De face, de profil, de dos, George Besson, Henri Matisse
De face, de profil, de dos, George Besson, Henri Matisse, février 2018, 296 pages, 25 €
Edition: L'Atelier Contemporain
Matisse tel qu’en lui-même
Oublié aujourd’hui, George Besson (1882–1971) fut une éminence grise de l’art eu égard à sa position officielle à partir de 1947 aux Lettres Françaises où il tint la tribune artistique. Fidèle au réalisme socialiste et au PCF stalinien, il défendit un art qu’il connut autour de 25 ans au moment où il rencontre Signac, Marquet, Bonnard, Van Dongen, Marquet et Matisse. Avec Francis Jourdain, il fonde en 1912 Les Cahiers d’aujourd’hui. S’y retrouvent les signatures de Léon Werth, Octave Mirbeau, Elie Faure, Emile Verhaeren, Jules romain, Valéry Larbaud, Colette et des dessins de Bonnard, Vuillard, Albert André, Matisse, Marquet, Renoir, Rodin, Signac.
Il devint ensuite le directeur artistique de maisons d’éditions avant de se consacrer au journal d’Aragon. Il demeura toujours hermétique à l’abstraction qui pour lui représente un sous-produit de l’idéologie capitaliste et une preuve de l’hégémonie américaine sur l’art. En retour il défendra toujours la figuration et préfèrera Ernest Pignon Ernest à Ernest Pignon et se méfiera de mouvements tels que Fluxus ou les « nouveaux réalistes » pas suffisamment réalistes à son goût. Il saluera officiellement Picasso en tant que compagnon de route du PCF mais son admiration à son égard se limitera à un principe.
Fidèle néanmoins à Matisse jusqu’à la mort de ce dernier, il entretiendra avec lui une correspondance demeurée jusque-là en grande partie inédite. Besson reste à l’écoute d’un peintre qui pourtant l’éloignait de lui-même. Le tableau n’était plus pour Matisse un dehors mais un dedans qui touchait au fond de l’âme par effet de surface. Nul « scoop » dans cette correspondance mais la découverte d’un Matisse attentif et critique envers ceux qui se permettaient des jugements hâtifs sur son œuvre, même s’il savait que les papiers des critiques tiennent sur un journal avec lequel « demain on allumera le feu ».
Matisse prouve que « la rétine d’un critique » n’est pas tout surtout lorsqu’il manque derrière « la qualité d’un cerveau ». Il rappelle que ses qualités instinctives, la puissance de ses dessins, découpages et couleurs sont le fruit d’un long travail de discipline par lequel – comme il le rappelle à Besson – « je mets un peu d’ordre dans mon chaos, en gardant vive la petite lumière qui me guide et répond encore énergiquement aux SOS assez fréquents ». Le créateur ne cesse d’exiger de ceux qui se mêlent de l’analyse de son travail un effort d’intelligence afin qu’ils comprennent que la « simplicité du cœur et celle des moyens » n’est pas facile. Une simple image n’est jamais simple. Et sa prétendue « maladresse » ne déforme qu’intentionnellement.
Matisse souligne combien des « savants négligés » racornissent sa peinture en hypostasiant des théories hasardeuses. Le peintre, contrairement à son image, est parfois cruel mais c’est la manière de défendre son emportement naturel qui fait de lui un peintre d’exception. Chez Matisse existe la mort d’une certaine peinture mais sans la perte de vue avec ce qu’elle est. C’est bien là tout le miracle de la « re-présentation » dans sa prise de distance avec la représentation telle que Besson lui-même pouvait l’entendre. D’où ces sautes ardentes d’« humeur » afin de défendre une intensité qui devint absolue dans le royaume de la peinture.
Avec Matisse il n’existe plus de place pour la maladie de la mort par le « moteur figuratif » que l’artiste a enclenché. Sa diagonale du fou par et entre autres par l’entrée secrète des papiers découpés crée un hors langage de la peinture qui fit retour en elle-même par ce qu’elle n’était pas. Elle devint par une illumination : génialement « obscure » mais loin de tout néant.
Jean-Paul Gavard-Perret
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