Carnets d’un fou - XXVIII, par Michel Host
« Laissons les jolies femmes aux hommes sans imagination », Marcel Proust, Albertine disparue
# Les femmes ?
Dédierai-je ces Carnets de mai aux femmes, jolies ou moins jolies ? Je m’y appliquerais volontiers. Nous verrons ce qu’il en sortira. À suivre le conseil de Marcel Proust (1), nous nous trouverions prisonniers d’un rude dilemme. Assortis à de jolies personnes, nous manquerions d’imagination. Liés à de moins jolies, nous en déborderions ? À l’évidence, par sauvegarde et nécessité. Je reste dans un doute gênant, car d’un côté, en tant que romancier et nouvelliste entiché de fictions, je ne crois pas manquer complètement d’imagination, et, de l’autre, je n’ai jamais regardé celle à qui j’ai lié mon sort autrement que comme une fort jolie femme ! Ah, Marcel, tu me gâches mon plaisir.
# 1er mai parisien et français
Mme Le Pen s’apprête à nous livrer ses pensées de l’instant politique devant la façade tarabiscotée de l’Opéra. Son vieux papa, qu’elle n’avait pas invité tant il risquait de lui gâter la fête, vient la gâter en effet : il s’extrait du public, escalade la tribune jouant les infirmes à demi, se dresse en houppelande rouge vif face aux militants, déploie ses deux bras et esquisse les pas dansés d’une pantalonnade sublime. Sa fille ne lui accorde pas un regard. La foule assemblée ne sait si elle doit rire ou pleurer. Lepater familias à peine descendu, des photographes et cinéastes apparaissent, acolytes de la presse honnie parce qu’ennemie acharnée du « mouvement » : ils sont aussitôt privés de leurs instruments de propagande inverse, une échauffourée s’ensuit, on échange des horions… On s’imagine être revenus en 1934 ou 1936. C’est dans cette chronologie du moins que les événements nous sont présentés par la télévision, seul instrument de vision du monde dont je dispose au fin fond de la Bourgogne. On croit que tout est terminé et que va finir le charivari. Mme Le Pen n’a pas rouvert la bouche que trois femen, femmes aux seins nus qui, les dévoilant, en dévoient la fonction et la beauté par les slogans politiques qu’elles y inscrivent, apparaissent au balcon d’un grand hôtel voisin : elles déploient des banderoles injurieuses à l’égard du parti de Mme Le Pen, font le salut hitlérien dénonciateur. Cela dure un peu. Le discours de Mme Le Pen est inaudible. Plusieurs hommes vigoureux apparaissent au balcon, déchirent les banderoles, empoignent les perturbatrices, les escamotent. Les uns les voient comme appartenant au personnel de l’hôtel venus faire respecter le règlement intérieur, les autres comme les hommes de main du parti lepéniste envoyés pour que cesse la scandaleuse exhibition. Celle du FN est, en tout cas, diablement fichue. Le journaliste neutre et commentateur dépendant, M. Hondelatte, sans en rien savoir, appellera ces hommes des nervis du FN, ce qui équivaut à « tueurs » dans la langue d’aujourd’hui. C’est quelque peu excessif, me semble-t-il. Spectacle politique à la française, théâtre de boulevard.
Le 2/V/2015
# Un deuxième royal baby nous est né
It’s a girl ! It’s a girl ! brame l’Angleterre en délire. Quelle bonne idée de consacrer ce mois au sexe féminin. Pour l’instant tout va bien. Girls ! Girls !
# RELIQUAT 1 (avril)
Mon séjour bourguignon a grandement limité mes lectures. Compulsant le paquet de presse qui m’attend au retour, je tombe sur quelques articles édifiants.
Les hommes haïssent les femmes, souhaitent les utiliser mais ne peuvent les aimer. Pourquoi ? Une fascination mêlée de mépris, de jalousie et de peur devant leur sexe, me semble l’explication la plus vraisemblable. Mystère de ce sexe ? Puissance créatrice de ce sexe ?
