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Carnets d’un Fou LIV, LV, LVI, par Michel Host

Ecrit par Michel Host le 20.12.17 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

Carnets d’un Fou LIV, LV, LVI, par Michel Host

 

Juillet, Août, Septembre 2017

 

Journalistes :

[…] Saupoudre-moi d’esprit ces raisonnements, relève-les par un petit filet de vinaigre, et Dauriat est frit dans la poêle aux articles.

[…] leur machiavélisme va pour ainsi dire au jour le jour, et consiste à toujours être là, prêts à tout, prêts à profiter du mal comme du bien, à épier les moments où la passion leur livre un homme.

Balzac, Les Illusions perdues

 

Ces Carnets d’un Fou, écourtés et mis queue par-dessus tête, vont disparaître.

Le mois de janvier 2018 les verra se changer en une autre sorte de chronique que nous présenterons au commencement de l’ultime livraison des Carnets, regroupant les trois derniers mois de l’année 2017. Nous dirons le pourquoi de cette interruption et de cette métamorphose. Déjà l’on peut citer Boileau : « L’ennui naquit un jour de l’uniformité », et de nouveau Horace Engdahl : « Le point de départ de l’écrivain doit être celui du tenancier de bar : ne pas chercher à améliorer le genre humain ? »

 

#. Je pourrais aujourd’hui devenir journaliste. Toute la presse me serait ouverte si je le souhaitais (sauf son rayon « économie », domaine qui me restera toujours obscur) et si l’on voulait bien me proposer un contrat d’embauche : journaux ou revues de droite comme de gauche, du centre et des ailleurs les plus divers. Je sais ce que je peux et ne peux écrire ici, ce que je peux et ne peux défendre ou attaquer ailleurs… Mon esprit est entièrement quadrillé, façonné, informé, déformé, programmé, intégré, désintégré. Plus besoin de liberté de penser. Monsieur, suivez les rails de la pensée admise chez nous et ne vous souciez plus de rien. Vous savez qu’on vous encensera ici, qu’on vous vomira là-bas. Vous aurez ainsi tout loisir de gérer votre « image », votre carrière, votre réputation. Vous déclencherez des aboiements et des salivations pavloviens. Rien ne peut plus vous surprendre. Les attaques contre votre personne serviront votre personne mieux que des louanges. Si vous êtes à court d’inspiration ou simplement las de vous répéter, saisissez l’un de nos éléments de langage et brodez ! Brodez, monsieur !

Une question : me cantonnerait-on à la rubrique des chiens écrasés ? Non. Ce serait d’ailleurs impossible. Il y a bien longtemps qu’aucun chien ni chat ne court plus nos rues, seulement des humains, imbéciles sur-programmés, ultra-connectés, tous consultant leur mini-écran, tapotant sur leur clavier de poche.

Le 1er juillet

 

#. Retour en Bourgogne. Averses diluviennes, chaussée grasse, puis mouillée. On n’y voit pas à dix mètres. Pour doubler un long camion, je monte à 140 km/h, cela dure un peu. Un malade mental du modèle courant me rejoint et se tient à quatre mètres derrière mon véhicule. Si je dois freiner, ce sera le carambolage, l’accident. Ce genre de situation me rend fou. Agrément zéro !

Le 4/VII

 

#. Surdose de campagne électorale. J’ai des vertiges, des nausées. La souris Macron a accouché d’une montagne de députés transfuges, nouveaux impétrants, suiveurs abusés. Le monde des médias souffre de tremblements nerveux. Les deux chambres sont réunies en congrès, Maître Macron leur débite sa harangue sur l’état de l’Union, non ! de la désunion nationale. Promesses réitérées, promesses à réalisation plus tardive qu’on ne l’avait annoncée, nous devons réduire « notre dette » d’abord. Les Français débourseront, seule certitude. Ils savent très bien faire ça. Du fric et des larmes ! C’était couru. Macron n’est pas Churchill.

L’exécutif débat en secret de l’aménagement de l’organisation du travail, les syndicats s’agacent. On légifèrera par ordonnances et décrets. Déjà les dames nouvelles à l’Assemblée préparent le thé et les petits fours.

Les « affaires » ont repris : moralisation de la vie publique ? M. Bayrou, après un mois d’exercices de la morale au ministère de la Justice, est renvoyé à son placard ainsi que deux de ses collaboratrices. Ils pourront ainsi répondre librement de leurs supposées turpitudes financières. Comment être juges et partie, en effet ! On ne les refera pas, et on n’a encore rien vu.

