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Si j’ai le cœur étroit, à quoi sert que le monde soit si vaste, Michel Paulet

Ecrit par Martine L. Petauton 14.02.18 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Thierry Marchaisse

Si j’ai le cœur étroit, à quoi sert que le monde soit si vaste, janvier 2018, 353 pages, 21 €

Ecrivain(s): Michel Paulet Edition: Thierry Marchaisse

Si j’ai le cœur étroit, à quoi sert que le monde soit si vaste, Michel Paulet

Voilà un livre qui marque, et la mémoire, et l’imaginaire. Un sacré livre.

Son titre interroge et titille, sa couverture magnifique dans des rouges de cuir cordouan, lumières du grand canal et défilé masqué des Brigades Rouges, renseigne et ne dit pour autant pas tout, loin s’en faut ! Tout se présente donc au mieux pour aborder une excellente lecture…

Comment se fait-il, de plus, que dès les premières pages on se dise qu’on a là un roman russe, de la plus belle eau, ceux de Tourgueniev, de Tchekhov, et bien vite l’évidence de côtés dostoïevskiens ; tout ça par les sujets, la langue, l’atmosphère, surtout, et ce long déroulé qui n’en finit pas de rebondir. Une évidence, cette parenté russe ! Alors, quand vient – roman dans le roman, à la manière des poupées en bois peint en rouge sibérien – une tombe dans le San Michele de Venise, îlot humide cousu de ses pierres tombales illustres et plus que romantiques, occupée par une femme mystérieuse venue de l’Empire russe à la fin du XIXème siècle, le lecteur se régale d’avance : du russe, du Venise, du vieil Autriche Hongrie, accroché à chaque mur décrépi le long des canaux immobiles, des mystères attendus au fond d’églises baroquantes dont on sentirait presque l’écœurant encens… une merveille de roman historique à rallonge, mâtiné d’un peu de Dan Brown (en nettement mieux écrit que le fumeux Da Vinci) ?

Tout faux, en fait, car voilà qu’arrivent en plus – constant fond d’écran qui, contrairement aux événements eux-mêmes, est sonorisé dans un tempo ne faisant guère plus de bruits que l’eau mourante des canaux de la Sérénissime – les années de plomb des Brigate rosse, avec en prime un Aldo Moro presque mort. Et toute notre histoire post-soixante-huitarde (ce parfum-là est présent lui aussi, à peine subliminal) de revenir carillonner à nos mémoires, sous bien d’autres parures que celles d’usage dans le récit historique ou journalistique, avec – figurez-vous – une efficacité mille fois supérieure.

Le début chronologique du récit cœur de cible qui s’inscrit au présent est en mars 78, le clac de fin en mai ; soit 55 jours (de Venise) échevelés, situés dans la vieille cité italienne.

Peu de personnages de premier plan ; une manière de scène de théâtre en huis clos – littérature russe encore. Le jeune blanc-bec raté, naïf comme un romantique-type, qu’on ne peut qu’imaginer binoclard et chevelu, le philosophe, alcoolisé, féru d’une culture considérable (sur Venise, ses incontournables et merveilles secrètes, ce livre vous économisera le guide Bleu de votre prochain voyage), madré comme maquignon de foire, sans état d’âme, et enfin, femme première du roman, une supposée comtesse, désirable et sans cœur évidemment, jamais là où on l’attend.

« Nous étions donc à Venise depuis environ deux semaines, parfois proches, parfois séparés, harmonieusement ou non, sans projet bien précis, et nous avions décidé tacitement d’y rester le plus longtemps possible. LJ enrichissait ma visite de son savoir… lettré subtil, il promenait sur les ponte son corps de gros mangeur, de téteur impénitent de cigares noirs et malodorants, d’amateur de moisissures et de décompositions ».

Dialogues de haut vol, sur l’hier, l’art, le monde tel qu’il dysfonctionne : L’idiot ou les Karamazovs’invitent naturellement, par l’écriture, et l’ambiance, à notre table réjouie…

Le jeune récitant noyé dans son romantisme – maniaco-dépressif, plus que simplement déprimé – s’éprend à la fois de la belle mystérieuse du trio, conjuguée au présent, et de l’occupante de la tombe russe, largement déclinée aux temps du passé. Les mécanismes de l’emprise galopent dans l’entreprise, la manipulation aux côtés. On est fasciné par l’écheveau maléfique, tendu au-dessus de la tête du petit jeune, par, tantôt, le bavard intellectuel, tantôt la séductrice, à moins que… il nous arrive de douter. Quant à la dame de San Michele, sous sa dalle – la femme deuxième du roman – il se pourrait que ce ne soit pas la moindre des surprises manipulantes et malmenantes.

Pour autant – subtiles touches inquiétantes et venimeuses – dans les ruelles de Venise patrouillent les policiers ; quelques manchettes de journaux atterrissent sur les tables des pensions crasseuses, où loge celui qui nous parle. L’Italie vit ses pires années d’après-guerre, avec la menace Brigadiste surfant sur le capitalisme le plus indécent. Ses comparses philosophico-culturels font transporter au blanc-bec des valises fort lourdes, et de l’argent circule ainsi que des apartés douteux, à voix plus ou moins basse… Aldo Moro, le dirigeant de la démocratie chrétienne honnie, est, à l’heure qu’il est, séquestré par les Brigades, et menacé de mort. « Etait-il vraiment nécessaire d’emmener ce garçon avec nous ? – heureusement qu’il est là, dit-elle, la guerre crée le guerrier… ». Comme un étau qui se resserrerait entre San Michele et les troquets de la Place San Marco, autour de la romantique jeune tête folle…

Atmosphère ? Atmosphère !! disait l’autre. Parfaite réussite en tous points pour cet opus, premier roman de l’auteur ; cela force l’admiration.

Un très grand livre.

 

Martine L Petauton

 


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A propos de l'écrivain

Michel Paulet

 

Michel Paulet né en 1953. Homme de spectacle – il en a fait tous les métiers – Si j’ai le cœur étroit est son premier roman.

 

A propos du rédacteur

Martine L. Petauton

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Rédactrice

 

Professeure d'histoire-géographie

Auteure de publications régionales (Corrèze/Limousin)