Ainsi parlait Pétrarque, Dits et maximes de vie (par Didier Ayres)
Ainsi parlait Pétrarque, Dits et maximes de vie, François Pétrarque, éditions Arfuyen, octobre 2021, trad. italien et latin, Antoine de Rosny, 169 pages, 14 €
Écriture universelle
Découvrir l’axiologie de Pétrarque est une grande joie littéraire et philosophique. Car cette lecture nous replace au cœur de ce que l’on nomme la sagesse gréco-latine. Tout ici émane du parfum subtil de notre vieil humanisme de la Renaissance – si l’on considère le trecento comme ouvrant sur la Renaissance Italienne. L’homme occidental est défini lui aussi, bien après, par Montaigne et la valeur qu’il donne à « L’Honnête homme », et par l’invention au siècle suivant de la perspective (avec Masaccio). En tous les cas, la poésie change, se transforme, quitte l’emprise féodale et la chanson des troubadours par exemple, pour explorer des sentiers neufs (comme le fait parallèlement Dante Alighieri). Il y a certainement la conscience de l’éclosion d’un nouvel homme – à l’image peut-être de notre temps où l’on ressent la fin d’une conception anthropologique pour une autre acception.
Bien sûr, l’histoire n’explique pas tout. Et il y a certainement le dessin (le dessein), pour les deux langues italienne et latine de Pétrarque, d’une intellection propre à édifier le Prochain et tout bonnement l’être humain du XIVème siècle. Cette confrontation morale entraîne avec elle des thèmes universaux : le temps, la mort, la foi, la vérité, les vérités. Et déjà on retrouve par extrapolation, par hypothèse, les maximes de La Rochefoucauld, ou celles de La Bruyère. Et dans le domaine de la poésie, Les Fables de La Fontaine.
220. C’est là, je l’avoue, le sort des mortels : personne n’est tout-à-fait irréprochable ; l’homme parfait, l’homme excellent, c’est, dira-t-on, celui sur qui ne pèse qu’un petit nombre de fautes sans gravité.
126. Il n’y a rien de moins humain que la sauvagerie et la cruauté, rien au contraire de plus conforme à la nature humaine que la miséricorde et la douceur.
4. Je voudrais enfermer des pensées dans mes vers aussi bien que je le fais dans mon cœur : il n’y aurait au monde âme si cruelle que je ne fisse pleurer de pitié.
Très généralement, cette traversée de la pensée de Pétrarque – qui a influencé durablement l’Occident (au même titre que Dante) – est un voyage de la langue, du discours. D’ailleurs pour revenir à notre temps, François Châtelet dit élégamment que « L’homme est sujet du discours », ce que je prends pour moi comme une autorité de l’homme sur lui-même grâce au discours – religieux ou non.
Et en élargissant mon point de vue, je crois que l’on pourrait retrouver dans cette pensée originale de grands tropes de la philosophie ou de la mystique chinoises, et reconsidérer Confucius ou Lao-Tseu à la lumière de l’humanisme occidental dans lequel est bien ancrée la pensée de Pétrarque. Un dernier mot quand même pour saluer l’érudition du traducteur qui a restitué en français à la fois la lettre latine et l’italienne, ce qui sert admirablement le propos de cet Ainsi parlait.
Didier Ayres
- Vu: 1998