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Boulevard Saint-Germain, Gabriel Matzneff

Ecrit par Philippe Chauché 16.12.15 dans La Une Livres, La Table Ronde - La Petite Vermillon, Les Livres, Critiques, Roman

Boulevard Saint-Germain, coll. La petite vermillon, novembre 2015, 224 pages, 8,70 €

Ecrivain(s): Gabriel Matzneff Edition: La Table Ronde - La Petite Vermillon

Boulevard Saint-Germain, Gabriel Matzneff

 

« Jeunes filles, jeunes gens, une règle d’or ; ne reniez jamais les êtres et les écrivains que vous avez aimés et, même si vous ne les aimez plus, même s’ils sont chargés de l’opprobre générale, persistez à les défendre mordicus, ne permettez à quiconque de médire d’eux en votre présence ».

Gabriel Matzneff fait partie de ces écrivains que certains jugent infréquentables, inqualifiables, voire sulfureux, comme, pour d’autres raisons, Richard Millet – le guerrier solitaire – ou encore Marc-Edouard Nabe – le guitariste dissonant –, ils vivraient dans une sorte de Purgatoire, déjà en son temps occupé par Céline, et risqueraient à chaque instant et à chaque livre de glisser vers l’Enfer. La passion affichée par l’écrivain pour les très jeunes corps, ses séjours à Manille, peuvent susciter quelque malaise, ou pour le moins un certain trouble. Trouble récemment accentué par une chronique dans une gazette sur les massacres parisiens, et plus précisément sur les victimes des islamistes armés et déchaînés, cette « génération Bataclan » moquée par l’auteur de La Passion Francesca, et symboliquement détruite par sa plume, en période d’effroi le silence devrait être roi.

Que Gabriel Matzneff se réclame de la transcendance, de l’église orthodoxe, d’une certaine rigueur janséniste, d’un certain art d’être Français, a grand intérêt dans sa traduction romanesque – un journal est un roman, les titres qu’il attribue aux siens le sont à chaque fois : La Prunelle de mes yeuxLes Soleils révolusMais la musique soudain s’est tue –, tout le reste n’est que posture. Le romancier est autre, et c’est cet autre qui mérite nos attentions et parfois nos admirations.

« Fin de matinée. Je sors de chez des amis qui habitent quai de la Tournelle. Je suis saisi par la beauté féérique de Notre-Dame, de la Seine, des arbres, de la lumière vaporeuse qui les enveloppe ».

Ce n’est pas un Boulevard parisien, c’est un roman, un roman que Gabriel Matzneff n’a cessé et ne cesse de traverser dans tous les sens, d’Est en Ouest, du Nord au Sud, sous le regard de l’empereur Julien, de Saint-Simon, de Montherlant, et de Cioran. Pour bien embrasser un roman et ses quartiers, il faut y marcher jour et nuit, y dériver, y déjeuner chez Lipp, y prier et y aimer. L’écrivain sait où il met les pieds, et où il porte son regard, cette rue, cette façade, cette brasserie, cette église, cette librairie, ce jardin public ont en commun d’être chaque jour témoins de l’Histoire de Paris – C’est ici, dans la chapelle (des Missions Etrangères) que furent célébrées les funérailles de Chateaubriand, le 4 juillet 1848, et Alexandre Dumas y assista – Là a vécu Saint-Simon, ici Proust s’est attablé, d’autres complices s’invitent, ils ont pour nom Baudelaire, Casanova, Athos, Racine, Alexandre Dumas, Dominique de Roux, autrement dit Paris.

« Les trois arrondissements de Paris que traverse le boulevard Saint-Germain sont, à l’instar des cinqsestieri qu’à Venise baigne le Grand Canal, peuplés de fantômes. J’écris ceci à Venise où m’accompagnent les ombres de Casanova, de Byron et de Nietzsche, mais à Paris mes complices sont plus nombreux encore ».

Les fantômes des rues, les façades, les brasseries, les chambres d’hôtels sont par nature bienveillants, leurs éclats ont donné son nom à la capitale, ils accompagnent l’écrivain à sa destinée, ses carnets, et ses journaux. Ils veillent sur quelques maisons d’édition, La Table Ronde, Gallimard, ces chapelles royales où les écrivains reçoivent leurs armes : le regard, l’ouïe et la plume. Ainsi adoubé, le verbe de Gabriel Matzneff n’est jamais fade, il est aiguisé et direct, ce n’est pas pour rien qu’un temps, avec quelques complices, il s’est glissé dans la peau d’un mousquetaire, autour d’une table ronde, ils s’y retrouvent deux fois l’an, ce livre en témoignage avec allégresse et parfois nostalgie. Comme il témoigne des disparitions, des amis et des pierres.

« Coulée, la piscine Deligny ? Pulvérisée eût été plus juste. En effet, on pouvait la croire victime d’une série d’explosions ou d’un tremblement de terre, tant cet enchevêtrement de planches brisées – ces planches sur lesquelles je m’étais depuis mon adolescence doré au soleil et qui étaient pour moi des synonymes de dolce farniente, de félicité –, de cabines éventrées, donnait la certitude d’un choc terrible ».

Gabriel Matzneff promène sa nonchalance juvénile et ses humeurs Boulevard Saint-Germain, son étonnement, ses colères, son savoir, et il en fait un livre pétillant, gracieux, un guide minutieux de ses amours, ses amitiés et ses admirations, tel un scribe de la mémoire – La source de l’écriture est le refus de l’oubli, et la mémoire le fondement de toute culture, profane ou sacrée. Ecrivain de l’instant, Gabriel Matzneff sent par effleurements que s’annonce l’avenir, et les tragédies qui le guettent dans l’ombre, son écriture se fait plus dure, craignant finalement de mourir comme Chateaubriand, vieux pauvre et oublié, rue du Bac, à deux pas de son Boulevard littéraire.

 

Philippe Chauché

 


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A propos de l'écrivain

Gabriel Matzneff

 

Gabriel Matzneff, né le 12 août 1936 à Neuilly-sur-Seine, est un écrivain français.

 

A propos du rédacteur

Philippe Chauché

 

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Rédacteur

Domaines de prédilection : littérature française, espagnole, du Liban et d'Israël

Genres : romans, romans noirs, cahiers dessinés, revues littéraires, essais

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Minuit, Seuil, Grasset, Louise Bottu, Quidam, L'Atelier contemporain, Tinbad, Rivages

 

Philippe Chauché est né en Gascogne, il vit et écrit à St-Saturnin-les-Avignon. Journaliste à Radio France durant 32 ans. Il a collaboré à « Pourquoi ils vont voir des corridas » (Editions Atlantica), et récemment " En avant la chronique " (Editions Louise Bottu) reprenant des chroniques parues dans La Cause Littéraire.

Il publie également quelques petites choses sur son blog : http://chauchecrit.blogspot.com