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A propos de L’inconfort du je, Dialogue sur l’écriture de soi, Laurent Herrou, Arnaud Genon, par Michel Host

Ecrit par Michel Host le 20.09.17 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

A propos de L’inconfort du je, Dialogue sur l’écriture de soi, Laurent Herrou, Arnaud Genon, par Michel Host

 

L’inconfort du je, Dialogue sur l’écriture de soi, Laurent Herrou, Arnaud Genon, Jacques Flament Editions, juin 2017 (illust. Couverture, Laurent Herrou), 96 pages, 10 €

(www.jacquesflamenteditions.com)

 

« Ce n’est pas que les mots soient vains, non. C’est que l’écriture nous appelle à rester humble car la vérité est toujours ailleurs »

(p.44, Laurent Herrou)

 

« Words, words, words… »

« Ce n’est pas que les mots soient vains… », certes non, mais enfin… Les titres des livres comme tous les énoncés, gagneraient à ne pas se laisser égarer par la moindre ambiguïté. S’il s’agissait même d’une équivoque, je n’en serais pas étonné. Ici, titre et sous-titre (l’écriture de soi) engageaient ma gourmandise naturelle à se rassasier de quelque réflexion double, d’un dialogue sur l’emploi de la première personne dans la prose (ou la poésie, pourquoi pas ?) avec les chausse-trapes et les pièges que ce choix présentera forcément.

J’ouvre le livre et me trouve engagé dans tout autre chose qui ne m’intéresse qu’à demi. Mais je lis. Le fair-play et la confiance de l’éditeur m’en feraient, si nécessaire, l’obligation. Que lis-je ?

Deux universitaires, l’un toulousain, l’autre établi en Belgique, du côté de Louvain-la-Neuve. Leur particularité à tous deux, ils sont « gays », ce qui leur appartient de plein droit et qu’il ne me viendrait pas à l’idée de discuter. Le mot, cependant… Rouvrant le bref dictionnaire oxfordien dont je dispose à la campagne, je lis : – « Gay » : gai, pimpant (showy : voyant… fastueux). Bien que comprenant la revendication sous-jacente de visibilité pour une catégorie de l’humanité qui fut longtemps tenue de se dissimuler et l’est certainement encore dans bien des parties du monde, qui fut et reste victime de haines et de violences indignes, je trouve que là encore la réalité des faits ne colle, et de loin, qu’à un désir anticipatif, à moins que ce ne soit le contraire, et que la langue anglaise et la langue américaine ne collent pas exactement entre elles… Enfin, je ne sais.

Arnaud Genon et Laurent Herrou entretiennent donc une conversation à distance, distanciée elle aussi dans le temps. Ils n’hésitent pas à nous rappeler les stupéfactions et les souffrances inouïes des années 60, lorsque les communautés homosexuelles furent frappée par le SIDA, venu de nulle part, et que mouraient les parents, les proches, les amis par dizaines, comme frappés en plein travers par une vague séculaire, sans que l’on pût comprendre rien à une telle punition collective ni rien y opposer. Les années 70 et 80 virent naître les premiers espoirs d’amélioration, puis de guérison différée avec les trithérapies. Elles se sont perfectionnées aujourd’hui et l’on comprend et maîtrise mieux cette peste, au point que les dernières générations en arrivent à la croire éradiquée, ce qui n’est pas exactement le cas.

Les figures tutélaires sont abondamment citées, à commencer par les plus emblématiques Hervé Guibert, Michel Foucault… et bien d’autres, moins célèbres, plus rapprochés sans doute du cercle des amis. Parmi ces figures, ce masque de pantomime, Christine Angot, très présente à travers le livre, on se demande pourquoi – est-elle entrée dans la compagnie lesbienne ? Ce n’est pas impossible, mais au fond la chose n’intéresse personne –, elle qui souffrit d’une façon certaine, se fit un paravent et un fonds de commerce de cette souffrance, allant (selon les dernières informations du monde de la scène télévisuelle) jusqu’à prostituer sa totale absence de talent littéraire chez le tenancier d’un bar louche, un certain L. Ruquier, dont le rire d’une vulgarité gloussante et d’une repoussante bêtise fait actuellement honneur, urbi et orbi, à l’esprit français tel qu’en autre chose que lui-même il s’est changé. Mais, il faut ici un brin d’indulgence, car Mme Angot n’est pas la seule à se livrer à ce trafic de sa personne et de ses livres.

