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Aux armes défuntes, Pierre Hanot

Ecrit par Lionel Bedin 29.09.12 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Roman

Aux armes défuntes, Éditions Baleine, 2012, 16 €

Ecrivain(s): Pierre Hanot

Aux armes défuntes, Pierre Hanot

 

La première partie de Aux armes défuntes, roman de Pierre Hanot, commence par un voyage, en 1948, dans le port de Marseille. Polmo (abréviation de Paul-Maurice) embarque pour l’Indochine. Polmo n’a pas beaucoup de culture, « il savait vaguement que là-bas, plus loin que l’Afrique, les gens bouffaient du riz avec des baguettes ». Polmo a raté le début de sa vie de militaire en étant prisonnier des Allemands. Il n’a pas pu tirer un coup de feu. Il a bien l’intention de se rattraper avec les Viets. A Port-Saïd, durant une escale, il se forge l’opinion que l’Égypte est un repaire de brigands, et tombe amoureux d’une entraîneuse. C’est l’aventure. « Par la magie du voyage, il était Surcouf le corsaire, la planète applaudirait ses exploits, l’aventure coucherait dans son lit ». Après seize jours de navigation « vertigineuse de crasse et d’inconfort » la troupe débarque en Cochinchine. Là, Polmo attend la vraie guerre au mess, un endroit minable avec un ventilateur HS, « les mouches copulaient sur les pales immobiles en toute quiétude ». Chez l’aumônier ça n’est guère mieux : « Mon Père, osa Polmo, j’ai abandonné la femme de ma vie en Égypte… Absolution, mon fils ! Lundi nous irons au bordel ». Polmo n’aura pas le temps d’aller voir : vient l’heure de l’accrochage dans la clairière. Dernier voyage. Polmo est tué.

Polmo est mort. Mais la deuxième partie, qui débute en 2109, exploite quelques possibilités scientifiques encore à l’état de théorie en nos années 2012, pour le ramener à la vie. « Cent-quatre-vingt quatorze berges, c’est tout, sauf raisonnable ». Surtout dans un monde qui n’est pas gai. « Les mouettes se posent pour agonir, gavées de mercure ou de capsules de plastique ». La France est « ensevelie au tombeau de la sénescence ». Et Polmo, qui avait été un meneur d’homme un peu raciste sur les bords, se retrouve moins que rien dans un monde de castes, dirigé par les Dominants retranchés sur l’Ile d’en haut, avec les femmes, denrées rares. Sur l’Ile d’en bas : le menu peuple… Maintenant, « l’étranger, c’est lui, en expiation ».

On n’en dira pas plus. Il faut découvrir ce nouveau monde créé par Pierre Hanot, peuplé de personnages plus incroyables les uns que les autres, et qui fait avancer une histoire dont on retrouve des bribes et des idées dans la mythologie (Cerbère, saint Georges terrassant le Dragon), dans les grandes tragédies (les bagnes), dans les grands romans (Robinson, Dante et son Enfer). On passe d’une théorie psychologique à un refrain de musique punk ou de « fucking rock », de la fabrication d’une pagaie à l’utilisation de gadgets à la James Bond. Tout ça est délirant, déjanté. On dirait un opéra-rock. Mais de « fucking rock » !

Ce récit est porté par la gouaille et l’incroyable verve de l’auteur – que l’on devine assez « remonté » contre quelques illusions et vendeurs d’illusions de notre monde, et bien différent d’un mouton qui suit le troupeau… Le style est simple, rythmé, efficace. Le vocabulaire est précis, parfois même soutenu. Quelques concepts historiques et philosophiques sont revus et corrigés, et cette histoire incroyable avance à toute allure avec beaucoup d’humour, souvent grinçant, avec pas mal de jeux de mots, parfois inégaux, et aussi avec beaucoup de poésie (au sens « moderne » hein, Hanot n’est pas Lamartine…) On rentre petit à petit dans cette histoire complètement déjantée et de plus en plus abracadabrantesque, dans ce roman de l’inversion des valeurs, court, violent mais burlesque, délirant, avec une mayonnaise qui prend bien. On en ressort haletant, rincé, essoré.

Les premières lignes : « A l’heure de la sieste, les rues étaient exsangues, Marseille ne bourdonnait plus que par son port et sur les quais, les bidasses embarquaient dans la pagaille. Peuchère, en ville, la guerre aux portes de la Chine, tout le monde s’en battait l’aïoli. A peine pansées les blessures, on venait de survivre encore une fois aux fridolins, pourquoi donc se soucier des conflits à venir, surtout pas de celui-ci, à des milliers de kilomètres, aux extrémités de l’Orient, aux confins de nulle part… »

 

Lionel Bedin


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A propos de l'écrivain

Pierre Hanot

 

Pierre Hanot a été et est maçon, romancier, routard, musicien, professeur d’anglais, poète, chanteur, guitariste. Avec son groupe Parano Band il a beaucoup joué dans les prisons. Plusieurs romans ont été publiés dont Les Clous du fakir, prix Erckmann-Chatrian 2009.

http://www.pierrehanot.com/

 

A propos du rédacteur

Lionel Bedin

 

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Lionel Bedin réside à Annecy (Haute-Savoie). Il est président de l’association La Route bleue (www.laroutebleue.net) pour la promotion de la littérature de voyage, il a créé les éditions Livres du Monde (www.livresdumonde.fr) et il est l’auteur d’une Brève histoire de la littérature de voyage.