David Bowie, L’homme qui venait d’ailleurs, Serge Féray (par Guy Donikian)
David Bowie, L’homme qui venait d’ailleurs, Serge Féray, Le mot et le reste, février 25, 307 p. 24 €
Edition: Le Mot et le Reste
Peut-être eût-il fallu inverser titre et sous-titre de l’ouvrage, pour être au plus près de son contenu. Il ne s’agit pas ici d’une biographie sur la carrière musicale de David Jones, mais de montrer en quoi les différents types musicaux abordés par le musicien le prédisposaient à jouer dans L’homme qui venait d’ailleurs. Ceci étant, l’ouvrage n’omet pas pour autant la carrière musicale de David Bowie, détour indispensable pour la cohérence du texte.
Plus de trente pages sont consacrées à l’œuvre musicale de David Bowie, qui ont pour objet de montrer la surprenante diversité du chanteur. Sa fascination pour les masques – on pense bien évidemment à Ziggy Stardust « et l’éclair rouge et bleu qui déchire la nuit électrique » – l’ont conduit à privilégier différentes facettes de sa personnalité, laquelle est alors comme enfouie sous le mille feuilles de ses personnages. Bowie adolescent voulait faire du cinéma, et « Bowie a fait des films sur disques ». En effet, de nombreux albums sont des « concepts » conçus comme des œuvres, très souvent sombres quoi qu’on en dise.
Le Bowie de Rebel Rebel n’est pas celui de Let’s dance ni celui de Ziggy. Les styles abordés ne sont pas l’effet d’une mode mais celui d’une évolution qui conduit l’artiste à dire qu’il fait du Bowie plus que tel ou tel courant musical.
C’est en 1976 que sort sur les écrans L’homme qui venait d’ailleurs, film britannique réalisé par Nicolas Roeg. Ce réalisateur fait partie, dans les années soixante, du « Free Cinema », la nouvelle vague d’outre-Manche, mouvement qui va « secouer les valeurs de la monarchie insulaire ». On peut voir ou revoir les films de Schlesinger, ou Ken Loach pour son Family life, qui illustrent bien ce courant dans le cinéma britannique d’alors.
En 1969 sort Space Oddity, deuxième album de Bowie, qui fait démarrer véritablement la carrière du chanteur. L’année suivante, Roeg cosigne Performance, dont l’esthétique rompt cependant avec le Free Cinema. A l’inverse de ce qui en fut la signature, « le noir et le gris » étaient privilégiés, « les films de Roeg seront flamboyants, polychromes, hallucinatoires, violents, sexy, rock. Et Performance fait aussi l’apologie de la drogue et du rock avec un Mick Jagger des plus énigmatiques.
« Ce qui m’intéresse dans le cinéma, c’est la syntaxe des films, le déplacement des images, utiliser la juxtaposition des scènes pour faire monter la tension. Cette tension-là, seul le cinéma peut la créer ». Cette déclaration du metteur en scène montre bien ce que Performance voulait illustrer, plus qu’une intrigue, et le titre le confirme, il s’agit « d’exhiber une performance comme on en voit, en ces lysergiques années soixante, dans le domaine de l’art contemporain ». Roeg privilégie ainsi, « avec l’aide du monteur Antony Gibbs, perceptions kaléidoscopiques, collages, transparences, retours en arrière et anticipations –, ce que des critiques français qualifièrent de “recherches techniques sans intérêt” – afin de créer un continuum sensoriel pro-proustien qui traduise la manière dont l’époque psychédélique perçoit le temps ».
Il s’agit donc d’une construction non linéaire que le montage privilégie, ce qui, on peut a posteriori le concevoir, a pu désarçonner nombre de spectateurs. Et ce sont ces aspects qui ponctuent L’homme qui venait d’ailleurs, à quoi il faut ajouter, comme le fit Roeg avec Performance avec un Mick Jagger, un David Bowie dont la présence sur les plateaux a pu gêner producteurs et techniciens. Bowie fut certes attentif aux conseils du metteur en scène, mais il eut à cœur de parfaire son jeu pour innover aussi, mettant en lumière des facettes du personnage incarné qui, a priori, n’avaient pas un intérêt primordial. On se remémore aussi ce que le chanteur rappelle en 1976 : « La renaissance du cinéma va passer par le rock ». Sauf que dans L’homme qui venait d’ailleurs, Bowie ne chante pas, il est acteur à part entière.
Cet ouvrage montre donc deux aspects de ce que fut le tournage de ce film : un ovni dans le free cinema d’alors, avec une déconstruction liée à l’ère psychédélique et une profusion de couleurs et, c’est l’autre aspect du livre, l’énigme que fut David Bowie.
Guy Donikian
Serge Férey, agrégé de lettres, a publié Apocalypse (2000), un roman de science-fiction, et différents essais dont un sur Emmanuel Carrère, Le romancier et ses monstres, et sur Nico, chez Le mot et le reste.
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