Sur les trottoirs, dans les transports publics : ils leur adressent les grossières invites dont sont seuls capables leur cerveau primitif, leur langue limitée, et parfois les agressent physiquement, les couvrent d’injures si elles n’obtempèrent pas. Cela a nom « harcèlement sexiste ». L’une déclare : « … il m’insultait… Je serrais mes clefs dans ma poche pour me défendre au cas où. En sortant du train j’ai couru jusqu’à ma voiture ». Une autre : « Avant j’avais tendance à répondre. Mais cela envenime les choses On ne sait pas quoi faire, parce qu’on ne sait pas comment ça peut tourner ». Une autre : « Si tu es en jupe, dans leur tête, tu provoques » (Le M. 17/IV). Femmes apeurées donc, privées d’une part essentielle de leur liberté. En a-t-il toujours été ainsi dans ce pays, dans cette ville ? Je m’interroge.
# RELIQUAT 2 (avril)
Dans Le M. des 19-20 avril. Un article d’Annick Cojean relatant le combat mené par les équipes médicales sous la conduite de la docteure Ghada Hatem, gynécologue obstétricienne, pour soulager par « la bientraitance », les misères inouïes des femmes, immigrées pour la plupart, « population la plus hétéroclite et la plus vulnérable qu’on puisse imaginer », ne parlant pas notre langue et se présentant à l’hôpital Delafontaine de Saint-Denis (« l’usine à bébés »).
Énumérons les causes de leurs souffrances : « agressions, TORTURES (je souligne), humiliations, viols, incestes, prostitution… » Se présentent aussi des « Femmes voilées (parfois intégralement avec abaya, niqab et gants) et accompagnées d’un mari barbu et visiblement maître à bord ». On a tout compris. Les violences subies ne sont qu’exceptionnellement abordées spontanément par ces femmes. Elles sont victimes et esclaves psychologiques, se sentent « honteuses, menacées, isolées ». Il y faut de la douceur, des interprètes, des tactiques singulières. « La grossesse étant souvent déclencheuse des premiers coups du conjoint (dans 40% des cas) quand elle ne les accentue pas ». La plus cruelle des violences que beaucoup ont subie (16%) est la mutilation, l’excision ancestrale, pratiquée hors de France, mais parfois aussi en France quoique tenue ici pour un « crime », l’auteure de l’article le laisse entendre au détour d’une phrase : ce fut le cas d’une petite fille de 5 ans (!!) qui rencontra son bourreau exciseur à Noisy-le-Grand. Redoublement de honte et de souffrances pour ces femmes : rapports sexuels sans plaisir aucun, ou douloureux, et accouchements compliqués… Des réparations chirurgicales sont heureusement proposées à l’hôpital Delafontaine. Déclaration de la docteure Ghada Hatem : « Un sous-peuple ! Voilà ce qu’on en a fait, voilà ce qui me révolte et me donne l’envie de faire de la cause des femmes dans le 93 l’engagement d’une vie ». On devinera aisément mon commentaire « intérieur ». Je ne puis reconnaître comme mes frères – qu’on me pardonne, je ne peux ! – ces hommes dépourvus de la moindre lueur de raison, de réflexion, ces brutes que je situe en-deçà de l’animal. Qu’ils obéissent à de stupides préceptes religieux ou ancestraux me paraît aggraver leur cas. N’ont-ils pas à leur disposition, dans notre pays, tous les éléments qui leur permettraient de progresser dans l’ordre de l’ouverture à la pensée ?
# L’objectivité en Histoire
Un jeune chercheur en histoire contemporaine vient d’en faire l’utile observation : Vichy, ce ne fut pas seulement une affaire de pastilles antitussives et de bouteilles d’eau minérale. Qu’on me pardonne mes plaisanteries… parfois, sous la pression, le bouchon saute !
# Le baiser de l’assassin
M. Hollande, notre président, a demandé à être reçu par l’égrotant M. Fidel Castro, grand assassin devant l’Éternel, bourreau et geôlier des esprits libres, inventeur de la qualification de gusanos(vermines !) pour ceux qui ont préféré le fuir, lui et son régime. Les deux hommes se sont fait l’accolade. Le premier n’a aucune idée des mœurs convenables en politique, d’une éthique minimale, le second n’a pas changé un iota à aucune de ses idées.