Le 5/VII

 

Selon les règles républicaines, le premier ministre, M. Philippe Édouard ou Édouard Philippe, demande à l’assemblée sa confiance. Elle lui est accordée sans coup férir par sa pléthorique majorité. Les principales promesses n’auront d’effet qu’au terme du quinquennat. La CSG va être augmentée dans quelques mois, la taxe d’habitation supprimée, mais dans cinq ans. Quant à l’impôt sur la fortune… on ne sait trop. Le Français moyen trinquera le premier, à la santé des menteurs et des procrastinateurs. Déjà berné, ou manteado* comme dans Don Quichotte. Après tout, il l’a bien voulu en ne bougeant pas. La tranquillité n’a pas de prix.

Le 6/VII

 

Le contribuable est placé dans une couverture – manta – tenue aux quatre coins par des agents du fisc de forte constitution. On le secoue, on le fait voler dans les airs et retomber jusqu’à ce que ses poches soient entièrement vides. Ingénieuse technique inventée par Cervantès qui, en effet, fut un temps un agent du fisc royal.

 

#. Désopilante nouvelle, la diplomatie française étend ses prérogatives. Mme Ségolène Royal, ex-épouse de Son Incompétence, livrée au chômage et à Pôle Emploi, a obtenu du nouveau gouvernement sa nomination en tant qu’ambassadrice des terres de l’Arctique et de l’Antarctique. On a sans doute tenu compte de ses dons d’ubiquité et de la qualité de sa langue française. Le bruit court qu’elle préparerait, en volapük, deux discours pour la présentation de ses lettres de créance : l’un s’adresserait aux manchots empereurs de l’hémisphère sud, l’autre aux ours blancs menacés d’extinction de l’hémisphère nord. Elle espère en convaincre quelques-uns d’émigrer dans le Poitou, ou vers les zoos de La Flèche et de Vincennes.

Le7/VII

 

#. Madame Veil est décédée il y a quelques jours. Elle connut les horreurs des camps nazis et les honneurs de l’Académie. Les insultes que lui adressa le cinéaste Claude Autan-Lara resteront à jamais une déshonorante ignominie. Madame Veil sera un jour panthéonisée et ce sera bien. Je n’ai rien à ajouter quant à son action de femme politique. On n’ajoute ni ne retranche rien à la vie des saints, moins encore à celle des saints laïques.

Le 8/VII

 

#. Macron est grand et Philippe est son prophète. Nous assistons à la création du dernier monothéisme libéralo-économique. Sa Mecque est à New York, et Médine, sa succursale (jalousée par Shanghai) est à Berlin. Des décennies que nous étions menacés par ce fléau. La gestion-gestation de l’argent est une immense et longue constipation qui demande l’emploi de laxatifs de toutes sortes. Apprêtons-nous à payer le denier du culte et à verser au pot.

Le 9/VII

 

#. La télévision, avec ses multiples chaînes, constitue une étrange machine régressive. Ses feuilletons ineptes lancés par paquets, son goût de la violence fictive reprise du monde réel, ses amuseurs qui donnent envie de pleurer, sa fonction d’agence publicitaire marchande quasi permanente en font un outil puissant de déculturation. Elle ne mérite plus depuis longtemps qu’on lui consacre une seule minute de notre temps. Sans me vouloir le laudateur béat du bon vieux temps, je garde le souvenir des années 60 où n’existait que la seule antenne de l’ORTF, où le public se réjouissait de découvrir les retransmissions filmées des pièces de Sophocle et d’Euripide, parfois même d’une comédie de Molière.

– Madame Françoise Nyssen, notre dernier ministre de la culture, croyait pouvoir annoncer en Avignon un bel effort financier en faveur des artistes et autres agents dits du monde culturel. Elle déçoit tristement ses fidèles : la « dérive » des dépenses ministérielles doit être maîtrisée, arrêtée, le Prophète Édouard le lui rappelle après sa promesse de ne rien retrancher au montant du budget précédent. Lesarbitrages ne sont pas faits, on ne sait quand ils le seront. Cela ressemble furieusement à du hollandisme reprogrammé. Le match n’est pas joué, pourvu que l’arbitre soit bon.

