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Ainsi parlait : Charles Péguy, dits et maximes de vie, Charles Péguy, Paul Decottignies (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres le 29.06.20 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Ainsi parlait : Charles Péguy, dits et maximes de vie, Charles Péguy, Paul Decottignies, Arfuyen, mars 2020, 176 pages, 14 €

Ainsi parlait : Charles Péguy, dits et maximes de vie, Charles Péguy, Paul Decottignies (par Didier Ayres)

 

Péguy ou La Recherche de la valeur

Je trouve le principe des dits et maximes de vie, qui font la base de la collection « Ainsi parlait » des éditions Arfuyen, très justifié, à la lecture profuse qui fut la mienne des Cahiers de la quinzaine. Je dis cela car le massif de ces cahiers prend ici, grâce à un choix judicieux, une direction particulière, précise, que ma lecture hasardeuse n’était pas arrivée à déterminer et que Paul Decottignies parvient à dénouer et éclaircir grandement. Ces fragments dressent le portrait d’un homme d’idées et de style, dont on distingue le tempérament, tout en suivant aussi le parcours intellectuel et spirituel, celui d’un grand écrivain attachant et droit.

L’homme s’érige dans ces pages, comme figure intègre, porté à la conception d’un monde d’égalités, et je dirais vers une sorte de paradis primitif et beau qui se rattache à la conversion de la fin de sa vie, dénonçant quand même autant les inégalités sociales que celles provoquées par l’Église. Péguy cherche d’abord la valeur. Non pas la valeur monétaire, surtout pas – et on le voit fustiger l’argent quand on sait par ailleurs combien la parution des cahiers a été moralement d’une droiture économique exemplaire – mais la valeur éthique. La vertu, les distinctions politiques, l’entrain révolutionnaire, une exigence souveraine (que ne trouble pas le levain des Pharisiens de son époque), tout l’intéresse.

Le poète, du point de vue politique, arrive à faire le tri entre le bon grain de l’ivraie, tout en concevant sa position à la lumière de valeurs universelles. Pour lui, réfléchir sur le style équivaut à réfléchir sur le poétique et sur le politique.

La méthode bourgeoise consiste à farder grossièrement les aspects de la vie. La méthode révolutionnaire consiste à changer de vie.

Cet attrait pour l’utopie passe à la fois par une fondation dans une croyance sans église et à celle d’un monde matériel sans argent.

Jésus est du même monde que le dernier des pécheurs ; et le dernier des pécheurs est du même monde que Jésus. C’est une communion. C’est même proprement cela qui est une communion.

C’est donc le pur mérite qui intéresse Péguy. Ainsi, la richesse de son style est une richesse intérieure, celle de simplifier ses pensées et de leur fournir un vêtement sobre, clair, qui illustre ce très vieil adage littéraire de Boileau, « Ce que l’on conçoit bien, s’énonce clairement/ et les mots pour le dire arrivent aisément ». Pour être plus précis, je dirais que j’ai vu chez Péguy un idéal tourné vers le passé, un monde passé qui pourrait être idéal – et qui est sans doute rêvé – monde, utopie d’une espèce de paradis lointain et désiré.

Il n’y avait pas cet étranglement économique d’aujourd’hui, cette strangulation scientifique, froide, rectangulaire, régulière, propre, nette, sans une bavure, implacable, sage, commune, constante, commode comme une vertu, où il n’y a rien à dire, et où celui qui est étranglé a si évidemment tort.

Il y a, à mon sens, des accents pauliniens que met bien en lumière le travail de P. Decottignies. La vertu de croire qui s’installe chez le poète progressivement, se déduit à la fois de sa nature politique, sa couleur, et m’a rappelé ces pages où Paul exige du croyant la charité, qu’il fait passer devant les autres vertus théologales. La charité d’abord. La part du don à autrui comme obligation existentielle. Et là sont à la fois la grande visée humaniste de Péguy et sa force littéraire, son héroïsme, lié à son espoir, sa méfiance de l’argent qui éprouve sa dignité au sens propre, et son courage au milieu des événements et de la guerre de 14. On voit ici un écrivain impliqué et d’une étoffe, d’une envergure qui dépasse le cadre historique de son existence.

 

Didier Ayres

 

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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.