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Charles Molina, Monographie (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi 19.09.25 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Arts

Charles Molina, Monographie, 192 p., bilingue, éd. Skira, août 2025

Charles Molina, Monographie (par Yasmina Mahdi)

Skira publie la première monographie d’un jeune acteur de la scène artistique contemporaine américaine, Charles Molina. Né à Aventure Miami en 2001, Charles Molina « samplait » sa peinture, s’inspirant de l’expressionnisme abstrait, du hip hop ou de la musique électro. Il avait suivi un cursus à l’École d’art Saint-Luc à Bruxelles, avant d’être admis à la Miami Arts Charter School de Wynwood. D’autre part, il avait collaboré avec le rappeur XXXTentacion (né en 1998 en floride, assassiné en 2018). Charles Molina, lui, a disparu à l’aube de sa vie, en 2021.

Cent-trente-cinq reproductions de qualité permettent d’accéder à un large éventail de l’œuvre de cet artiste américain. Des photographies, dont l’une d’enfance et les autres prises dans son atelier, un manifeste de l’artiste ainsi qu’un entretien avec Capucine Milliot, responsable de la communication de la galerie Nahmad Contemporary de New York, complètent cet épais catalogue. Catherine Milliot qualifie sa peinture de « frénétique et rebelle », créée dans un « sentiment d’urgence ». Expression qui rejoint celle du street art, élan artistique qui requiert en priorité immédiateté et rapidité à propos de peintures réalisées dans l’espace public urbain.

Les sujets de Charles Molina sont réhaussés par une richesse et une profusion de couleurs. Les différentes nuances de bleu, d’ocre et de rose, la liquéfaction de la matière, les chutes de coulures, l’importance de la masse chromatique, forment des sortes de circulation tellurique. Cela n’est pas sans rappeler les toiles saturées d’Helen Frankenthaler (1928-2011), dans lesquelles la couleur est libérée de son contexte objectif et devient le sujet en lui-même. Les Planches de I à IV, elles, sont sanglantes.

Ailleurs, Molina écrit des bribes de phrases en anglais et en français sans souci de linéarité, incluant un blaze (Mia, 2021). Ses aplats blancs viennent neiger et recouvrir le marker, l’aérosol ou le pastel. Charles Molina travaillait en relation avec certains courants esthétiques américains, issus de l’école des all over, initiés par Jackson Pollock (1912-1956), incarnant l’action painting, la peinture gestuelle, peinture qui est une expérience et un combat. Sans doute Molina (qui signait ses œuvres) poursuivait-il ce registre pictural ?

Là, il incorpore des collages - morceaux de cartons, papiers découpés, visages flottants - à ses travaux à l’huile, parfois produits sur une planche en plastique. Pour ce, il utilise diverses techniques, comme le graffiti, la fresque, le pochoir, le sticker, l’affiche, la bande-dessinée, la photographie, les incrustations de matériaux dans la peinture à l’huile, à l’instar du yarn-bombing (le tricot-graffiti) ou du tape art (art du ruban adhésif). Ainsi, le tableau est divisé en plusieurs parties, sans hiérarchie spatiale. Des petits formats carrés (Band Project, 20,3 x 20,3 cm, 2018) côtoient WhatAboutScoobaDivingTonight (91,4 x 152,4 cm, 2018) ou Mermaids Don Sing Like the Ocean (101,6 x 101,6 cm, 2019). Les teintes dominantes sont le rose tendre, le bleu et le vert acidulés, combinant une joyeuse explosion florale. Le blanc revient pour recouvrir, apaiser peut-être l’accident… Des dessins préliminaires figurent à côté de la réalisation finale. Des traces subsistent sur la toile titrée Melting Pot, des marques de semelles de chaussures. Les signes réduits à l’essentiel, jetés, font penser à la peinture rupestre. Des dessins préliminaires permettent de réaliser combien le trait de Charles Molina est décidé, rigoureux et technique (voir la vision apocalyptique de la grande cité, pages 160/161).

Le noir fait également irruption, absorbant le fond, les objets abstraits, les corps silhouettés. L’on songe à Egon Schiele en voyant le très bel autoportrait, Self-Portrait de 2019, où une moitié de visage est mise à nu, révélant une tête de mort. Cette figure décharnée semble incarner l'angoisse existentielle, la solitude et même la souffrance, dans une œuvre empreinte de violence. Dans le magma de coloris, l’on distingue des murs, des remparts, des morceaux de ville, contre lesquels bute un personnage en pied ou un visage. La bombe aérosol rend la surface lisse et brillante.

La spontanéité gestuelle, le chaos apparent, l’espace fracturé, les pictogrammes, les cicatrices, les assemblages hétéroclites, font partie de la maîtrise plastique de Charles Molina. Des dessins enfantins, des souvenirs d’enfance (Les Simpson), des têtes d’Afro-Américains (un hommage à Jean-Michel Basquiat (1960-1988) ?), des êtres blessés, des formes animales sont repérables, isolés les uns des autres. D’ailleurs, le jeune artiste américain pointe à travers ses poèmes un sentiment d’abandon : « Je suis l’ami de quelqu’un qui n’a pas d’amis, je suis seul ». Les titres de ses tableaux restent énigmatiques : The Monkeys That Abuse Earth’s Technologies, Hall Hallows Eve, Wake Up from the Coffin, etc.

Deux petits travaux (Untitled, 2017), tranchent sur l’ensemble présenté ; l’un où un personnage cagoulé est assis au milieu d’une pièce rouge sang, l’autre où quelqu’un en combinaison sous-marine tient un harpon, au fond d’un océan ou d’un vivarium, avec, en surface, un homme sur un pneumatique. Toutes ces belles pièces picturales ont été édifiées avec fougue par ce natif de Miami, la deuxième commune la plus peuplée de l'État de Floride après Jacksonville, Miami qui fascine par son exotisme, mais aussi la ville où le désenchantement est le plus grand, où la désillusion atteint son paroxysme et où encore, jusqu'au milieu des années 1960, pendant la ségrégation raciale, les Afro-Américains n'avaient pas accès aux prêts immobiliers en dehors de certaines zones, ce qui leur interdisait l'accès au littoral.

 

Yasmina Mahdi



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rédactrice

domaines : français, maghrébin, africain et asiatique

genres : littérature et arts, histoire de l'art, roman, cinéma, bd

maison d'édition : toutes sont bienvenues

période : contemporaine

 

Yasmina Mahdi, née à Paris 16ème, de mère française et de père algérien.

DNSAP Beaux-Arts de Paris (atelier Férit Iscan/Boltanski). Master d'Etudes Féminines de Paris 8 (Esthétique et Cinéma) : sujet de thèse La représentation du féminin dans le cinéma de Duras, Marker, Varda et Eustache.

Co-directrice de la revue L'Hôte.

Diverses expositions en centres d'art, institutions et espaces privés.

Rédactrice d'articles critiques pour des revues en ligne.