Crever la nuit, Philippe Colmant (par François Baillon)
Crever la nuit, Philippe Colmant, Editions Le Coudrier – Mars 2025 Illustrations : Philippe Colmant. 68 pages – 18 €
Edition: Le Coudrier
Le titre de ce recueil, aussitôt lu, nous projette vers un double sens auquel le contenu ne déroge pas. L’insomnie du poète le force à désirer « crever la nuit », à désirer une faille au sein d’une obscurité trop dense, trop longue, à désirer apercevoir, au sein même de sa prison, un trait de lumière. Car la douleur exprimée ici est si aiguë que le poète pourrait bien être près de « mourir » au cours de cette nuit.
L’être aimé n’est plus présent dans ces murs. Le sommeil est introuvable. A l’image de ces feuilles éclairées par un lampadaire, que nous montre la couverture, on a l’illusion de voir et d’entendre des insectes bourdonner autour de l’esprit du poète, assailli par un essaim d’intranquillité. L’environnement, observé, écouté, se dresse devant lui comme un reflet. « Une brise discrète pleure quelque étoile écrasée. (…) au loin, dans les campagnes, la cécité guette, ratisse large. Les labours neufs s’éteignent dans leurs lignes. Les champs en grains cèdent de leur opulence aux rongeurs impénitents. » (p. 8)
Un miroir, assurément, un miroir de bruits et de paysages, où l’on rencontre cet homme, silhouette indéfinie, qui « glisse sur le trottoir, lentement pour ne pas le réveiller » (p. 16), ou cette rue qui « ne dort qu’un réverbère sur deux. » (p. 15) Mais quand « la pluie s’est arrêtée », l’espoir jaillit alors. Momentanément. Et de manière ambiguë. Un couple est aperçu : « Elle pose la tête sur l’épaule de l’homme. Ce n’est pas toi. » (p. 28) Eût-il mieux valu que ce soit elle ?
La langue poétique prévaut par sa délicatesse, et cette délicatesse s’exprime en usant de métaphores qui évitent l’écueil de la facilité. Est-il paradoxal qu’en dépit de cette délicatesse, ou parce que cette délicatesse existe, la noirceur de la douleur se fasse intense ? D’une certaine façon, le résultat est qu’on traverse cette nuit le regard penché sur une suite de tableaux. Hopper est justement évoqué. Le poète crée-t-il ou subit-il ce qui l’entoure ? « Je te vois à présent, entière, à travers un tableau imaginé que je peins des cils. (…) La rosée du cœur perle aux yeux. (…) L’image s’estompe, s’efface. » (p. 34) « [ton absence] est plus douloureuse encore entre ces murs qui nous ont vu respirer. Alors, fuir la réalité, le trou d’air ? Comment ? Ecrire. / La paume de l’espoir me tend un embryon de poème. » (p. 45) Cette nuit met-elle le poète au bord d’une bascule, au bord d’une chute abrupte dans un monde imaginaire, dont il pourrait ne pas revenir ? « J’ai l’impression que le mur a bougé. Combien de pas encore jusqu’à la folie ? » (p. 50) Le retour à l’aube, libérateur, n’en contient pas moins son lot enchanteur d’ambiguïté : « Te voilà. Irréelle. Immobile sur le seuil de l’aube. De quel lointain voyage me reviens-tu ? (…) toi si belle dans ta robe bleu nuit. A éclipser le jour. » (p. 54)
Ce long poème nocturne, avec pour sujet l’absence insoutenable de l’être aimé, recèle une forme d’élégance comparable aux stries laissées par une manœuvre de Soulages, ou au dernier coup d’aiguille passé dans une broderie ouvragée de dentelle noire. Ainsi, si les mots contournent ici la violence avec une grande maîtrise, la sensation de vide qui est léguée n’en est pas moins profonde.
François Baillon
Né en 1964, Philippe Colmant est traducteur de formation. Pendant vingt-cinq ans, il a dirigé sa propre agence en communication écrite, avant de rejoindre l’équipe linguistique française de la Cour des comptes européenne, à Luxembourg. Passionné par l’écriture et la photographie, il signe à ce jour une quinzaine de recueils poétiques et quatre romans policiers.
- Vu : 405