# Aux créoles haïtiens
À sa décharge, M. Hollande a été dans un rôle plus honorable, en recommandant que l’enseignement du français fût davantage mis à la portée du peuple haïtien qui, lié à la seule langue créole, doit endurer la domination, la morgue, voire le mépris des élites du pays enrichies Dieu sait comment, et qui, elles, maîtrisent la langue française.
# Hommes et femmes
M. Rebsamen, dans sa mise en texte d’un projet de loi concernant les entreprises et leur personnel, a totalement oublié qu’il fallait rappeler aux patrons français leur obligation de réduire l’inégalité salariale persistante entre femmes et hommes. Le vilain machiste va devoir réviser sa copie. Les dames de tous bords politiques lui ont sonné les cloches, qu’il a d’abord fait mine de ne pas entendre. Amusant qu’à l’époque où la plupart des traditions sont jetées aux décharges de l’histoire, certaines d’entre elles résistent à tout !
# Une dame défraie la chronique
Je serai bref : Mme Najat Vallaud-Belkacem, actuelle ministre de l’Éducation nationale, n’ayant jamais exercé de métier dans la société, pas même celui d’enseignante, sans autre qualification à son poste ministériel que d’avoir été une élève moyenne, une étudiante passable, capable d’obtenir une licence en droit mais de manquer par deux fois son entrée à l’ENA, dotée d’un joli minois néanmoins, mère de famille et apparatchik – j’entends « professionnelle de la politique » –, tout droit sortie de l’école aléatoire du socialisme français (trotskisme, maçonnerie, minauderie, laïcisme caricatural, électoralisme furieux, islamolâtrie, arrivisme, clientélisme et copinage), est chargée de rénover le collège. Elle est, pour ce faire, cornaquée, suivie, protégée par le premier ministre en personne. Après avoir lancé les jeunes élèves sur les pistes des activités récréatives et dérivées censées contrebalancer leur ennui et des efforts déclarés au-dessus de leurs forces, elle entreprend de rajeunir (entendre « alléger ») leurs programmes d’études. Les générations antérieures de petits français les ont pourtant fournis, ces efforts, connaissant le bonheur et la fierté de vaincre la difficulté, de surmonter l’obstacle… Ceux d’aujourd’hui ne le pourraient-ils pas ? Les effets les plus visibles de cet aggiornamento laïque (qui n’est pas le premier en date, notons-le, la droite ayant ouvert le chantier avec MM. Edgar Faure, Haby, etc…),sont de briser net les classes « bi-langues », où la langue allemande avait trouvé son périmètre de salvation, de réduire l’enseignement du latin et du grec à n’être plus que les croupions d’un enseignement de l’histoire antique, lui-même croupion d’une chronologie où l’on évitera d’aborder – selon le vœu de M. Peillon – la période située de l’an 800 à l’an 1788, la naissance de notre pays étant, selon lui, datée au jour de la prise de la Bastille. Faire lire La Cantilène de sainte-Eulalie (IXe siècle), La Chanson de Roland, des poèmes de Du Bellay et Ronsard, un sermon de Bossuet, une pièce de Racine, Jacques le Fataliste, un petit roman de Voltaire, Les Misérables, etc., à quoi bon désormais ? Tout cela, qui fait l’ancrage premier de notre culture singulière, serait profondément élitiste tout en relevant d’une ère obscurantiste et déplairait aux petits élèves de nos banlieues, bien que certains d’entre eux aient témoigné du plaisir et de l’intérêt qu’ils prenaient à suivre des cours de latin (*) ! Nous avons là la contre-preuve de l’esprit démissionnaire qui soutient que la difficulté décourage les jeunes esprits. Évidemment, contre ces projets destructeurs se manifestent de fortes oppositions, y compris dans le corps enseignant. Mme Vallaud-Belkacem les lie dans une seule botte de navets : « Les pseudo-intellectuels » – glapit-elle –, fussent-ils écrivains, membres de l’académie des inscriptions et belles-lettres, professeurs au collège de France, académiciens… De cette nouvelle culture-croupion naîtra l’inculture où s’effondrera définitivement l’exigence qualitative et d’excellence qui, pourtant, aide puissamment à la promotion sociale. Proposons ce qui tombe sous le sens : il serait plus efficace, il me semble, de comprendre qu’au-delà des rudiments et connaissances de base, Pierre