Le 10/VII

 

#. Autour du 14 juillet. Je ne suis la marche en rond de la France que d’un œil distrait. M. Macron, en jeune prince Avenant, fait la nique à ses confrères étrangers et déclencherait même des jalousies secrètes. Pour la fête nationale, il aurait rompu avec la tradition de l’entretien avec des journalistes en vue, au prétexte que l’ampleur, la hauteur, la profondeur de sa pensée sont hors de portée des capacités de compréhension des dits journalistes. Il a entièrement raison. Par ailleurs, selon « SFR-NEWS » (en français sur l’écran !), en Ukraine, « un tueur à gages se faisait passer pour un journaliste du Monde ». Le subterfuge n’a pas dû être bien difficile à rendre crédible. On l’a bien vu lors de la conjuration à la Brutus de toute la presse du pays qui poignarda M. François Fillon avant tout jugement, sans l’ombre d’une preuve émise par une justice-passoire, sur présomption d’actes certes peu vertueux, mais sur présomptions seulement.

M. Macron, toujours lui, organise des concours successifs de « main d’acier » avec le président Donald Trump. C’est amusant, des journalistes, grands débiles, se délectent de ce championnat. Plus ennuyeux selon moi, le même Macron a solennellement déclaré que « La France organisa la rafle du Vel’ d’Hiv » des 16 et 17 juillet 1942. Je ne n’accepterai jamais (et ne suis pas le seul) que « La France » soit confondue avec les « collaborateurs » pétainistes de l’époque, qui chargèrent des policiers français, certes, d’organiser cette capture suivie d’emprisonnement, de déportations, d’assassinats et de spoliations, mais sous l’impulsion et l’ordre des nazis, leurs maîtres admirés. Les Français n’avaient pas conduit le maréchal au pouvoir pour un nazisme qu’ils ne pouvaient deviner, mais parce qu’il avait su, entre 1914 et 1918, rétablir la situation catastrophique du pays. C’est ma façon de voir et de penser.

Le 16/VII

 

#. Romancières. Mme C. Angot fait la une de certaine presse fatiguée, fatigante. Les viols que lui fit subir son papa dans ses très jeunes années, pratiques honteuses certes, et qui déshonorent leur auteur, sont sa pancarte de femme de lettres, son titre à nous entretenir de tout et de rien, à n’avoir donc jamais eu besoin d’apprendre à écrire, à nous rebattre les oreilles de sa plainte perpétuelle. Si l’impôt tue l’impôt, le viol tue le viol.

Mme Maylis de Kerangal, romancière fort en vogue, œuvrant à des bluettes dignes de « Ces dames aux chapeaux verts » nous proposa il y a peu, sur France-Culture, sa divine « master class », comme on dit à Clermont-Ferrand et à Vesoul : ce fut instructif comme jamais ; la France apprit que l’envie d’écrire lui vint dans une résidence d’étudiants de l’Illinois ou du Dakota, qu’elle se livre à son art en musique et que l’idée lui est soudain venue de traiter de la transplantation cardiaque ; pourquoi cette idée plutôt que la fonte des glaces dans l’Antarctique ou la reprise de la tuerie des Cachalots par les pêcheurs japonais ? Nul n’en saura rien, elle ne prit pas la peine de nous en parler.

 

#. Un événement personnel aux répercussions regrettables sur la confection de ce Carnet de l’été 2017. C’est la mi-juillet, en pleine nuit. L’éclairage public est défaillant. Je traverse la cour sans trop y voir, allant au bûcher pour y déposer son petit-déjeuner de l’aube à notre chatte visiteuse de l’été, je heurte un des sacs de plastique noir, destinés à être emmenés à la déchèterie le lendemain, sacs laissés là par négligence, et un billot de bois de quarante centimètres sur lequel je monte par pur réflexe, pour m’étaler de tout mon long assez bref (1,70 m à quoi s’ajoutent les 40 cm du billot). La chute est donc de plus de deux mètres ; je suis tombé sur mon épaule gauche, je hurle, la tête de l’humérus est touchée, on vient me ramasser et on m’allonge pour la nuit. La douleur est terrible, lancinante. Le lendemain, départ en voiture pour les urgences de l’hôpital de Semur-en-Auxois (je le recommande à toutes et à tous, efficacité des soins, grande gentillesse du personnel médical) : je repars pour Tonnerre et m’y couche pour un mois et demi. Je suis bandé telle la momie de Toutankhamon, me mouvoir est presque impossible, les bandages m’irritent la peau, je dois les conserver au moins trois semaines mais les change après quatre jours pour des bandes plus légères maintenues par des épingles de nourrice. Plus même le goût de la lecture ; me mettre devant l’ordinateur ne rime à rien : bien que gaucher, j’enfonce les touches de la main droite, mais ne puis marquer les majuscules et fais trois fautes de frappe à chaque ligne. Cela n’avance pas, toutes mes idées s’égarent. C’est ainsi que la folie et une sorte de rage froide me gagnent. Cela va durer jusqu’à la mi-septembre ; mes Carnets sont en déroute, je les reprends dans une sorte de confusion colérique (affaire de nature, je n’y peux rien) tout en essayant de ne pas rendre l’existence impossible à mes proches… Mon entrée dans la XVIIIe dynastie ne fut pas une réussite : petit accident, grands effets. Ces Carnets, pour peu qu’on leur accorde de l’importance, vont se voir écourtés et leur chronologie de juillet-août et de septembre-octobre se rassembler en deux carnets. Que no se pidan peras al olmo (l’orme ne vous donnera pas de poires), disent les Espagnols ; À l’impossible nul n’est tenu, les Français. Le fait est que mon oscillante constitution mentale ne supporte pas ce choc et que déjà j’envisage de changer ces Carnets en un autre type de chronique.

