American Gothic, Xavier Maumejean
American Gothic, Avril 2013, 408 p., 22 €
Ecrivain(s): Xavier Mauméjean Edition: Alma EditeurAu moment où la sortie du film Le Monde fantastique d’Oz rappelle aux Français l’existence du Lyman Frank Baum, dont le roman Le Magicien d’Oz a été rendu célèbre par l’adaptation de Victor Fleming en 1939, le roman de Xavier Mauméjean lui invente un rival, Daryl Leyland (1893-1953), à qui il attribue un recueil de poèmes, de contes et de légendes urbaines : Ma mère l’Oie. Ce recueil concentrerait l’essence de l’imaginaire américain, ce qu’exprime le titre American Gothic repris au tableau de Grant Wood dont les deux paysans à la mine sévère traduisent sa défense de l’Amérique rurale et de sa culture. Mais le livre de Xavier Mauméjean s’attache moins à Ma mère l’Oie, dont il invente cependant des extraits, qu’à la figure de Daryl Leyland, qui constitue le fil directeur d’un roman à la narration éclatée. American Gothic se donne comme l’œuvre du traducteur français de Ma mère l’Oie, qui reproduit les documents liés à une adaptation avortée de l’ouvrage par le producteur Jack L. Warner dans les années cinquante. À cette occasion, la Warner lance sur les traces de Leyland le scénariste Jack Sawyer, auteur d’un mémoire sur Leyland, chargé de vérifier que la biographie de Leyland n’expose pas le studio aux foudres de la sous-commission d’enquête au Sénat présidée par McCarthy. Le roman est ainsi composé pour l’essentiel des rapports de Jack Sawyer, mais aussi d’analyses de l’œuvre ou de la vie de Leyland par un universitaire, de différents témoignages, dont ceux des éditeurs de Leyland, d’extraits de Ma mère l’Oie et d’interventions du traducteur.
La vie de Leyland démarque celle de l’artiste brut Henry Darger, cité en épigraphe du roman, auteur en particulier de L’Histoire des Vivian Girls dans ce qui est connu sous le nom des Royaumes de l’Irréel et de la violente guerre glandéco-angelinienne causée par la révolte des enfants esclaves, illustrée par Darger lui-même : abandonné par son père dans une institution catholique, puis interné, fugueur, Darger passe l’essentiel de sa vie à Chicago, où il travaille pour un hôpital catholique. Xavier Mauméjean reprend non seulement les grandes lignes de la biographie de Darger, mais aussi des détails nombreux, comme sa fascination pour la météorologie ou sa date de naissance, le 12 avril. Le coup de théâtre final, qui paraît une facilité narrative, est empruntée lui aussi à la biographie de Darger.
À partir de la vie de Darger, aujourd’hui reconnu comme un grand artiste, Xavier Mauméjean réussit à créer un roman original autant par sa narration que par le tour presque fantastique qu’il donne au personnage de Leyland, mais aussi à relever le défi redoutable qu’est l’invention d’une œuvre fictive censée être un classique de la littérature. Or, non seulement Xavier Mauméjean a le courage littéraire de proposer au lecteur des extraits de Ma mère l’Oie et une description précise de l’ouvrage, mais il parvient à transmettre au lecteur la fascination éprouvée par les personnages pour un recueil qui se révèle une extraordinaire œuvre d’art brut. Cette fascination s’attache tout autant au personnage de Leyland, à qui Mauméjean sait attribuer le rapport trouble à l’enfance et la cruauté de l’œuvre de Darger, ménageant savamment les lacunes, les contradictions, les doutes, pour faire de son roman une inquiétante machine à fantasmes.
Ivanne Rialland
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