Un garçon d’après-guerre, Jean-Luc Marty (par Philippe Chauché)
Un garçon d’après-guerre, Jean-Luc Marty, Mialet-Barrault Editeurs, janvier 2025, 320 pages, 21 €
Ecrivain(s): Jean-Luc Marty
« Le temps restitué par Henri D. renvoie à un garçon d’à peine dix-sept ans incroyablement courageux. Le mien, à un homme que le corps insatiable, le goût pour les marges viriles, les multiples disparitions et l’impuissance au récit absentaient de toute présence familiale ».
Un garçon d’après-guerre est un roman du temps restitué par la mémoire, la photo, la parole, il conjugue tout cela avec une force rare dans l’art français du roman. Le narrateur est photographe, photojournaliste, il cherche le juste équilibre entre deux guerres larvées, la famine et le spectre du terrorisme islamiste qui ravage notamment l’Afrique. C’est à l’occasion d’une exposition de ses photographies à Angoulême, que la machine romanesque à remonter le temps va se mettre en marche, et par la magie blanche du roman, le restituer.
C’est un témoin ami du père disparu qui va offrir les premiers indices au narrateur : livre de souvenirs et des photos. Le père était résistant, surnommé le Bosco – il venait de La Rochelle, la mer n’était jamais très éloignée, peut-être était-il sur terre aussi un maître de manœuvre, comme au large, un résistant de dix-sept ans, avisé et très vite affuté pour le combat. Le narrateur va rechercher les lieux où le maquis du père s’est caché, armé de son appareil photographique, tout aussi avisé et affuté que le fut ce père oublié et ce mouvement vers le passé restitué, va dans un même temps romanesque déclencher ses souvenirs d’enfance en fuite perpétuelle du garçon, c’est ainsi que le romancier le baptise. Il ne savait rien du père résistant, il ne gardait en mémoire que celle du père un temps emprisonné pour son rôle supposé dans l’OAS, et de sa disparition du temps familial.
« Je suis de retour à Mirambeau. Quelque chose du père flotte encore là, d’éminemment meurtrier et héroïque – comme se fait vraiment la guerre, avait l’inconnu de la cour. J’essaye quelques photos, sans inspiration. Il eût mieux valu revenir ici par l’esprit plutôt que par le regard ».
Jean-Luc Marty ne manque ni de regard, ni d’esprit, et ce nouveau roman en est l’éblouissant accomplissement, il en est même possédé, comme on peut l’être d’un souvenir qui s’est incrusté dans sa mémoire et sur sa peau, comme un tatouage indélébile de la vie. En ces temps romanesques, les pères se révèlent, se relèvent, se manifestent, s’invitent au banquet des souvenirs, celui qui illumine ce roman est bien fait de chair et de mots, comme le style de l’écrivain. Il travaille par strates et par couches enfouies qui surgissent, mises à jour par la phrase, le plus beau des révélateurs du temps restitué.
Jean-Luc Marty travaille son roman à " l’argentique ", comme il travaillait ses photos, les nuances, les gris et les blancs, les noirs tremblent de vie. L’écrivain possède l’élégance rare des orpailleurs, il met à jour des éclats de pierre d’or romanesque, le père et le garçon en surgissent, inoubliables tant leurs portraits croisés donnent à ce roman une vibration profonde, sévère et joyeuse. Le roman s’achève par une admirable lettre au père retrouvé par le miracle du style, de la saveur romanesque.
Philippe Chauché
On doit à Jean-Luc Marty : La Dépression des Açores ; Un cœur portuaire ; Être, tellement ; Une douleur blanche ; tous publiés par Julliard.
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