La conversation de nos deux auteurs est suivie, abondante elle aussi, mais surtout verbeuse : « Dans mon cas, l’écriture du journal à destination de Flament, était un tout petit peu Plus complexe… ». « J’ai moi-même effacé mes archives mail des précédents comptes… ». « Mais c’est véritablement le journal de Nin qui m’a formaté… ». « Je poursuis sur le journal, je reviendrai plus tard sur la question de l’autofiction et sur celle des influences… ». « En notant cela, on pourrait croire que je pense contre moi-même : j’ai dit plus haut que… ». Cela ahane et s’étend sur des pages et des pages, cela n’intéresse aucun lecteur du commun des mortels, et on peut se demander si les bavards y trouvent eux-mêmes de l’intérêt… Les initiés, oui, peut-être… les amis, le groupe… On nous a habitués à ces ratiocinations sans fin, sans espoir : l’antenne-radio France-Culture y creuse chaque jour et chaque nuit sa tombe, tout un cimetière de mots en somme. Ce qui domine ici (que l’on se reporte aux quelques exemples que je viens de citer), ce sont les « je », les « moi »… Non des instances de l’expression littéraire dans divers genres, non la mesure de leur portée, de leur poids et conséquences sur le récit, mais des premières personnes naïves dans le fond, imbues de leur importance auto-supposée, de ces ballons colorés tenus au bout de longues ficelles qui plaisent tant aux enfants. Nous n’avions pas vraiment un urgent besoin de ces exercices d’autosatisfaction masquée, de cet éventail des vanités… De Montaigne à Proust, tant d’auteurs se développèrent sur la même portée musicale, mais qui avaient, eux, quelque chose à dire à tous. Enfin, à la toute fin, nous n’avons pas avancé d’un pouce : « Voilà Laurent… Nous avons parlé du je, du moi, du journal intime, de l’autobiographie, de l’autofiction… ». « Nous avons parlé », certes, et rien d’autre. La référence finale au « Je est un autre » de Rimbaud ne vient rien corroborer de fondamental dans cet opuscule dont on cherche encore à quoi il rime.

 

Michel Host

 

Laurent Herrou écrit et publie depuis 2000. L’autofiction est son domaine signalé. « … son travail interroge tout autant le quotidien que le geste d’écrire lui-même, ses rites, sa nécessité, son impératif». Dernières publications : Le Bunker (2015), Journal 2015 (publié 2016), Autoportrait en Cher (et en mots) (2016), Journal 2016 (public. 2017), Nina Myers (2017) : chez Jacques Flament Éditions.

 

Arnaud Genon, enseignant-chercheur, travaille depuis plusieurs années sur l’œuvre d’Hervé Guibert, et plus généralement sur la littérature de soi. Dernières publications : Tu vivras toujours (Ed. de la Rémanence, coll. Traces, Lyon, 2016), Hervé Guibert, l’écriture photographique ou le miroir de soi, en collaboration avec Jean-Pierre Boulé (PUF de Lyon, 2015).

 

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A propos du rédacteur

Michel Host

 

(photo Martine Simon)


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Rédacteur. Président d'honneur du magazine.


Michel Host, agrégé d’espagnol, professeur heureux dans une autre vie, poète, nouvelliste, romancier et traducteur à ses heures.

Enfance difficile, voire complexe, mais n’en a fait ni tout un plat littéraire, ni n’a encore assassiné personne.

Aime les dames, la vitesse, le rugby, les araignées, les chats. A fondé l’Ordre du Mistigri, présidé la revue La Sœur de l’Ange.

Derniers ouvrages parus :

La Ville aux hommes, Poèmes, Éd. Encres vives, 2015

Les Jardins d’Atalante, Poème, Éd. Rhubarbe, 2014

Figuration de l’Amante, Poème, Éd. de l’Atlantique, 2010

L’êtrécrivain (préface, Jean Claude Bologne), Méditations et vagabondages sur la condition de l’écrivain, Éd. Rhubarbe, 2020

L’Arbre et le Béton (avec Margo Ohayon), Dialogue, éd. Rhubarbe, 2016

Une vraie jeune fille (nouvelles), Éd. Weyrich, 2015

Mémoires du Serpent (roman), Éd. Hermann, 2010

Une vraie jeune fille (nouvelles), Éd. Weyrich, 2015

Carnets d’un fou. La Styx Croisières Cie, Chroniques mensuelles (années 2000-2020)

Publication numérique, Les Editions de Londres & La Cause Littéraire

 

Traductions :

Luis de Góngora, La Femme chez Góngora, petite anthologie bilingue, Éd. Alcyone, 2018

Aristophane, Lysistrata ou la grève du sexe (2e éd. 2010),

Aristophane, Ploutos (éd. Les Mille & Une nuits)

Trente poèmes d’amour de la tradition mozarabe andalouse (XIIe & XIIIe siècles), 1ère traduction en français, à L’Escampette (2010)

Jorge Manrique, Stances pour le mort de son père (bilingue) Éd. De l’Atlantique (2011)

Federico García Lorca, Romances gitanes (Romancero gitano), Éd. Alcyone, bilingue, 2e éd. 2016

Luis de Góngora, Les 167 Sonnets authentifiés, bilingue, Éd. B. Dumerchez, 2002

Luis de Góngora, La Fable de Polyphème et Galatée, Éditions de l’Escampette, 2005