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Anthologie bilingue de la poésie créole haïtienne de 1986 à nos jours

Ecrit par Marc Ossorguine 01.09.17 dans La Une Livres, Actes Sud, Les Livres, Critiques, Poésie

Anthologie bilingue de la poésie créole haïtienne de 1986 à nos jours, édition établie par Chalmers, Chantal Kénol, Jean-Laurent Lhéris, 192 pages, 22 €

Edition: Actes Sud

Anthologie bilingue de la poésie créole haïtienne de 1986 à nos jours

 

Haïti terre francophone ? Pour les élites peut-être. Sûrement même. Mais Haïti terre créole. D’abord, sans doute. La langue d’un pays ne saurait être seulement celle de son colonisateur, de quelque langue qu’il fût. Cette anthologie bilingue est donc double découverte pour nous, lecteurs francophones ignorants de la créativité créole : celle d’un langage et celle d’une langue.

Langage de la poésie qui résiste à toutes les catastrophes, à toutes les ignominies, qui sait gronder, rire, bercer, pleurer, aimer, admirer, accuser et plus encore. Sans doute pourrait-on dire cela de beaucoup de poésie, de beaucoup de poètes. Oui, sans doute, sauf qu’ici il semble que chacun soit poète en cette île étonnante. Le poète et romancier Makenzy Orcel nous le confirmait lors d’une rencontre, en Haïti, tout le monde peut écrire de la poésie, et la publier, généralement de qualité. Tout le monde ne fera pas carrière dans le monde des lettres, mais chacune, chacun peut s’y essayer. En créole ou en français.

En Créole haïtien faut-il préciser. Car c’est aussi à une découverte de la langue que nous invite cette édition bilingue. C’est que l’image du créole comme un bricolage linguistique qui n’a pas le statut de langue, auquel on reconnaît tout juste une cohérence et un statut un peu supérieur au sabir ou au pidgin, a la peau dure. A tel point que « créole » reste un mot commun qui désigne plus un sympathique et pittoresque bricolage, pas vraiment sérieux, qu’une langue pouvant prétendre à une noblesse historico-culturelle, comme le français, par exemple. Même si la créolité a été hautement revendiquée par intellectuels et grands auteurs, les créoles sont encore trop perçus comme des dérives, pour ne pas dire des dégénérescences de la langue de la « mère patrie », celle du colonisateur qui fut aussi « trafiquant de bois d’ébène », comme l’on disait pudiquement.

En naviguant entre les deux textes, on peut découvrir le sens (du côté de la sensibilité autant que de la signification) des raccourcis et des images du créole. On peut aussi saisir l’immense écart entre les deux langues et mesurer que les traces que l’on peut trouver ici ou là, une fois que l’on peut comparer les deux textes, sont devenues tout autre chose que des traces. Depuis la chute de la dictature, le Créole se libère et écrit le passé autant que l’avenir de l’île et ce n’est pas pour rien que cette anthologie s’ouvre à partir de l’année 1986.

 

DISCOURS

Une myriade de discours

Défile devant mes yeux

Ma vie c’est ce qui s’écrit

Qui balance des coups de stylo

Sur le cahier de l’avenir

LAPAWOLI

Yon dividad lapawoli

Vi m s on ekritasyon

K ap voye kout plim

Sou kaye lavni (Josaphat Large)

 

Plusieurs des auteurs rassemblés ici n’écrivent pas que de la poésie, n’écrivent pas qu’en créole. Certains noms nous sont même relativement familiers, tels Lyonel Trouillot ou James Noël. Si vous avez cette curiosité et avez déjà eu entre les mains d’autres anthologies haïtiennes, les noms de René Philoctète, de Frankétienne ou de George Castera vous seront peut-être un peu familiers, ou celui de Kettly Mars, romancière déjà publiée au Mercure de France. Grâce à quelques éditeurs attentifs (Mercure de France, Zulma, Vents d’ailleurs), vous aurez aussi pu déjà croiser les écritures de Bonel Auguste ou d’Evelyne Trouillot, mais pour la plupart vous serez fort probablement tels des explorateurs abordant des pages et des écritures inconnues. Des voix qui crient la douleur des ouragans et des trahisons (Le pauvre Droitdelhomme est mort / Le pauvre Droitdelhomme est enterré / Dwadelòm mouri / Dwadelòm entere), la fuite impossible vers le pays dont on ne revient pas et le retour tout aussi impossible vers une terre d’origine perdue dans l’histoire, mais qui chantent aussi la vie, ses couleurs et sa saveur en dépit de tout. Sur les montagnes d’immondices et de ruines où repoussent des villes improbables, malgré les charniers de l’histoire ouverts par les hommes et comblés par les cataclysmes, il y a des démarches qui sont de la danse, des pieds dont la beauté émerveille et des rires qui sont comme des oiseaux.

 

le même oiseau-voyage

renouvelle chaque fois

la promesse de ses ailes

dans ton rire qui ne finit pas

menm zwazo vwayaj la

vin renouvle promès zèl li

nan ri w ki pa janm fini

Le même oiseau / Menm zwazo a (Lyonel Trouillot)

 

Plus qu’à un voyage exotique, c’est à une véritable rencontre du monde que nous sommes ici invités. Laissez-vous guider par les lucioles de la poésie et de la langue, entre colère et rêve, à la croisée des langues et des voix, au-delà des mots.

 

L’encre des plumes

Ne sait pas lire

Elle ignore

Combien de lucioles

Doivent voler dans tes mains

Pour donner des couleurs aux rêves

Lank plim

Pa konn li

Pa konn

Konbyen koukouj

Ki voltije nan men w

Pou bay rèv koulé

Amour et encre / Lanmou lank (Lovely Fifi)

 

Marc Ossorguine

 


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A propos du rédacteur

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Rédacteur

Domaines de prédilection : littérature espagnole (et hispanophone, notamment Argentine) et catalane, littératures d'Europe centrale (surtout tchèque et hongroise), Suisse, littératures caraïbéennes, littératures scandinaves et parfois extrême orient (Japon, Corée, Chine) - en général les littératures non-francophone (avec exception pour la Suisse)

Genres et/ou formes : roman, poésie, théâtre, nouvelles, noir et polar... et les inclassables!

Maisons d'édition plus particulièrement suivies : La Contre Allée, Quidam, Métailié, Agone, L'Age d'homme, Zulma, Viviane Hamy - dans l'ensemble, très curieux du travail des "petits" éditeurs

 

Né la même année que la Ve République, et impliqué depuis plus de vingt ans dans le travail social et la formation, j'écris assez régulièrement pour des revues professionnelles mais je n'ai jamais renié mes passions premières, la musique (classique et jazz surtout) et les livres et la langue, les langues. Les livres envahissent ma maison chaque jour un peu plus et le monde entier y est bienvenu, que ce soit sous la forme de romans, de poésies, de théâtre, d'essais, de BD… traduits ou en V.O., en français, en anglais, en espagnol ou en catalan… Mon plaisir depuis quelques temps, est de les partager au travers de blogs et de groupes de lecture.

Blog : filsdelectures.fr