Soleil blanc, Sabine du Faÿ (par François Baillon)
Soleil blanc, Sabine du Faÿ, Oskar Éditeur – Février 2024, 136 pages – 12,95 €

D’emblée, ce roman destiné aux adolescents affirme un caractère politique : la dédicace faite à « Giovanni Falcone et Paolo Borsellino, juges antimafia assassinés » interpelle le regard, mais il est tout aussi important de souligner qu’à cette dédicace s’ajoute celle « à tous les enfants ».
Le sujet dont s’empare Sabine du Faÿ est parmi les plus délicats à aborder quand il s’agit de s’adresser à la jeunesse : la dépendance lancinante, avant qu’elle ne puisse devenir dévorante, à la drogue – le cannabis, quant au roman qui nous intéresse. Comment éviter, en effet, le piège du manichéisme ? Mais comme il s’agit d’une fiction, la différence se fera avec son personnage principal, Guillaume.
Dès les premiers chapitres, le talent de Sabine du Faÿ émerge à travers la dimension poétique qu’elle donne aux moindres éléments du quotidien. Qu’il s’agisse d’une atmosphère matinale ou d’un après-midi d’été brûlant, l’observation portée autour de soi nous fait entrer dans un tableau – une observation reliée directement à la curiosité d’un enfant.
« Les persiennes baissées laissent deviner la lumière pâle des réverbères. Par intermittence, une voiture glisse dans la rue – telle une ombre fantomatique. Dans le lointain, par-delà les toits recouverts de givre, un corbeau lance sa complainte mélancolique. » (p. 5) Dans une autre scène, les couleurs sont nombreuses, la présence de la nature est vive : « Les stridulations des grillons ondulent comme des vagues le long des pentes de la colline. » (p. 7) Les animaux – buse ou lapins de garenne, comme échappés d’un lointain album pour la jeunesse – accompagnent les protagonistes, à peine sortis de l’enfance. La progression vers un problème plus vaste se fera donc pas à pas. D’ailleurs, l’éclosion de ce problème est certainement amenée avec une démonstration de la cruauté naturelle : le meurtre d’une mante religieuse.
Ainsi, nous ne plongeons pas à brûle-pourpoint dans une situation dramatique : le roman décrit combien la vie de Guillaume est entourée d’éléments positifs. Les petits cailloux coupants qui entravent son destin ont d’abord l’air minuscules. Pourtant, ils sont là depuis toujours. En cela, la vision de Sabine du Faÿ est crédible quant au basculement qui advient sans qu’on y prenne garde.
Dans la deuxième moitié du livre, quelques passages sont particulièrement informatifs sur les trafics de drogues, sur les façons dont ils enrichissent la partie la moins nette de la population mondiale et dont ils alimentent la criminalité, sur la manière dont le cannabis endommage le cerveau – à ce titre, il est pertinent que l’auteure ait ajouté quelques pages documentaires sur les stupéfiants à la fin de l’ouvrage. Oui, Sabine du Faÿ a bien étudié son sujet et, souhaitant le traiter à travers une fiction pour adolescents, il est justifié qu’elle les informe avec clarté et sans ambages. Peut-être est-ce dû au fait que le roman soit relativement court : on peut se demander si la part informative ne supplante pas la part fictionnelle, à certains moments.
Une chose est sûre : Guillaume est dessiné avec grâce dans toute sa fragilité et toute sa sensibilité. Du reste, nous trouverons des explications sur les dérives qu’il connaît. À première vue, Arthur pourrait nous apparaître comme un ange prêchant la bonne parole. Mais plus finement que cela, on comprend que la maladresse de l’adolescence cache souvent la détresse et l’envie primitive de voler au secours d’un ami. Arthur est également dépeint dans toute sa spontanéité – signe d’une enfance qui persiste – quand il décide de s’attacher à un chien abandonné. Le relief de ces portraits effleure donc avec évidence.
On ne peut que saluer la démarche de Sabine du Faÿ de s’attaquer à un sujet parfois périlleux. Mais ce qui est plus louable encore, c’est l’hommage qu’elle rend à l’esprit de la jeunesse, capable de se sauver (on admettra ici le double sens de ce verbe) grâce au recours à la beauté : même en menant son lecteur dans une traversée brumeuse, qui pourrait conduire à l’incertitude de l’obscurité, le ressort de l’émerveillement surgit comme le contrecoup le plus décisif.
François Baillon
Sabine du Faÿ
Après avoir obtenu deux licences (Allemand et Sciences du langage), Sabine du Faÿ a exercé plusieurs métiers qui l’ont finalement menée au Ministère de l’Intérieur. Depuis 2006, elle écrit des livres pour la jeunesse et a notamment publié chez Thierry Magnier, au Seuil Jeunesse, aux Éditions du Jasmin…
- Vu : 95