est fait pour les lettres et Jacques pour les mathématiques, Claudine pour l’astronomie et Sabrina pour la musique (**), et, à partir de cette re-connaissance de chaque élève, au-delà de la sacralisation de l’illusoire et niveleuse manie égalitariste, de travailler avec les uns et les autres dans le sens prioritaire de leurs pentes, de leurs capacités, de leurs goûts et plaisirs, à partir desquels on élargirait leur champ de connaissances. Tout cela, ainsi que le préconise M. Luc Ferry, doit avoir pour socle un enseignement primaire solide, donc repensé, et être suivi d’une entrée au collège où un enseignement technique revalorisé, diversifié et modernisé par la maîtrise des nouvelles technologies, ne sera plus considéré comme le signe de l’échec, mais, comme le chemin d’un métier plutôt que celui du bureau de chômage. J’ai toujours pensé qu’un plombier qualifié ou un carreleur compétent sont en meilleure place dans la société qu’un SDF ayant échoué ici ou là dans un parcours scolaire où ses réelles capacités n’auront pas été prises en compte ni bien mesurées ses réelles incapacités (***). Peut-être ainsi Mme Vallaud-Belkacem deviendrait-elle l’héroïne qui exorciserait l’ennui des salles de classe, et qui, dans le panorama scolaire général, porterait les études en France à une visibilité plus positive dans les évaluations européennes et mondiales.
(*) C’était il y a deux années environ, lors d’une émission télévisée concernant l’enseignement dans nos grandes banlieues. La référence exacte m’échappe aujourd’hui.
(**) Il peut arriver, c’est vrai, que Julie ou Albert n’ait de goût ou de capacité pour rien de précis. N’est-ce pas l’occasion de mettre en jeu les efforts conjugués des psychologues scolaires, des parents de bonne volonté et des professeurs perspicaces ? De ménager à l’élève des plages d’attente et de réflexion ? De donner à l’enseignement ses plus utiles dimensions ?
(***) Dans un grand lycée parisien du XVIe arrondissement, j’ai enseigné durant 3 années dans des classes dites de « réadaptation » : en dépit d’efforts surhumains, d’effectifs réduits, mes efforts et ceux de mes collègues se heurtaient à deux murs infranchissables : la totale inadaptation de ces élèves aux exigences minimales de l’enseignement secondaire et l’obstination de leurs parents, de milieux très aisés pour la plupart, à vouloir que leurs enfants obtiennent des diplômes hors de leur portée. À l’encontre de la doxa socialiste, le fond des choses concerne les individualités plus que les classes sociales. Il faut un enseignement adapté à la personne de l’élève, quoi qu’il en coûte à la collectivité. L’enseignement low coast aujourd’hui organisé, cela n’a ni sens ni avenir.
Le M. Ce 15 mai
Confirmation au fond des amphis : un troupeau serré d’historiens des universités déclarent que « les enseignants d’histoire-géographie n’ont pas pour vocation de fabriquer la loyauté nationale de leurs élèves, quand bien même ils le pourraient… » Certes, pas seulement cela, c’est vrai, mais cela aussi, cela d’abord peut-être, qui ne me paraît nullement aller à l’encontre de la pensée universaliste, marque dominante de la France, par ailleurs agaçante donneuse de leçons aux autres nations…
Ils précisent : « Il faut n’avoir pas mis les pieds depuis très longtemps dans une salle de classe pour croire que ce qui se joue dans un cours d’histoire est de l’ordre de l’adhésion à la nation ». On préfèrera donc en rester à ces disciplines critiques des faits passés, lesquels seront uniformément portés à charge contre notre nation, fondateurs de notre iniquité et de notre honte indélébiles. C’est bien ce que l’ordre socialiste de la pensée entend exclusivement par « connaissance critique du passé » au prétexte de ne pas donner dans un étroit et dangereux nationalisme. Déloyauté nationale garantie qui consiste à ne relever que nos fautes et nos manquements ! Nous pourrons ainsi accueillir, ayant mis notre honneur en berne, n’adhérant pas le moins du monde à nous-mêmes, les étrangers de tous les continents, et, pour qu’ils nous apprécient davantage et reçoivent de nous l’idée la plus juste, les faire marcher dans nos incessants crachats sur nous-mêmes. Je n’ai pu être bref, qu’on me pardonne.