 

#. Noté dans de courtes périodes de lucidité : M. Erdogan, grand-papa des Turcs, veut « arracher la tête de tous les traîtres qui peuplent son pays » – ça fera du monde, ne croyez-vous pas ? Et aussi emprisonner les journalistes d’opposition… – encore bien du monde, non ? Allah est grand et ses prisons aussi.

#. Chine. Le maître de la Chine ne veut pas livrer son prix Nobel cancéreux en phase terminale aux médecins occidentaux qui le réclament ; il le détenait sur une accusation montée de toute pièce depuis des années ; l’affaire devenait épineuse ; le malheureux est décédé fort opportunément au fond d’un hôpital : de ce qu’est devenue sa veuve on ne sait rien. La Chine est un pays merveilleux, un conte des âges anciens.

 

Définitions-éclairs

Vacances : Période de l’année ou le néant se substitue au vide, ou le contraire. On en a excrété ce mot abominable : « les vacanciers ».

Valise : Bagage dans lequel tient une existence humaine. Certains traversent la leur avec plusieurs valises, voire des coffres et des malles, des camions de déménagement… dans l’illusion de la mieux remplir. D’autres, d’ordinaire sans illusions, heureux parfois, avec un mouchoir noué où ils rangent leurs biens. Avoir des valises sous les yeux : avoir eu une existence très triste. Faire sa valise : ne pas donner suite à une entreprise d’ailleurs compromise depuis le départ. Valise diplomatique : permet d’exporter du caviar, de la cocaïne, des diamants, des photos pornographiques, et bien d’autres choses, parmi des papiers sans importance. « Maux-valises » : le bagage existentiel. « Mots-valises » : dictionnaires, encyclopédies, lexiques, vocabulaires, répertoires, ce lexique y compris, etc.

Vanité : Non pas « le tribut du sot à l’imbécile le plus proche », mais l’inverse. Nous sommes pour une fois dans la désolante obligation de contredire Ambrose Bierce. Elle se distingue radicalement de l’orgueil : « La vanité n’est que d’être sensible à l’opinion probable des autres sur nous. L’orgueil est d’y être insensible » (Paul Valéry).

Vérité : À la vérité, on ne comprend pas pourquoi elle ne forme pas un quartette avec les demoiselles Liberté, Égalité, Fraternité. N’est-elle pas aussi inaccessible que ces trois chanceuses ? C’est peut-être aussi que « trop nue, elle n’excite pas les hommes » comme disait Jean Cocteau. Ce que confirme indirectement Cioran : « Une marotte d’adolescents, ou un symptôme de sénilité ». Si toutefois vous en rencontriez une, ne la dites pas. On ne vous trouverait aucune excuse : « Veritas odium parit » (Térence). Quant aux hommes de Lettres, ils seraient bien mal avisés de vouloir qu’on la leur servît : « Non seulement les auteurs n’acceptent que des éloges, mais encore ils exigent qu’on ne dise que la vérité. Comment faire ? » (Jules Renard).

