Starling. Programme, Eric Arlix
Programme, Arlix Starling, éditions MAC/VAL collection fiction, non paginé, 3 €
Ecrivain(s): Eric ArlixLe texte Programme est d’abord un joli petit volume qui tient dans la main, peut-être comme un programme (de théâtre). Il est édité par le musée d’art contemporain du Val-de-Marne. Un auteur et un artiste se répondent. L’auteur s’appelle Arlix (son prénom a disparu) et l’artiste s’appelle Starling (lui aussi sans prénom). D’une certaine manière, leurs deux patronymes donnent naissance à un nouvel individu. La première de couverture du petit livre blanc de la collection fiction est illustrée par un dessin simple, peut-être des poutres de gymnaste, des bancs les uns derrière les autres, des haies d’athlétisme… que l’identité du duo rompt. A l’intérieur du livre, nous retrouvons en page simple ou en double page, en face du texte, une série d’échelles ou d’échafaudages, renvoyant à des installations de Starling. Ces architectures redoublent le parcours que doit suivre TU, parcours constitué d’escaliers, de rambardes, de coursives, de pont suspendu. Le texte dialogue encore avec les œuvres de Starling : Tu doit à un moment s’asseoir sur une chaise en aluminium du designer Eames, allusion implicite à la chaise que Simon Starling transforma en vélo. Tous deux adhèrent à la célèbre citation de Lavoisier : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme (épigraphe du texte d’ailleurs). Nous sommes donc dans un entre-deux visuel et textuel. Pourtant nous devons entrer dans Programme. Le texte s’organise autour de 5 balises de mail qui sont autant de jalons dans la progression et du texte et de l’itinéraire-programme. Quelque chose comme un jeu vidéo avec ses niveaux. Ainsi de 1 à 2 :
Te re-voilà.
De 2 à 3 : Tu arrives devant une porte en verre securit.
De 3 à 4 : Tu te retrouves de l’autre côté de la porte.
De 4 à 5 : Tu te retrouves près de chez toi.
Le concurrent exécute ce qu’une voix « au-dessus » (off) lui intime de faire. Serait-ce un Dieu terrible qui le malmène ? Des impératifs et des futurs à valeur jussive constituent le « récit de ses épreuves » :Gare ton 4X4 – Tu te dirigeras vers la porte… En route, Tu croise des hommes menaçants qui s’adressent à lui le traitant de « pignouf » pour l’un et pour l’autre de dire « j’adore ce job ». Tu avance et pourtant il semble aussi être pris dans la redite. Par quatre fois, revient le leitmotiv du pignouf et c’est Tu qui prononce à son tour ce mot. Ainsi franchit-il des espaces, sans doute ceux aussi de l’exposition des œuvres de Starling, mais aussi ceux de la compétitivité économique : certaines entreprises organisent des stages faussement ludiques pour leurs « collaborateurs » qui n’ont pour but que les mettre à l’épreuve. Tu fera aussi du jet-ski, sport par excellence de vitesse absurde. Il faut avant tout être performant. « Donne le meilleur, c’est maintenant ». Toutefois, dans le programme, s’inscrivent des moments suspendus, poétiques : les rhododendrons de Starling qui retournent en Suède, l’okapi qui passe, les photos de fleurs de K. Blosfeld qui lui font face. Le joueur s’enfonce dans un vertige délicieux (ilinx). Le programme est une sorte de délivrance, d’affranchissement. Tout ce qui nous inféode à la société marchande doit être suspendu. Que le règne du JOU advienne (je/nous). Le petit monde dans lequel nous vivons, ainsi que Tu, n’a plus aucune raison de perdurer : autodafé des machines de la communication, des ouvrages de management ou autres littératures diététiques, psychologiques. A mort les slogans des grandes marques internationales. Il faut être « en plein débriefing ». L’écran plat de la TV disparaît sous une couche de peinture. TU, arrivé au terme du programme, n’appartiendra plus ni au monde des loosers, ni au monde des winners qui finalement sont des Janus insensés et post-modernes.
Mais Programme n’est pas seulement un joli petit livre blanc. Il devient aussi une installation sonore pour écoute collective. Les spectateurs du Théâtre des Ateliers à Lyon, assis dos à dos en jauge réduite écoutent par l’intermédiaire de casques individuels le programme comme s’ils étaient TU à qui parle la voix du comédien P. Germain. Individus isolés sur leur chaise, écoutant texte, musique et son de N. Lespagnol-Rizzi, participants d’un imaginaire désincarné et puissant. Yeux clos à travers lesquels fuse la lumière (celle de P. Bongiovanni), ils sont dans le texte, dans le programme. Ils sont le texte.
Du 14 novembre au 6 décembre 2012, salle A. Adamov, Théâtre des Ateliers Lyon 2°
Marie DuCrest
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