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André Breton, Julien Gracq – Correspondance 1939-1966 (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché 11.12.25 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Correspondance, Gallimard

André Breton, Julien Gracq – Correspondance 1939-1966 – Présentée et éditée par Bernard Vouilloux et annotée en collaboration avec Henri Béhar – Gallimard – 240 p. – 21 euros – 16/10/25.

André Breton, Julien Gracq – Correspondance 1939-1966 (par Philippe Chauché)

 

« Vous disposez, me semble-t-il, de grands secrets qui ne sont pas seulement ceux de la poésie et c’est ce qui me fait balancer entre l’envie de vous connaître, l’espoir d’accéder par vous à tout autre palier que celui qui est naturellement le mien et la tentation de respecter cet anonymat duquel, m’a-t-on dit, vous refusiez à peu près de vous départir. »

Lettre d’André Breton à Julien Gracq (Dimanche 13 mai 1939)

« Je pense que l’existence de cette conspiration amicale singulière (mais très souvent pour toujours silencieuse) autour de vous vous est assez connue, par d’autres témoignages, et de plus de valeur, que le mien. Je ne tiens pas particulièrement à l’anonymat – sauf à Quimper que j’habite en ce moment – mais vous voir, surtout après votre lettre, représente pour moi quelque chose de très intimidant. »

Lettre de Julien Gracq à André Breton (Quimper, jeudi 18 mai 1939)

 

Ce mois de mai 1939 marque d’une pierre d’or, le premier acte d’une rencontre épistolaire, puis physique, entre deux hommes et deux écrivains de haut vol.  Un jeune écrivain de 29 ans, Julien Gracq, qui a publié son premier roman, Au château d’Argol, qu’il a fait parvenir à André Breton avec cet envoi : À André Breton quoi que tout à fait inconnu de vous, je vous adresse ce livre en témoignage de grande admiration, et l’auteur des Manifestes du surréalisme, de Nadja et de L’Amour fou. Acte fondateur d’une profonde amitié et de grandes admirations, que l’on découvre ici, au fil des lettres, dont le dernier sera la disparition, le 28 septembre 1966, de l’éclaireur infatigable du surréalisme – Je cherche l’or du temps. A la lecture de ces lettres, de ces cartes postales, on ressent l’attachement exceptionnel qui va se nouer entre les deux écrivains, si différents et si proches, ce qu’affine Bernard Vouilloux dans sa précieuse présentation : d’Argol et de son « Avis au lecteur » à la lettre de Breton en date du 13 mai 1939 se met donc en place un arc harmonique qui définit la tonalité à partir de laquelle se développeront les échanges ultérieurs ; elle est haute, elle est de celles qui obligent. Au cœur vibrant de ses échanges, le souhait d’André Breton de voir Julien Gracq participer à un nouveau numéro de la revue Minotaure qui ne verra pas le jour (1), et comme depuis leurs premières lettres, la réponse de Julien Gracq est d’une grande élégance : … il serait plus sage de ne pas compter sur moi, malgré tout le grand plaisir que me fait votre offre de collaborer au Minotaure. ; mais aussi des échanges brillants sur des auteurs, que les deux écrivains lisent et relisent, avec la même attention qu’ils portent aux livres qu’ils écrivent, ou vont écrire, Chateaubriand y figure en belle place et donc en bonne compagnie. Ils se lisent mutuellement, l’admiration que porte Julien Gracq à Nadja et à L’Amour Fou, finalement à tout ce qu’écrit André Breton, se retrouvera ensuite dans son André Breton publié en 1948 : « La seule œuvre véritablement aventureuse de notre époque est peut-être devant nous avec les livres de Breton, et nous ne pourrions en douter que si nous persistions à ne pas tenir compte du changement de signe qu’a subi à l’époque moderne la notion d’aventure. ». Même attachement d’André Breton pour les livres de Julien Gracq, Au château d’Argol, mais aussi Un beau Ténébreux : « … ce livre m’a assailli et m’assaille encore de bien des énigmes : c’est vous dire que je fais mieux que l’aimer, qu’il est de ces choses de plus en plus rares par lesquelles je vis et je vois. ». Comme si pour Breton comme pour Gracq, en se lisant, ils mettaient leurs cœurs à nu. Tous les deux sont également attentifs à la vie de l’autre, la guerre pour Gracq, l’exil aux USA pour Breton, le deuil pour Gracq, mais aussi à ce qu’ils voient, la nature  tient une place unique dans cette correspondance, la lumière l’irrigue. Cette correspondance nous entraine loin des postures que l’on attribue à l’un et à l’autre, loin, très loin des lieux communs très pratiques, pour ne pas lire ce qu’ils écrivent, heureusement, il reste cette correspondance unique, éclairée et éclairante et les livres de Gracq et de Breton, qu’il est peut-être temps de lire et de relire.

 

« Il y a dans notre vie des matins privilégiés où l’avertissement nous parvient, où dès l’éveil résonne pour nous, à travers une flânerie désœuvrée qui se prolonge, une note plus grave, comme on s’attarde, le cœur brouillé, à manier un à un les objets familiers de sa chambre à l’instant d’un grand départ. »

Julien Gracq – Le rivage ses Syrtes

« Qui suis-je ? Si par exception je m’en rapportais à un adage : en effet pourquoi tout ne reviendrait-il pas à savoir qui je « hante » ? »

André Breton - Nadja

 

Philippe Chauché

 

(1) Le Minotaure fondée en 1933 par l’éditeur Albert Skira et Tériade, la couverture du premier numéro est signée Pablo Picasso, le dernier paraîtra en mai 1939 avec une couverture d’André Masson. L’ensemble des numéros en fac-similé sera réédité en 1981 par les éditions Skira.

 

Tous les livres d’André Breton sont disponibles aux éditions Gallimard, ceux de Julien Gracq aux éditions José Corti.

 



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A propos du rédacteur

Philippe Chauché

 

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Rédacteur

Domaines de prédilection : littérature française, espagnole, du Liban et d'Israël

Genres : romans, romans noirs, cahiers dessinés, revues littéraires, essais

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Minuit, Seuil, Grasset, Louise Bottu, Quidam, L'Atelier contemporain, Tinbad, Rivages

 

Philippe Chauché est né en Gascogne, il vit et écrit à St-Saturnin-les-Avignon. Journaliste à Radio France durant 32 ans. Il a collaboré à « Pourquoi ils vont voir des corridas » (Editions Atlantica), et récemment " En avant la chronique " (Editions Louise Bottu) reprenant des chroniques parues dans La Cause Littéraire.

Il publie également quelques petites choses sur son blog : http://chauchecrit.blogspot.com