuit
Le regard confond
le reflet de la Lumière
sur la Ténèbre
et le reflet de la Ténèbre
sur la Lumière
Les cendres, la terre (sous terre), l’éclipse, le feu, la calcination, le dessèchement, hantent le convalescent. Le poète alité se trouve en analepsie, au propre comme au figuré - notamment en parlant d’éléments fictionnels externes, en une narration homodiégétique. Prolongeant ainsi une recherche du temps passé. Il y a également une nomenclature corporelle des éléments du vivant : la main, le nez, le pied, les épaules, la nuque, le souffle. L’on assiste à une déclinaison du temps, un fractionnement goutte à goutte d’une existence menacée. Et cette ombre étrange, à la fois spectre et trace, telle un double, est malgré tout l’ombre d’un homme qui n’a pas perdu son âme, qui n’est ni damné ni condamné, car
il y a
cachée
l’étincelle inextinguible
La langue est peut-être d’abord pensée en arabe et ensuite traduite en français (ce n’est qu’une supposition). Même si Saïd Sayagh écrit alité, à l’hôpital, il rassemble souvenirs tactiles de sons, de couleurs, de visions de paysages.
Peut-être retrouverais-je
les vrais traits de mon visage
le rouge de mon sang
la blancheur de mes dents
La voix de Saïd Sayagh est celle d’un homme qui revient de la mort, d’entre les morts (terre, grotte, sable), des puissances chtoniennes, du délitement des forces corporelles, avec au final, la magie de sa résurrection. Les poèmes ne comportent aucune ponctuation, proches d’une écriture sténographique. Des références coraniques se lisent dans certains vers, par exemple en ce qui concerne la composition de l’être, le caillot de sang, et peut-être se reportant au Golem, la terre glaise…
Une quinzaine de peintures calligraphiques aux titres français accompagnent les poèmes, crées et signées de la main de l’auteur, aux traits effilés, aux formes modernes. La spirale, le cercle et le demi-cercle sont apposés, flottant dans le blanc cru de la page. Le pinceau compose des architectures colorées, une main, un lever de soleil sur des remparts, une vague, une fleur séchée, dans la gamme du bleu-gris, du jaune orangé, de l’indigo, de l’ocre, du noir de charbon. Le calame inscrit en spirale des mots répétitifs.
Écris je n’écris pas
Sur la pierre ce qui jamais ne s’altère de jour comme de nuit
Qui n’est pas épitaphe mais enseigne de naissance (…)
Yasmina Mahdi
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