Identification

De l’improbable, Marie-Claire Bancquart (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres le 05.05.20 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

De l’improbable, Marie-Claire Bancquart, Arfuyen, 2020, 104 pages, 12 €

De l’improbable, Marie-Claire Bancquart (par Didier Ayres)

 

Passage

Le recueil, que publient à titre posthume les éditions Arfuyen, de textes inédits de la poétesse et professeure Marie-Claire Bancquart, instruit diversement. Tout d’abord comme témoignage de l’agonie sublimée où ces textes prennent place, formant l’arrière-fond de la rémission temporaire d’une longue maladie en une sorte de renaissance brève, oserais-je dire. Puis, comme écriture, sachant qu’il est vain évidemment de séparer les deux bords du poème : la vie et la langue. Et pourtant, rien de morbide dans cette leçon de philosophie morale, où j’ai retrouvé la même force d’exister que dans le Sénèque des Lettres à Lucilius, empreintes des ombres de la mort, mais tournées vers la force de l’esprit et de la pensée. Et même si la mort sous-tend ces pages denses et émouvantes, on suit ce travail d’écriture, d’écriture du regain en un sens, puisque même le destin et sa frontière entre vie et trépas s’abolissent et nous obligent à réfléchir, poussent chacun à ses propres leçons de ténèbres.

En souvenir de lui-même

ne sait trop quelle survie mettre en œuvre.

N’en a plus que pour quelques semaines.

Alors quoi écrire, et comment ?

Ton dégagé ? Espèce de messe ?

Ton insolent ?

Ou s’arrêter d’un coup, mais lequel ?

 

Je rapprocherais l’esthétique de ce texte de L’Ecclésiaste ou de la peinture de vanité, de ces natures mortes qui se situent dans la continuité de l’Âge baroque. Et pour ce qui concerne l’aspect intellectuel, il faudrait sans doute revenir aux pages qui consignent le Socrate apprenant la musique alors qu’il est condamné à mourir. D’ailleurs, le premier poème du livre m’a fait penser à une épigraphie, sorte de prière écrite en majuscules, où on distingue une espèce d’épitaphe, travail inversé d’une encre sympathique, laquelle rejouerait une gravure dans la pierre. Donc, on y voit toute la fragilité humaine devant ces questions si importantes et en définitive sans issue, du destin et de la fin de toutes choses. Oui, la mort.

Mais surtout, en lisant davantage le recueil, je me suis dit que tout était question ici de passage, de moment de traversée, de cheminement vers un ailleurs, de route, de liaison aussi entre soi et sa destinée. Le passage donc de la vie à la mort, de la santé à la maladie, d’une personne humaine s’adressant à Dieu, passage aussi du monde dans le poème. Ainsi, créature inquiète et étonnée, l’être humain fait ce voyage, et parfois retourne le sens de son destin, et passe dès lors de la mort à la vie, de Dieu vers soi-même, ou du poème vers le monde.

C’est là le tremblement, là où l’on voit l’écriture se faire écoute, se penser en suspens, tressaillir devant sa propre agonie, instant sans certitude cependant mais qui oblige à poursuivre jusqu’au bout le devoir d’écrire, de communiquer à autrui, d’instruire le procès de la mort que chacun jugera – ou qui jugera de chacun.

 

Attendant les paroles de la maladie

que signifie cette main

agrippée

on ne sait trop si c’est à la mort

ou à la vie ?

 

De fait, je crois que cette poésie cherche l’épure, tout autant par l’utilisation sans aucune afféterie d’un langage intérieur, que du point de vue de l’instruction morale à quoi nous convient ces dialogues avec le tombeau. Car pour le lecteur, c’est une conversation avec lui-même à laquelle il se livre, pour trouver le secret de la cendre, de cette cendre de la cendre qu’est le langage selon Derrida. Il faut ainsi dans cette quintessence esthétique, chercher un salut par l’heure de la fin.

 

Didier Ayres

 

  • Vu: 1203

A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

Lire tous les textes et articles de Didier Ayres


Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.