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Un peu de poésie dans un monde de communiqués

Ecrit par Kamel Daoud le 03.07.11 dans La Une CED, Les Chroniques, Chroniques Ecritures Dossiers, Maghreb, Pays arabes

Un peu de poésie dans un monde de communiqués

Les temps sont nouveaux, les mots ont donc l'âge de votre souffle. Dictionnaire des temps modernes.


D'abord révolution : cela ne veut pas dire chasser le colon mais chasser le dictateur, ses fils, femmes et serviteurs. Le colon n'est pas toujours un étranger, il peut avoir votre nationalité, votre visage, vos papiers, mais pas votre peau.

La révolution est un devoir, pas un souvenir. On y dépose ses os, pas sa gerbe de fleurs. Ses martyrs sont à venir, pas à commémorer. C'est une façon de reprendre la terre, pas de marcher dessus.


Liberté : à distinguer de libération. On n'est pas libre parce qu'on vous le dit, mais seulement lorsque vous le dites vous-même, à vous-même. La liberté a un prix, sinon la vie est gratuite. Vous êtes libre quand vous êtes prêt à en mourir et non lorsque d'autres sont morts à votre place avant que vous ne soyez né.

Manifester : ce n'est pas casser, mais briser. On casse une vitrine mais on brise ses chaînes.


Marcher : ce n'est pas user ses chaussures, mais prendre la route par l'encolure et lui dire où vous voulez aller, non là où on vous dit de vous arrêter. Manifester est un droit car le pays a vu naître vos pères et c'est la manière dont vous pouvez accoucher de vos fils. Là, on ne peut marcher, on ne fait que tourner.


Le slogan : ce n'est pas une étiquette mais un cri. C'est le résumé de tous vos livres. C'est la conjugaison de votre prénom mêlé à votre vie. Si vous n'en avez pas, frappez un mur et il vous donnera le premier mot de votre poème.


Réformes : c'est la manière dont on use pour vous enlever le pantalon en vous caressant les cheveux.


La peur : c'est le signe que vous êtes vivant. Si vous n'avez pas peur, cela veut dire que vous n'êtes pas vivant et que donc vous ne pouvez pas donner la vie à ceux qui suivent dans vos entrailles. Pendant la révolution, le dictateur vous frappera souvent. De plus en plus. C'est le signe qu'il a de plus en plus peur. Songez à ça. La peur c'est quand on croit que le courage est inutile. Et ce n'est pas le cas quand vous voulez mieux vivre.


Le chaos : c'est un monstre en papier. On ne peut pas avoir une maison si on n'a pas un pays. Et on n'a pas une maison si elle est bâtie par l'index de votre Roi. La Révolution c'est le chaos ? Oui. Car le chaos est ce qui précède la reconstruction.


Les islamistes : c'est un gaz qui a une barbe. Le ciel est à celui qui lève les yeux, pas à celui qui s'y soumet. Dieu n'a pas de corps, ni de mains, ni un kamis, ni un chef de cabinet. Méfiez-vous des voyages organisés vers les cieux : Dieu est comme la mort ou la naissance : c'est l'affaire de votre unique solitude et personne ne peut le rencontrer à votre place. Ni lui parler avec une procuration.


Elections : votez, n'acquiescez pas. On vote avec les mains pas avec un soupir de désespoir. C'est votre droit, pas votre jour férié. Cela ne sert à Rien ? Cela veut dire que pour le moment vous servez le pire.


Président : c'est un homme que vous payez pour s'occuper du pays pendant que vous vous occupez de vos enfants. S'il fait mal son boulot, changez-le. C'est votre droit : vous avez droit à une seule femme mais à quatre présidents. Le contraire est une ruse.


« Les services » : ils ne sont pas mieux que vous mais peuvent être pire. Demandez-leur des comptes, des noms et pas des pseudos. Plus il y a de voitures banalisées, plus les vies le sont aussi. Méfiez-vous de la sécurité d'Etat, ce n'est pas la vôtre. Le policier est votre employé, pas le contraire. Vous êtes plus nombreux mais ils sont plus organisés : inversez la tendance.


La démocratie : ce n'est pas le prénom d'une femme étrangère mais votre droit d'être un président, sinon un peuple, sinon une femme et un homme, sinon un commerçant, un militant, un architecte, un coucher de soleil paisible ou un promeneur solitaire. Lorsque vous avez la démocratie, vous n'avez plus besoin de demander un visa pour l'Europe, ni de marcher sur la mer, ni de gémir. La Démocratie c'est quand nous sommes tous des présidents de la république et que le président de la république fait la cuisine pendant que vous regardez la télé.


Kamel Daoud


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A propos du rédacteur

Kamel Daoud

Tous les textes et articles de Kamel Daoud


 

Kamel Daoud, né le 17 juin 1970 à Mostaganem, est un écrivain et journaliste algérien d'expression française.

Il est le fils d'un gendarme, seul enfant ayant fait des études.

En 1994, il entre au Quotidien d'Oran. Il y publie sa première chronique trois ans plus tard, titrée Raina raikoum (« Notre opinion, votre opinion »). Il est pendant huit ans le rédacteur en chef du journal. D'après lui, il a obtenu, au sein de ce journal « conservateur » une liberté d'être « caustique », notamment envers Abdelaziz Bouteflika même si parfois, en raison de l'autocensure, il doit publier ses articles sur Facebook.

Il est aussi éditorialiste au journal électronique Algérie-focus.

Le 12 février 2011, dans une manifestation dans le cadre du printemps arabe, il est brièvement arrêté.

Ses articles sont également publiés dans Slate Afrique.

Le 14 novembre 2011, Kamel Daoud est nommé pour le Prix Wepler-Fondation La Poste, qui échoie finalement à Éric Laurrent.

En octobre 2013 sort son roman Meursault, contre-enquête, qui s'inspire de celui d'Albert Camus L'Étranger : le narrateur est en effet le frère de « l'Arabe » tué par Meursault. Le livre a manqué de peu le prix Goncourt 2014.

Kamel Daoud remporte le Prix Goncourt du premier roman en 2015