# Afrique
Un satrape burundais (M. Nkurunziza) décide d’outrepasser la loi constitutionnelle de son pays : il se présentera pour la troisième fois à l’élection présidentielle, ce qu’elle lui interdit. Le peuple est furieux et manifeste son désaccord. Un aspirant satrape (M. Niyombare) entreprend de soulever quelques bataillons contre les troupes amies du satrape en place. On se retient quelques heures, puis les balles sifflent dans le ciel de la capitale (Bujumbura). Les civils fuient terrorisés. Quoi qu’il advienne, ils « trinqueront » les premiers, ce dont ces messieurs se moquent éperdument. Aux dernières nouvelles, la tentative de coup d’État aurait échoué. Ces événements se déroulent au Burundi, micro-territoire qu’on trouvera entre la République démocratique du Congo et la Tanzanie. Notons que M. Obama soutient le pouvoir en place et son représentant sans foi ni loi.
Le 15/V/2015
Au lendemain de ces faits, nous apprenons que la chasse à l’homme bat son plein dans les frontières du Burundi, que des milliers de personnes menacées ont franchies. Cette caricature africaine paraît affectée d’un grand coefficient de vérité. Plus tard encore, nous apprendrons qu’un modeste opposant tombera en pleine rue sous les balles d’assassins anonymes. Traditions obligent.
# Le pape François se disposerait à reconnaître l’État palestinien. Les autorités israéliennes manquent d’enthousiasme à cette idée. Elles ont certainement tort, mais un peu de bonne volonté leur viendrait sans doute si les Palestiniens renonçaient à leur projet final d’éliminer Israël du territoire où il est établi, si les officiels du Hamas et du Hezbollah effaçaient de leur charte leur intention affichée de détruire Israël, et si l’Iran, avec les mêmes intentions, ne jouait pas de l’intimidation par la maîtrise projetée de l’arme nucléaire. Peut-être alors n’y aurait-il d’autre solution que de négocier véritablement.
Le 16/V/2015
# La plus grande danseuse classique de notre époque, Maïa Plissetskaïa est décédée, le 2 mai, à Munich. Elle avait 89 ans. Je suis on ne peut plus ignare en matière de danse. Elle fut étoile à 20 ans, me dit-on. Son visage était d’une réelle beauté, son cou digne du pinceau de Modigliani et son port d’un hiératisme qui excluait tout ridicule… car, pourquoi le cacher, le tutu de la danse classique m’est souvent apparu comme une convention vestimentaire avoisinant le comique. Le KGB la surveilla constamment. Son père est fusillé par Staline. Elle a treize ans. Sa mère et son frère sont déportés. Comment a-t-elle pu tenir ? On dit qu’elle avait son franc-parler. Le Lac des cygnes lui paraissait un archaïsme, à conserver néanmoins, comme l’école primaire et le collège en France : la base éducative.
Le 16/V/2015
# Seule vraie tâche, écrivais-je le mois dernier, amuser les enfants. Les amuser, certes oui, les faire rire, leur donner ce plaisir, mais non pas les distraire de toute possible pensée.
# Ce matin, sur France-Culture (émission Les Racines du ciel), entendu M. Comte-Sponville, professeur et philosophe, d’agréable conversation. Matérialiste, épicurien, athée non exalté, non prédicateur. Il est du côté de L’Ecclésiaste – « Vanité des vanités, tout est vanité » – sans négliger Le Cantique des cantiques. Je partage ces penchants. Ses matins sont difficiles, les miens aussi. L’aident à vivre : la beauté, les enfants, l’amour, les femmes… Nous allons tous mourir, c’est là le hic. Pascal, Aristote, Sophocle, le « sentiment tragique »… mais, au-dessus du lot, Montaigne, qu’il appelle « philosophe »… quand mes professeurs le classaient dans la section littéraire, le qualifiant de « penseur ». De l’honnêteté avec un brin d’autosatisfaction sous-jacente. Ou de modestie bien calculée. Notre monde y invite tout le monde. Je vais reprendre Montaigne.