Vertu : Peut engendrer cet orgueil secret qui a nom hypocrisie. On n’a plus de nos jours de vertus (ni de vices d’ailleurs), seulement des qualités personnelles, des dérives… Quant aux dames… de « grande vertu », elles sont introuvables ; de « moyenne vertu », fort agréables ; de « petite vertu », secourables.

Vestes : On les prend aujourd’hui plus qu’on ne les enfile.

Vide : Se réalise aisément sous certaines cloches et dans la plupart des têtes. Non, la nature ne l’a pas en horreur. Melle de Lespinasse l’avouait – louons sa sincérité : « Ma tête est vide comme une lanterne», aveu digne d’un esprit éclairé.

Vie : Passage dans le vide d’un être issu de rien et retournant au néant. Seule alternance à la mort. Ce pessimisme n’est cependant pas partagé par tout le monde : « Se débarrasser de la vie c’est se priver du bonheur de s’en moquer » (Cioran). Curiosités langagières : « La vie vaut d’être vécue » se dit pour épater la galerie. « Être en vie », affirmation toujours quelque peu présomptueuse, voire outrecuidante. « Conduire sa vie », forfanterie notoire. « Vivre sa vie », s’il fallait, en plus, vivre celle des autres ! « La vie est un enfer », tautologie courante. « Elle ne vaut pas la peine d’être vécue » découle de ce qui précède. « Qui vivra verra », oui, des vertes et des pas mûres. « Passer de vie à trépas », instant où l’on se pose les questions auxquelles on n’a jamais répondu. Par exemple celle-ci « Où est cette vie que nous avons perdue en vivant ? » (T.S. Eliot).

Vieillard : Proche de la délivrance et de celle de la génération qui le suit. « Il va falloir un jour entrer dans la vieillesse. C’est un appartement désert […] Et puis, un jour, soi-même on se déguise en souvenir » (Alexandre Vialatte).

Vin : Procure l’illusion que la vie vaut d’être vécue, et parfois que l’on a du talent. In vino veritas, cet adage nous peint à nos propres yeux sous les trait les plus flatteurs, nous laissant entendre que nous serions capables d’accéder à une vérité, fût-ce en y étant aidés. Reste que toute ivresse se dissipe.

Viol : Moyen et méthode pour ne pas s’autoriser à séduire.

Violence : Elle n’est pas inéluctable, il suffit d’y mettre un peu d’esprit : « Il y a des gens qui retirent volontiers ce qu’ils ont dit, comme on retire une épée du ventre de son adversaire » (Jules Renard).

Vol : Faculté merveilleuse que possèdent les oiseaux de prendre leurs distances et, pour certains humains, non moins enviable aptitude à mettre les biens d’autrui à distance de leur propriétaire. Le vol peut être l’occasion de grandes injustices : « Il y a des larrons qui meurent de vieillesse, et d’autres qui au premier vol sont pendus » (Mateo Alemán).

Volonté : Cette faculté, si nécessaire à tout être que sa mère a mis au monde, est aujourd’hui discréditée et d’un usage très restreint. Il y a la bonne volonté, qui consiste à accepter de faire ce que jamais on n’avait encore accepté, et la mauvaise, qui est ne plus accepter de faire ce que l’on avait toujours fait auparavant. La volonté de Dieu est d’un usage très commode qui permet de se passer de la sienne propre, autrement dit de n’en avoir aucune, ce que le philosophe espagnol José Ortega y Gasset définissait comme « faire preuve d’une grande nolonté ».

Vote : Heure intense de la vie démocratique où l’être doué de jugement, satisfaisant ses vœux les plus secrets, se sait enfin l’égal de qui en est totalement dépourvu. Pour Octave Mirbeau, c’est l’heure où les moutons choisissent leur boucher !

Voyager : Déplacer le problème. Cicéron, je crois, le disait en son temps en un latin châtié et un phrasé plus ample. L’inanité des voyages « remonte à la plus haute antiquité, ou presque » comme eût dit Vialatte. « Le vain travail de voir divers pays », Maurice Scève.

Voyant : Homme qui fait mine de se mettre au service des aveugles. Ambrose Bierce observa parfaitement la voyante : « Personne du sexe féminin capable de voir ce qui est invisible pour son client, à savoir qu’il est un imbécile ».

Voyeurisme : Plaisante occupation qui ne nuit à personne.

