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Comme Dieu le veut, Niccolò Ammaniti (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy 26.09.19 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Italie, Roman, Le Livre de Poche

Comme Dieu le veut (Come Dio comanda, 2006), trad. italien Myriem Bouzaher, 531 pages, 8,30 €

Ecrivain(s): Niccolò Ammaniti Edition: Le Livre de Poche

Comme Dieu le veut, Niccolò Ammaniti (par Léon-Marc Levy)

 

C’est un roman noir. Très noir. Encore un dit-on ? Non UN roman noir, unique en son genre, par sa puissance lyrique, son style qui hache menu, ses personnages époustouflants, improbables, inoubliables. Ammaniti situe son drame dans une banlieue perdue de Turin, peuplée de ces êtres paumés qu’on peut trouver dans les banlieues perdues. Perdus à ce point rarement sans doute. Rino Zena et son jeune fils Cristiano, Quattro Formaggi (qui doit son surnom à sa passion pour les pizzas), Danilo et leurs satellites sont des marginaux d’une extrême pauvreté, qui vivent dans des lieux improbables, la tête bourrée de délires invraisemblables, petits délinquants à la petite semaine. Ce sont surtout des personnages au bord de l’idiotie maladive, dans la grande tradition littéraire des paumés de Steinbeck ou de McLiam Wilson.

Le « chef », c’est Rino Zena. Il est « nazi », affiche des drapeaux frappés de la croix gammée dans son taudis. En fait, c’est lui qui est frappé. Atteint de délires paranoïaques et mégalomaniaques. Le malheureux gamin qui lui sert de fils – le seul personnage à peu près normal de l’histoire – doit subir ce père, qu’il aime profondément. Curieux et impossible chemin initiatique que les pas de ce père.

« Depuis une semaine, son père était fumasse. Quelques jours plus tôt, il s’en était pris à la porte de la salle de bains qui ne s’ouvrait pas. La serrure était cassée. Pendant deux ou trois minutes il avait tenté de batailler avec un tournevis. Il était là, à genoux, jurant, insultant Fratini, le quincaillier qui la lui avait vendue, les Chinois qui l’avaient fabriquée en fer-blanc, les politiciens qui autorisaient l’importation de cette merde, et c’était comme s’ils étaient tous là, devant lui, vraiment devant lui, mais rien à faire, cette porte ne voulait pas s’ouvrir ».

Cristiano incarne l’égarement au sein de cette bande de semi-débiles. Il veut plaire, il veut ressembler à son père et à ses amis, dans une démarche qui relève plus de la négation de soi que de la construction d’une personnalité et d’une identité. Le garçon, d’une intelligence étonnante, incarne une forme inouïe de dédoublement. Il veut être son père dans un élan absurde d’identification. Jusqu’à épouser ses thèses aberrantes dans un devoir scolaire. Une scène d’hallucination pure s’ensuit :

« Qu’est-ce que t’as fait de beau à l’école, aujourd’hui ? lui demanda Danilo, interrompant les pensées de Cristiano.

Aujourd’hui il y avait contrôle d’histoire. Vous voulez que je vous le lise ?

– Lis-le, dit Quattro Formaggi.

– Oui, lis-le nous, répéta Danilo.

– D’accord. – Cristiano sortit la feuille de la poche et se mit à lire « …Nous pouvons recommencer à être une grande nation, pure, comme les antiques romains là ou il y a du travail pour tous et sans les communistes qui ont détruit l’idée de la famille, qui ne croient pas en Dieu et qui ont accepté l’avortement qui est un assassinat d’innocents et qui veulent donner le vote aux immigrés. Fin ». – Il leva la tête.

– Alors, vous avez aimé ? »

Quattro Formaggi appuya sur le klaxon, enthousiaste.

Danilo s’extasiait. « Exceptionnel ! Incroyable ! Surtout le passage où tu dis qu’il faudrait un nouvel Hitler qui fasse des camps de concentration pour les Slaves et les Arabes. Ces salauds, ils nous volent le boulot. Vingt sur vingt ! ».

D’abrutissement en errances délinquantes, de projets de cambriolage jusqu’au cauchemar final, Ammaniti nous emmène dans les ténèbres des laissés-pour-compte, les ravages de la pauvreté et du malheur, les hoquets du monde moderne et de ses « oublis » tragiques. L’écriture est à l’image de la tragédie, tendue, sombre, d’une exigence de chaque instant. Apocalypse now !

 

La traduction de Myriem Bouzaher est d’une parfaite fluidité.

Niccolò Ammaniti, très au-delà du genre du roman noir, est un grand écrivain italien d’aujourd’hui.

 

VL3 (assez haute valeur littéraire)

 

Léon-Marc Levy

 

  • Vu : 1860

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A propos de l'écrivain

Niccolò Ammaniti

 

Niccolò Ammaniti, né en 1966 à Rome, est un écrivain italien et un réalisateur contemporain. Il est notamment le créateur et le réalisateur de la série télévisée Il miracolo. Étudiant en sciences biologiques, il abandonne ses études peu avant ses examens. La légende veut que les esquisses de sa thèse se soient transformées en Branchies, son premier roman (1994). Il est considéré par la critique comme le chef de file du mouvement cannibale, apparu dans les années 1990. En 1995, il publie avec son père, Massimo, célèbre psychiatre, Nel nome del figlio, un essai sur les problèmes liés à l’adolescence. En 1996, on trouve deux publications : la nouvelle Seratina écrite avec Luisa Brancaccio et publiée dans l’anthologie Gioventù Cannibale, mais aussi le recueil de nouvelles Dernier réveillon (Fango) qui le rend célèbre. Un film a été adapté de la première nouvelle par Marco Risi avec Monica Bellucci, L’ultimo capodanno (1998). L’année suivante sort Branchies, interprété par Gianluca Grignani et réalisé par Francesco Ranieri Martinotti. En 2001, il publie Je n’ai pas peur (Io non ho paura), best-seller qui obtient le prix Viareggio. En 2003, Gabriele Salvatores réalise l’adaptation cinématographique de L’été où j’ai grandi, et Niccolò Ammaniti et Francesca Marciano reçoivent pour ce film le Ciak d’oro du meilleur scénario. En 2007, il obtient le plus prestigieux prix italien, le prix Strega, pour le roman Comme Dieu le veut (Come Dio comanda), aussi adapté au cinéma par Gabriele Salvatores. Enfin, en 2012, il coadapte avec Bernardo Bertolucci Moi et toi. C’est un auteur très apprécié à l’étranger, et ses livres sont traduits dans plus de quarante langues. Depuis le 17 septembre 2005, il est marié à l’actrice italienne Lorenza Indovina.

 

A propos du rédacteur

Léon-Marc Levy

 

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Directeur du Magazine

Agrégé de Lettres Modernes

Maître en philosophie

Auteur de "USA 1" aux éditions de Londres

Domaines : anglo-saxon, italien, israélien

Genres : romans, nouvelles, essais

Maisons d’édition préférées : La Pléiade Gallimard / Folio Gallimard / Le Livre de poche / Zulma / Points / Actes Sud /