# On ne peut que penser, avec peine et douleur, aux émigrants de partout, jetés dans les bras d’escrocs et de passeurs criminels, sur les rivages méditerranéens et ceux des mers d’Asie. Beaucoup, beaucoup trop périssent de faim, de soif ou par noyade. La Birmanie, la Malaisie les repoussent vers la haute mer. Ces pays n’ont pas cette hypocrisie de dire vouloir les accueillir sans les accueillir. L’Australie paye pour qu’on les reçoive à sa place… Préférer ce « non » définitif à ces « oui, mais attendez… comment allons-nous faire ? » ? Tout au moins, nous ne les rejetons pas au plus loin de nos terres.
Le 17/V/2015
# L’aphorisme
« Il ne faut compter que sur soi-même. Et encore, pas beaucoup », Tristan Bernard, Propos.
# La science m’apprend que la mouche (Drosophila melanogaster), quoique invertébrée, prend la fuite, prend peur en quelque sorte, aussitôt qu’une ombre tente de la survoler. Elle serait donc capable d’éprouver des émotions. Tout enfant, lorsque sous l’instigation d’adultes diptérophobes, je maniais la tapette avec bonne conscience, j’avais bien compris le phénomène. Oui, la mouche est émotive. Grâce à elle, on espère « développer de meilleurs traitements des troubles anxieux ou des syndromes de stress post-traumatiques, liés aux dérèglements des circuits de la peur » (Le M. 20/05/15). Enfin, petite mouche, merci, je n’aurai plus peur de rien.
La science politique m’apprend que Mme Vallaud-Belkacem se déclare, le lundi, ouverte aux négociations avec la plupart des professeurs et la moitié au moins des députés dressés contre sa loi de simplification, d’abaissement et d’anesthésie des collèges du pays ; que, le mardi matin, elle a fait publier le décret-loi au Journal officiel, ses patrons en politique l’ayant décidé pour elle. Voilà une affaire rondement menée. Cela a nom mensonge, traîtrise, marche vers un autocratisme digne du meilleur des soviétismes, premiers pas vers la tyrannie douce – celle qui, en Espagne, fut un temps appeléedictablanda… la dictamolle –, préfigurant l’authentique dictature, celle qui pour parvenir à ses fins s’autorise tous les moyens. Après le « Moi président, la transparence sera partout dans la chose publique ! » nous arrive le « Moi président, un voile obscur sera jeté sur l’action publique ! » Et dire que nous en avons encore pour deux ans d’attente ! Et que la relève nous promet d’être pire encore.
# Curiosité malsaine
Tenté, ce soir, d’écouter le débat entre Mme Vallaud-Belkacem (PS) et M. Bruno Le Maire (UMP) au sujet de la réforme du collège. Inaudible ! On ne se laisse pas parler, on ne s’écoute ni ne s’entend, on s’interrompt, brouille la parole de l’opposant. Le modérateur-présentateur, M. Elkabbach, est incapable de mettre un ordre de succession de parole entre les interlocuteurs. On ne débat pas du fond éminemment pédagogique de la question, on se lance à la figure les slogans, les avis partisans. On fait de l’idéologie sommaire. C’est sans doute excellent pour la promotion personnelle. Pour l’auditeur, c’est insupportable. Dans la réalité des faits, vis-à-vis des jeunes français, nous frisons la forfaiture. Trois gorgées de whisky m’achèveront.
Le 21/V/2015
# À Stains, Aïcha, une petite musulmane de 15 ans, insultée sur les « réseaux sociaux » pour s’être quelque peu libérée des interdits et préjugés musulmans en vigueur autour d’elle, s’est jetée du quatrième étage de son immeuble. Elle est morte. Les propos du maire musulman de la commune –Tout se dit et son contraire, il faut être prudent – et ceux de Mme Buffet (communiste), à l’occasion de ce suicide sont des modèles de dissimulation volontaire des véritables scandales et problèmes, de la langue de bois édulcorante, coranique et politique.