Fin des Carnets LIV, de juillet 2017

 

Carnets d’un fou, LV

Août 2017

« Qu’une administration de droite motivée par une cupidité insatiable, maintenue en place par des mensonges criminels et menée par un crétin imbu de ses privilèges puisse répondre aux idées infantiles que se fait l’Amérique des valeurs morales – comment accepterons-nous une situation aussi grotesque ? Comment parvient-on à se protéger d’une aussi insondable stupidité ? », Ph. Roth, Exit le fantôme.

 

#. Je pourrais aujourd’hui devenir journaliste. Toute la presse me serait ouverte. Mes médisances passeraient pour des éloges, mes complaisances pour du courage, mes négligences pour la raison même, mes insolences resteraient incomprises. Je ne sais pourquoi je vous dis tout ça. Au vrai, je me répète.

Le 9/VIII

 

#. C’était hier semble-il, quelque part à Cergy-Pontoise, fief des Seigneurs de Balkany. Six soldats sortent d’un bâtiment à usage militaire, le brave guerrier d’Allah, au volant de sa BMW, leur fonce dessus et disparaît : quatre victimes légères, deux plus graves. Ma réaction est on ne peut plus incongrue : je ressens comme un sentiment d’insécurité. La presse ne souffle mot. Ils nous font la guerre, osent murmurer certains, une guerre à feu lent mais incessante. Certes le docteur Macron n’y est pour rien ni l’émir du Qatar. Pas d’amalgames ! Surtout pas d’amalgames !

Le 10/VIII

 

#. Près de quatre semaines que je n’écris qu’avec un doigt. Difficile, voire impossible. Ces carnets d’août seront très brefs. Il fait vilain temps. Les pieds sur terre, j’ai le mal de mer. Hôpital dans 10 jours.

#. Les députés de la nouvelle chambre, entre autres mesures, ont voté la loi qui rend illégaux les emplois familiaux par eux-mêmes. N’en doutons pas, ils échangeront leurs femmes, filles et nièces. Les intentions sont pour le moins louables. Seuls quelques députés de droite de l’ancienne assemblée, de ceux qui se sont introduits à la dernière minute par la porte entrebâillée du macronisme, luttent encore pour préserver ce privilège inouï, soutenant que sa suppression contreviendrait à la loi générale de l’emploi en France. Ils confondent allègrement l’argent gagné dans la sphère privée par un travail personnel avec celui que l’on prélève sur la sphère publique, hors toute imposition et sans le moindre compte à rendre. Nous étions donc gouvernés par des escrocs protégés par leur propre légalité frauduleuse. Leur banque, c’étaient vos poches, mes poches, nos poches.

Le 12/VIII

 

#. Pensées. J’ai la certitude que l’équipe du Docteur Macron, assise sur l’énorme ventre d’une assemblée d’incompétents et d’escrocs, va nous conduire à un désastre socio-économique sans précédent. Ils ont encore près de cinq ans devant eux pour y parvenir.

Ce que MM. Hitler et Staline n’avaient réussi qu’aux trois quarts, les dirigeants coréens du Nord, les maîtres de la Chine à peu près à cent pour cent, les forces dirigeantes de l’Europe de l’Ouest conduites par les États-Unis, l’Europe de l’argent et le Royaume Uni vont le mettre en marche définitivement. Le contrat sera celui-ci : vous serez tous taillés sur le modèle du consommateur de marchandises dont vous ne discuterez jamais ni la provenance, ni le mode de fabrication, ni les composants, ni les conséquences de leur consommation régulière. Vous ne recevrez aucune éducation au savoir critique, aux savoirs anciens, les dits savoirs étant exclusivement réservés à vos guides économiques. En revanche, vous serez entièrement libres de devenir les supporters de tel ou tel club de football, de vous habiller chez Tati ou chez Balenciaga, de manger du bœuf aux hormones ou aux amphétamines, de partir en vacances en tous lieux de la terre, de voir vos cerveaux vides se remplir de feuilletons stupides et vos oreilles de musiques étourdissantes, de vous loger enfin sous le porche d’une église désaffectée, dans une cité de banlieue où les épiciers vous vendront les drogues les meilleures du marché, ou même dans un hôtel particulier de l’avenue Foch. Vous serez enfin heureux !

Le 18/VIII

 

Définitions Eclairs

Wagner Richard : Inventeur de la musique somnifère.

Wagram : Certains préfèrent la station de métro.

Wait and see : Beaucoup y consacrent leur vie.

Wall Street : Des marchands et des voleurs n’y occupent pas le parvis du temple, mais le Saint des Saints lui-même. D’autres voleurs et marchands rêvent de les en chasser et de prendre leur place.

