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Clara lit Proust, Stéphane Carlier (par Martine L. Petauton)

Ecrit par Martine L. Petauton 12.10.22 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Récits, Gallimard

Clara lit Proust, Stéphane Carlier, Gallimard, Coll. Blanche, septembre 2022, 192 pages, 18,50 €

Ecrivain(s): Stéphane Carlier Edition: Gallimard

Clara lit Proust, Stéphane Carlier (par Martine L. Petauton)

 

 

« Proust, avant, ce nom mythique était pour elle comme celui de certaines villes – Capri, Saint-Pétersbourg, où il était entendu qu’elle ne mettrait jamais les pieds ».

Jouissif en diable le petit livre ! On s’émeut, on sourit, on rit – beaucoup, et ma foi, on relit Proust par les yeux ébahis de Clara. Ce genre de livre, et d’histoire un peu culottés, peut faire pschitt une fois le regard détourné vers d’autres centres d’intérêt aussi vite éteints qu’allumés, propres aux rentrées littéraires. Cela aurait peut-être été le cas ailleurs, mais il faut compter avec Stéphane Carlier, son art de raconter, son écriture vivifiante et fort maîtrisée, son respect surtout pour Proust et toutes les Clara du monde.

Clara est coiffeuse à Chalon-sur-Saône ; petite main dans le « petit » salon de madame Habib, « chemisier de soie havane ou léopard, bracelets faisant cliqueter ses moindres gestes, et Shalimar, beaucoup de Shalimar… avant de décrocher le téléphone, Mme Habib retire sa boucle d’oreille côté droit ». Le quotidien du salon et de ses clientes rivalise, ou quasi, avec « La Recherche » ; des salons, pas les mêmes, des gens, pas la faune spécifique de Proust, mais dans les deux, ce talent – ce goût – pour coucher sur la page ce qu’enregistre le regard, l’observation fine qui trouve d’emblée ce qui « fait » le bonhomme zieuté. Clara vit avec un beau JB qui l’ennuie en goutte à goutte, décline doucement une vie d’un calme de province où la mort, non moins insignifiante ne peut qu’habiter dans les mêmes tonalités la fin du scénario. Un jour, un client oublie le Poche de la Recherche tome 1 ; Clara ramasse et le livre prend sa place sur son étagère, au droit de L’Appel de l’ange, de Guillaume Musso, et d’un cadeau de son père : « les plus belles randonnées en Bourgogne ». « C’est un dimanche de Mars, en milieu d’après-midi. La neige a cessé de tomber… sur le pouf, en face du canapé, le chat l’observe, l’air de dire – qui êtes-vous et que faîtes-vous chez moi ? JB aide un copain à déménager, le déjeuner des parents a été annulé… ».

Début de la lecture pour Clara ; début de l’addiction proustienne, car c’en est une, ses symptômes, du manque à la folie de l’overdose. « Le rêve d’aller passer dix jours à la campagne, seule, pour ne rien faire, que lire Proust ». Les phrases l’interpellent « telle une main qui ferait signe » ; ça résonne, ça lui cause. Elle aime bien le passé, « les voilettes, les longues robes », et puis elle cherche avec Proust à « ne pas se formaliser de ses phrases à tiroirs et de ses imparfaits du subjonctif ». Elle a bien conscience, pour autant, notre Clara, « qu’on n’a pas l’habitude dans la vie courante d’éprouver les choses de cette façon ». Son voyage en terre proustienne a quelque chose d’exotique. Elle avale, elle est dépendante, elle vit dans cet ailleurs : l’univers de Marcel. Avec des préférences, la grand-mère, Françoise la bonne, des rejets, « la Verdurin », et nous, la suivant, avec l’envie de relire Proust, si ce n’est fait, comparant nos goûts, ce passage, ce moment, avec la lecture silencieuse de la petite coiffeuse. Joli compagnonnage que ce voyage avec elle !

Découverte des vertus thérapeutiques de « La Recherche », le vécu de la rupture amoureuse sous le scalpel de Proust : « ces pages ont le pouvoir consolateur équivalent, voire supérieur à celui du soleil, du chocolat… et elle s’en enfile cent cinquante en trois jours ».

Mais, qu’est-ce-que lire sans communiquer, partager, en parler… entre Mme Habib et Nolwen, sa collègue qui « dit à tout bout de champ – ça va-Y-aller et – cheveu récalcitrant », difficile d’installer Proust. Pourtant, mais il faut découvrir, il y aura des partages, et même, non contente de le lire, elle le dira, son Proust, Clara…

L’œil si particulier de Proust se serait, n’en doutons pas, attaché à cet univers qui tient dans une petite boule en verre : Carla-le salon-Chalon-la neige-le chat, et la Recherche…

En dehors de nous parler de Proust – savamment, on le mesure à la qualité des citations –, Stéphane Carlier réussit ce petit prodige dans ce livre abouti charpenté, plus sérieux qu’il ne semble, Carla lit Proust, et, n’en doutons pas, Proust quelque part lit Carla. C’est le balancement du livre.

 

Martine L Petauton

 

Stéphane Carlier est un écrivain français ; études d’Histoire, puis journalisme ; longue carrière dans la diplomatie. Vit en Bourgogne.

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A propos de l'écrivain

Stéphane Carlier

 

Les gens sont les gens est le troisième roman de Stéphane Carlier. Il a publié Actrice en 2005, et le remarqué Grand Amour en 2011.

 

A propos du rédacteur

Martine L. Petauton

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Rédactrice

 

Professeure d'histoire-géographie

Auteure de publications régionales (Corrèze/Limousin)