# Les sauvages de Daesh sont dans Palmyre. Les organismes internationaux s’inquiètent de leurs prochaines entreprises de destruction de ces vestiges précieux, uniques, qui appartiennent à tous les humains. Rien n’a été entrepris encore. Il semblerait même que ces dinosaures tentent de s’attirer le bon-vouloir des populations locales. On n’a encore ni égorgé, ni fusillé, ni chassé les habitants de leur domicile. Attendons et voyons !
Le 23/V/2015
# Une bonne nouvelle, enfin !
La radio m’apprend qu’à Palmyre les massacres d’hommes, les viols et ventes de femmes ont commencé. De 200 à 400 morts sont annoncés. On est heureux de savoir Daesh revenu à sa tradition : on a horreur du changement dans les habitudes. Il faut s’attendre à ce que la ville antique soit détruite par les canons. Daesch aime le travail bien fait, ayons confiance ! Ni M. Obama ni M. Poutine ne remueront le petit doigt.
Le 24/V/2015
# Le M. des 24 et 25 mai
Un article illisible, confus et intello-brouillon de Jean-Philippe Domecq. Seule idée positive : que les intellectuels s’astreignent « à proposer chaque fois qu’ils critiquent ». Ce que J.-P. Domecq, précisément, ne fait pas ! Et face à cet article obscur, une lumineuse contribution de Danièle Sallenave, « fille et petite-fille d’instituteurs socialistes… » On ne remédiera pas à l’inégalité des chances des élèves « en aggravant le mal comme les médecins de Molière continuaient de saigner le malade déjà exsangue… » « Grâce à un gouvernement de gauche, la France sera en rupture avec la grande volonté républicaine d’inculquer à l’ensemble des citoyens les fondements de leur héritage culturel ». Une réforme « qui menace l’avenir de notre économie, de la science, de la recherche, en ne ménageant pas l’ouverture nécessaire de filières d’excellence au sein des formations générales ». Mme Sallenave rappelle Condorcet : « L’ordre de la nature n’établit dans la société d’autre inégalité que celle de l’instruction et de la richesse et, en étendant l’instruction vous affaiblirez à la fois les effets de ces deux causes de distinction ». Bravo Madame ! Vous oubliez cependant que pour nos dirigeants islamolâtres régressifs, parler d’« héritage culturel », de « filières d’excellence », c’est tendre dangereusement vers l’élitisme, vers les privilèges (dont eux-mêmes jouissent sans entraves), vers la discrimination, vers le nationalisme fascisant… Tous au plus bas, que pas une oreille ne dépasse, ce sera le mieux pour la cité ! – clamaient les Thébains, selon Héraclite. Et Thèbes glissa au néant !
Pour moi, on me fera le reproche de ne jamais prendre la plume pour me répandre dans la presse, dans les colonnes du M., particulièrement. Je l’ai écrit plusieurs fois et l’écrirai encore, la presse bien-pensante ne me publie plus, et depuis longtemps. Je ne lui écris donc plus. Il m’arrive pourtant de proposer des solutions, comme le souhaite M. Domecq, avec cet inconvénient qu’elles ont parfois pour cadre paysager les fossés de Vincennes ! Ceux qui ont étudié un brin d’histoire savent de quoi il s’agit. Pas facile, je vous le jure, d’être qui l’on est.
