Comme une ombre portée, Hélène Veyssier (par Sandrine Ferron-Veillard)
Comme une ombre portée, Hélène Veyssier, août 2020, 129 pages, 17 €
Edition: Arléa
Une musique, une peinture, une sculpture. Une photographie. La pièce majeure qui suit une existence, la décrit, l’habite. Ou la fait vaciller. Comme si chacun d’entre nous avait un objet qui le bouleverse, un ou plusieurs, qui le traduit.
Ce livre, c’est un couloir d’entrée. Et une peinture. C’est une phrase qui centre et fait basculer toutes les autres. À haute voix et dans le silence. Oui lire à haute voix le silence du livre. La force des images perdues qu’il génère. La réparation qu’il induit. Les formes abominables que les blessures prennent lorsqu’elles cicatrisent.
Elles cicatrisent. 1958, 1981, 1989. Trois seuils. Trois cycles.
J’aurais pu m’arrêter là. Regretter un manque d’épaisseur. J’avais lu vite. En quelques heures j’avais traversé les murs sans l’excitation de la pièce qui suit. L’après.
Je n’avais pris aucune note. J’avais recopié une seule phrase.
Trois jours plus tard. J’ai fait un rêve. Moi aussi, j’avais des membranes à recoudre. Naître de l’autre et renaître par lui, cet autre qui nous a précisément abattu. Le livre et son ancrage, le livre et ce qu’il met à distance. Et dilacère.
Alors j’ai relu. Non pas entièrement, juste quelques passages-clefs, des mots qui portent, page 65, qui teignent les mains comme les mûres la bouche sur les bords des chemins. J’ai relu. La vie, en ombre portée, entrant page 13, dans le couloir, comme si précisément tout commençait dans un couloir. La naissance.
La vie d’adulte, les métiers qui habillent, les peurs qui imbibent et l’amour qui tente tout au bout.
La mort. Le tragique subtil, à l’instar du peintre qui estompe les contours avec ses doigts. Ou un tissu par peur de se salir. J’ai revu l’enfance, la belle enfance pour qui un jardin n’est pas un jardin, c’est un miracle. L’univers entier dans la paume de sa main. Le frère et la sœur si complices. La meilleure amie.
Les grands-parents et les vacances d’été et les fêtes, les gâteaux, les pommes, la balançoire et la bâtisse en pierres mais sans la rivière qui coule tout près. La maison qui sécurise. Les drames. Entre l’ordinaire ou l’anodin. J’avais cru d’abord qu’il ne se passait rien.
Paris, l’Italie, Cahors, Boissières tout près ou presque. La belle enfance et ses déflagrations.
Là toute la puissance du livre, non pas les pages qu’il permet de tourner mais celles qu’il soulève. J’avais sous-estimé son impact. Cette lente maturation qu’est la lecture lorsqu’elle renverse malgré soi.
Une phrase et un tableau. Cent-vingt-neuf pages après. Pouvoir regarder en face la toile sans rompre.
« Cette luminosité miroitante je me l’appropriais, allongée de mon long dans l’herbe, je suivais les flaques de soleil à travers les branches à m’en faire mal aux yeux. Autour la vie palpitait, tout vibrait, bruissait, fleurissait, s’épanouissait, et nous aussi cet été-là, petites filles, à jouer dans la lumière ».
Tableau de Giovanni Fattori, La Rotonde des bains Palmieri.
Sandrine-Jeanne Ferron-Veillard
Hélène Veyssier vit à paris. Elle a publié Jardin d’été, son premier roman, Arléa, 2019.
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