Ce que le jour doit à la nuit, Yasmina Khadra
Ce que le jour doit à la nuit, 2009, 441 p. 7,60 €
Edition: Pocket
Qu’est-ce qui détermine la vie d’un homme ? Sa condition sociale, ses origines, ses antécédents culturels, son enfance ? Sans céder jamais à un schématisme facile, Yasmina Khadra nous invite dans ce roman à une double traversée : celle du destin de Younes Mahieddine, jeune algérien vivant dans un village, misérable, nommé Jenane Jato, dans les années trente, et celui de son pays : l’Algérie.
Ce personnage, dont la maison familiale a brûlé, et dont le père s’éloigne de sa famille pour des raisons tant matérielles que morales, est confié à son oncle, un musulman éclairé, progressiste vivant avec une européenne, Germaine, gérante d’une pharmacie à Rio Salado, dans les environs d’Oran. Après avoir découvert la misère dans son village d’origine, l’analphabétisme, la discrimination sociale, toujours présente en filigrane dans le roman, il se frotte au milieu des colons européens ; y découvre l’amitié de certains personnages, André, Fabrice, Jean-Christophe, tous épris du désir de vivre follement leur jeunesse et de profiter de la vie, malgré les nuages qui s’amoncellent sur l’Algérie coloniale.
Ainsi, capte-t-il les échos de réunions secrètes tenues dans la maison de son oncle ; un soir, il reconnaît Messali Hadj, le fondateur du nationalisme algérien : « Un soir, qui ne ressemblait pas aux précédents, mon oncle m’autorisa à rejoindre ses invités dans le salon. Il me présenta à eux avec fierté. (…) Une seule personne se permettait de discourir. Ce ne fut que beaucoup plus tard, en parcourant un magazine politique, que je pus mettre un nom sur son visage ».
Il tombe amoureux d’une jeune fille, Emilie, qui lui restera inaccessible, et à laquelle il avouera la nature de ses sentiments bien trop tard, lorsque cette dernière aura épousé l’un des ses amis, européen.
Le dualisme de prénom accordé par l’auteur au personnage principal, alternativement surnommé Younes ou Jonas rappelle sans cesse cette impossibilité d’une égalité véritable entre européens et indigènes. Younes alias Jonas est déchiré par cette double appartenance, générée par ses origines et ses fréquentations européennes : « Comment avais-je pu me passer régulièrement de cette partie de moi-même ? Avais-je été toléré, intégré, apprivoisé ? Qui avais-je été à Rio ? Jonas ou Younes ? ».
Par le poids grandissant des événements, de la guerre insurrectionnelle qui débute en 1954, puis gagne le village de Rio Salado, à l’occasion d’une première visite nocturne de fellaghas dirigés par Jelloul, un ancien camarade de village, dans le local de la pharmacie de Germaine, la vie de Younes est de plus en plus impactée par les « événements d’Algérie », ainsi nommés à l’époque. Les amitiés avec ses relations européennes se distendent, la mort de son oncle, avocat d’une fraternité jamais advenue, vient rappeler à Younes que son pays est voué à une transformation inéluctable : la fin d’un monde, monde auquel il était relié par ses souvenirs de camaraderie, d’amours inaboutis, de désirs inassouvis vis-à-vis d’Emilie, amour d’enfance inoubliable pour lui.
Ce que le jour doit à la nuit n’est pas un roman historique, ni un roman d’amour. Il établit une magnifique confluence entre les deux genres et donne à tous ces personnages une touche de vérité et d’humanité qui éveille toujours l’intérêt pour leurs destinées respectives.
Stéphane Bret
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