# Le romancier japonais Kenzaburô Ōe paraît surpris de ce qu’« à ce moment de réflexion sur la fin de [s]a vie… s’est produit l’accident à la centrale de Fukushima… les deux catastrophes personnelle et collective se [confondant] » Le M. des 25-26-V. Étonnant que ce sage homme de lettres n’imagine pas qu’au jour de sa naissance, coïncidèrent cette catastrophe personnelle (tout comme celle de la fin de sa vie) et quelque catastrophe collective aujourd’hui oubliée. « Naître : premiers instants d’une catastrophe masquée par des cris de joie », avait coutume de dire un de mes amis. Il ajoutait parfois : « Mourir, ô joie ! ô délivrance ! Je ne verrai plus tout ça ! »
# Le Père dominicain Najeeb Michaël, quittant Mossoul avec de précieux manuscrits chrétiens et non chrétiens (M., 23/05) et en compagnie de yazidis et de chrétiens orientaux qu’héroïquement il veut tirer de la gueule du monstre Daesch, parlant des troupes de ce mouvement, déclare : « Daesch n’a pas d’humanité, ce sont des animaux ». Il dit vrai, mais la comparaison n’est pas juste : les animaux, créés par le Dieu qu’il honore, ne tuent que sous l’empire de la faim, jamais sous celui d’une idéologie. Daesh est une horde de sous-hommes, les vrais, pas ceux que Hitler et les nazis désignaient comme tels. À propos de la mère du Prophète… mais quoi donc ? Je me tais ! Dites-nous ! Eh bien non, je fais silence. Ce que je pense n’est pas ce que vous pourriez croire : xxxxxautocensxxxxx.
# Cinéma
Cannes : la palme d’or est pour un film français de Jacques Audiard (Dheepan). D’autres récompenses sont tombées. Les dénigreurs du M. sont au travail : « une édition très sombre et moins relevée qu’à l’accoutumée ». Tiens, précisément celle-ci, où la France est honorée… Un autre film français (La Loi du marché] met en exergue l’acteur Vincent Lindon, dans un rôle de « déclassé » social. J’applaudis mais n’irai voir aucun film. J’en vois un tous les quatre ou cinq ans maintenant. Cela me suffit et il y a trop de staphylocoques dans les sièges du cinéma Le Champollion. Quant aux déclassés, les rues de Paris m’en offrent des dizaines chaque fois que je m’y promène. Désolé ! Sorry ! pour ceux qui souhaiteraient davantage à ce sujet.
Le 26/V/2015
# Sujets de réflexion
Il m’arrive d’écouter Radio Courtoisie. On y a débattu récemment de nos modes d’existence futurs.Paresse et ivresse feraient de nous les spectateurs de notre inutilité, de notre soumission aux circensesdivers, sous l’attentive surveillance des maîtres du gouvernement universel et unique, du marché mondialisé et de la finance spéculative. Excitante perspective.
Est-il juste d’accepter, comme vérité et comme évidence indiscutables, des assertions comme : « l’islamisme ce n’est pas l’islam ; le Coran ne propose rien de violent, Allah est le miséricordieux ; le Coran, en tant que parole d’Allah, n’est susceptible d’aucun amendement, d’aucune réforme, d’aucune lecture critique » ?
Le 27/V/2015
# Nous sommes « tracés », autrement dit « suivis à la trace » par des espions lointains, logés dans on ne sait quel nuage… Nous sommes des légumes, des consommateurs et rien d’autre… Je me demande ce qui, dans mes courriels, et peut-être même dans mes écrits non répandus sur la toile, me vaut des publicités réitérées dont les contenus ont trait aux fenêtres à rénover, aux radiateurs électriques et à la lingerie féminine notamment. Certes, j’ai un petit côté espiègle et voyeur, comme tout homme bien né, mais il me semble que l’œil n’est plus dans la tombe désormais, mais dans le cloud ! Ou dans mes poches !
Le 28/V/2015
# Femmes
J’ai souhaité consacrer mes élucubrations de ce mois au thème féminin. Je n’y suis parvenu qu’à demi. Pour qu’on me pardonne, cette plaisanterie de Francis de Croisset, qui concerne aussi les hommes : « Nos aventures passées agacent notre femme, mais la flattent. Les femmes veulent toutes être distinguées par des hommes à bonne fortune, c’est-à-dire par des hommes inconstants ; elles ont l’impression d’être admises à un concours ! Elles souhaitent toutes un don Juan fidèle, autant dire un ivrogne qui ne boit pas ! » – Nos marionnettes.
Michel Host
Fin du Carnet XXVIII – mai 2015
(1) L’exergue est la première citation de l’ouvrage publié aux éditions Payot d’une collection de textes réunis par Serge Sanchez, 160 pp., avril 2015 : Les sautes d’humeur de Marcel Proust
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