Wallis-et-Futuna : Îles du Pacifique, territoires français. Aucun Français digne de ce nom ne sait où se trouve exactement Futuna, pas plus que Wallis d’ailleurs.

WASP : Anodine onomatopée pour « White Anglo-Saxon Protestant ». Être qui, s’étant persuadé que sa richesse et sa force plaisent à Dieu, muni de la conscience du devoir à accomplir, passe sa vie entière à voler qui n’est pas de sa tribu et à le réduire à l’esclavage de la misère.

Water-closet : Tour de faïence – version moderne de la « tour d’ivoire » – et l’un des derniers lieux de solitude autorisés pour la lecture et la méditation.

Westphalie : Dans cette région située quelque part à l’est de l’Europe, on fabrique un excellent jambon.

Winston : Ce politicien anglais, l’un des plus spirituels de son temps, fit universellement connaître son nom : Churchill. Parmi ses saillies les plus amusantes, celle-ci au sujet des statistiques : « Je n’ai confiance en aucune statistique, sauf en celles que j’ai falsifiées moi-même ».

X : Sous la mince résille de cette lettre héritée du grec, on prétend cacher aux enfants innocents les horreurs du « sexe au cinéma ». D’autres obscénités, films de guerre, séances désertées à l’Assemblée nationale, massacres d’Europe et de partout, concerts de musique contemporaine, chasse à la baleine, inscription sur écran des cours de la Bourse, etc., sont des spectacles autorisés à tous les âges. Naître sous X : voir le jour dans les locaux de l’École polytechnique. Classé X : à voir absolument.

Xénophile : Sorte de néologisme : l’ami des étrangers. Il n’en est pas de connu avec certitude. Quelques-uns croient pourtant à l’existence du xénophile, et, pour les plus présomptueux, se prétendent tels. En la matière, le doute reste l’attitude la plus sage.

Xénophobe : L’ennemi des étrangers, parce qu’il les craint (gr. Phóbos, fuite, peur…). Les étrangers le craignent à leur tour et la chose n’a plus de fin. Jean de La Fontaine a bien illustré le phénomène :

« Quand des chiens étrangers passent par quelque endroit

Qui n’est pas de leur détroit,

Je laisse à penser quelle fête,

Les Chiens du lieu n’ayants en tête

Qu’un intérêt de gueule, à cris, à coups de dents,

Vous accompagnent ces passants

Jusqu’aux confins du territoire ».

Fin du carnet LV, Août 2017

 

Carnets d’un fou, LVI

Septembre 2017

« Ne jamais être objet de dégoût de soi-même », Denis Wetterwald, Brimborions… Breloques… Broutilles (Éd. Voix d’Encre)

 

#. Le feuilletoniste prend la poudre d’escampette. C’est Éric Chevillard, qui depuis six ans tient le feuilleton hebdomadaire du M des Livres. Il est félicité pour son endurance, et même célébré. En effet, comment souffrir de rédiger une chronique complète tous les huit jours, avec ce que cela suppose de lectures, d’hésitations dans les choix. Ce régime est inhumain et touche à la torture mentale. L’article de Florent Georgesco souligne bien, à propos des cent pages de Défense et Illustration de Prosper Brouillon, écrites par Chevillard (belle façon d’en finir !), combien la digestion des navets et impostures lui fut difficile, combien rencontrer des Prosper Brouillon est pénible, qui n’hésitent pas à écrire que « les deuils aboient », que les « yeux pissent l’amour » et que sont « les sanglots saccadés comme des vomissements de larmes » Ce n’est même pas le degré zéro de l’écriture, mais le moins vingt sous zéro. C’est bien « un malentendu burlesque » qui a fait prendre les mille Prosper Brouillon pour des écrivains et que les éditeurs parfois « prestigieux » les ont édités. L’avantage est que les lecteurs ainsi abusés, après être passés du rire aux larmes, peuvent en toute bonne conscience revenir à l’exercice simple qui consiste à rire aux larmes. « S’occuper des livres des autres » n’est pas une sinécure. Éric Chevillard est bon, qui pense que « la littérature contemporaine compte aussi de bons écrivains, plus nombreux certainement qu’on ne le croit ». C’est, oui, trop de bonté. Sans vouloir être méchant, je tiens à rectifier le propos : moins nombreux… oui, moins nombreux qu’on ne le croit. Si, avec l’auteur de l’article il est possible d’affirmer « [qu’] il n’y a que la prodigalité de la vie, du talent, pour rendre léger », je n’en continue pas moins de penser qu’on ramasse plus de paille que de grain dans cette production papetière himalayesque de chaque « rentrée », et qu’on en fabrique du son avec lequel nourrir les ânes. Pourquoi ne suis-je ni bon ni compatissant, moi ?

