Séjour au Nevada, Bernardo Atxaga
Séjour au Nevada, mai 2016, trad. espagnol André Gabastou, 472 pages, 20 €
Ecrivain(s): Bernardo Atxaga Edition: Christian Bourgois
Nevadarat joan nintzan
Dirurikan gabe,
Handik itzultzekotan, maitia,
Bortz miliunen jabe.
(J’étais parti au Nevada
Sans argent,
Pensant en revenir, mon amour,
Avec cinq millions…)
Ainsi commence une vieille chanson que l’on entend encore souvent, de Bayonne à Saint-Jean-Pied-de-Port, quand les apéritifs se prolongent le long de la Nive, chanson qui chante la diaspora basque partie tenter fortune aux confins de l’Ouest américain. En 2007, Bernardo Atxaga est invité pour une résidence d’écriture d’un an par le Center of Basque Studies de l’Université de Reno, au Nevada. Du 18 août au 20 juin de l’année suivante, il va y composer, fragment après fragment, un carnet de bord qui tient à la fois du journal de voyage et du vide-poche littéraire. Initialement publié en 2013 sous le titre Nevadako egunak, son Séjour au Nevada vient d’être traduit par André Gabastou et édité chez Christian Bourgois.
Et si les tribulations en terre américaine de l’auteur d’Obabakoak, accompagné de sa femme Ángela et de ses deux filles Izaskun et Sara, s’avèrent si plaisantes à suivre, c’est qu’il a l’art d’allier comme peu sens de l’observation, fluidité de style, imagination et truculence, afin que l’insignifiance des jours qui passent finisse, jusque dans le détail, par faire sens. Tressés dans les pages, trois fils au moins apparaissent, disparaissent, reviennent jouer leur motif de fugue au hasard des caprices de l’écriture : la découverte des Etats-Unis d’abord, de l’exotisme d’un lieu (les néons criards des casinos, le désert tout proche…), et d’un moment de son histoire (les meetings à Reno d’Obama ou d’Hillary Clinton se disputant l’investiture démocrate, l’omniprésence du fait divers comme violence palpable, les vétérans des guerres diverses…), une terre qui ne se donne jamais, de King Kong à Lolita, de Marilyn à Bob Dylan, que chargée de tous ses mythes. Le Nevada ? « Un Etat qui s’est développé grâce à quatre choses […]. Le divorce, le jeu, la prostitution et les mines d’or et d’argent ». Mais c’est aussi un morceau de la longue histoire des Basques aux Etats-Unis, à travers le fameux CBS que dirige Mary Lore, centre où l’on continue de loin à questionner un peuple et sa langue, ses mystères et ses légendes, tel le poète Robert Laxalt ou le boxeur Paulino Uzcudun, ami d’Al Capone et de Franco. Au centre de Reno, dans le grand parc de Rancho San Rafael, trône d’ailleurs la statue Bakardade (Solitude) du sculpteur Néstor Basteretxea, qui continue de saluer ces fameux « basque fellows ». Ce sont enfin de nombreuses pièces plus personnelles, des bribes de souvenirs, des récits de rêves, des messages envoyés à L., un ami malade, des échanges téléphoniques avec la mère restée au pays et qui ne s’y fait décidément pas, à ce fichu décalage horaire… Des séquences plus intimes en effet, où l’on serait bien en peine de faire parfois la part de l’imaginaire, tant la matière romanesque semble toute prête, par exemple dans cette formidable séquence onirique où le narrateur en deuil, confronté à l’indicible de la mort, s’imagine errant dans un immense dépotoir plein de sacs remplis de métaphores, que des camions n’en finissent pas de déverser…
« Il se peut que la musique soit une tentative d’améliorer le silence mais très souvent elle échoue », constate Atxaga. Quant à savoir ce que la littérature tente d’améliorer, quant à savoir si elle échoue ou non, et quelle espèce de cohérence elle donne à l’incohérence des jours… Et plus loin, devant deux chevaux sauvages qui tournent dans le désert comme dans un manège, cette question même, lancée à perte de vue dans l’éparpillement du livre : « Dites-moi, chevaux. Autour de quel axe tourne-t-on ? Qu’est-ce qui donne un ordre, une unité, à notre vie ? ».
Frédéric Aribit
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