Le 19/IX

 

#. Commencer cette chronique de septembre une fois le mois avancé de plus de sa moitié, est-ce montrer un laisser-aller coupable ? Non pas, c’est d’abord se remettre d’une chute qui vous a brisé l’épaule, tenu durant un mois et demi dans l’impossibilité de travailler, de lire même, dans un enragement qui correspond à une sagesse qui m’a toujours fait défaut. C’est aussi cette fumée noire du pessimisme qui vous tombe sur la tête une fois encore et vous décourage : on se voulait stoïque, quoique sachant que la chose n’est pas dans nos cordes, en doutant néanmoins, mais cette fois définitivement convaincu qu’on ne l’est ni ne le sera jamais. C’est ainsi. Affaire de nature. Une décision pratique s’est prise malgré tout : nous avions réduit chacun de nos Carnets d’un Fou à douze pages, nous ferons moins encore et concentrerons nos poisons davantage. Quelques explications viendront en leur temps.

Le 20/IX

 

#. Petit périple en Macronie. La Macronie est cette superbe contrée que les dieux aimèrent, qu’ils peuplèrent d’animaux sauvages et domestiques, qui regroupèrent ses citoyens dans de modestes et gracieux villages, des petites villes, des bourgades sises à la campagne, de plus grandes au milieu de vastes régions ou bien, sous forme de grands et petits havres, en bord de mer, à l’embouchure de ses fleuves. Les dieux ont, à ce qu’il semble, changé leurs avis et leurs décisions par conséquent.

Le 21/IX

Fin des Carnets d’un Fou pour juillet, août, septembre 2017

 

Michel Host

 


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A propos du rédacteur

Michel Host

 

(photo Martine Simon)


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Rédacteur. Président d'honneur du magazine.


Michel Host, agrégé d’espagnol, professeur heureux dans une autre vie, poète, nouvelliste, romancier et traducteur à ses heures.

Enfance difficile, voire complexe, mais n’en a fait ni tout un plat littéraire, ni n’a encore assassiné personne.

Aime les dames, la vitesse, le rugby, les araignées, les chats. A fondé l’Ordre du Mistigri, présidé la revue La Sœur de l’Ange.

Derniers ouvrages parus :

La Ville aux hommes, Poèmes, Éd. Encres vives, 2015

Les Jardins d’Atalante, Poème, Éd. Rhubarbe, 2014

Figuration de l’Amante, Poème, Éd. de l’Atlantique, 2010

L’êtrécrivain (préface, Jean Claude Bologne), Méditations et vagabondages sur la condition de l’écrivain, Éd. Rhubarbe, 2020

L’Arbre et le Béton (avec Margo Ohayon), Dialogue, éd. Rhubarbe, 2016

Une vraie jeune fille (nouvelles), Éd. Weyrich, 2015

Mémoires du Serpent (roman), Éd. Hermann, 2010

Une vraie jeune fille (nouvelles), Éd. Weyrich, 2015

Carnets d’un fou. La Styx Croisières Cie, Chroniques mensuelles (années 2000-2020)

Publication numérique, Les Editions de Londres & La Cause Littéraire

 

Traductions :

Luis de Góngora, La Femme chez Góngora, petite anthologie bilingue, Éd. Alcyone, 2018

Aristophane, Lysistrata ou la grève du sexe (2e éd. 2010),

Aristophane, Ploutos (éd. Les Mille & Une nuits)

Trente poèmes d’amour de la tradition mozarabe andalouse (XIIe & XIIIe siècles), 1ère traduction en français, à L’Escampette (2010)

Jorge Manrique, Stances pour le mort de son père (bilingue) Éd. De l’Atlantique (2011)

Federico García Lorca, Romances gitanes (Romancero gitano), Éd. Alcyone, bilingue, 2e éd. 2016

Luis de Góngora, Les 167 Sonnets authentifiés, bilingue, Éd. B. Dumerchez, 2002

Luis de Góngora, La Fable de Polyphème et Galatée, Éditions de l’Escampette, 2005