Remonter la Marne, Jean-Paul Kauffmann
Remonter la Marne, mars 2013, 265 pages, 19,50 €
Ecrivain(s): Jean-Paul Kauffmann Edition: Fayard
Qu’y a-t-il de commun entre la passion du Saint-Emilion, l’arôme du cigare et l’idée baroque de remonter la Marne à pied de son embouchure jusqu’à sa source ? Jean-Paul Kauffmann !
Car cet honnête homme s’est mis en tête de suivre, à pied, la berge sur les quelque 500 kilomètres que compte cette rivière.
Enfin un livre né sous la plume d’un véritable écrivain, qui a du style, le sens de l’observation et qui se fiche pas mal de la mode.
Amie lectrice, ami lecteur, tu ne le sais pas mais la Marne recèle bien des trésors et bien des mystères. L’auteur nous en dévoile quelques uns. Ce n’est pas la Marne qui se jette dans la Seine mais la Seine qui se jette dans la Marne.
La Marne, du latin matrona, c’est la seule rivière de France qui pourrait briguer le titre de fleuve.
Au fil de son périple, Kauffmann croise des gens étranges : le nautonier de l’île des loups qui ressemble à Charon qui conduisait les morts sur l’Achéron. C’est sur cette île que vit Jeanne, une vieille amie de l’auteur, plasticienne et sculptrice qui refuse d’expliquer le sens de ses œuvres. « L’artiste n’a pas à donner ses clefs. D’ailleurs il ne les a pas. On ne peut pas tout avoir : la faculté d’inventer jointe à celle d’interpréter » (p.32).
Il peut aussi faire de mauvaises rencontres. Avec une journaliste parisienne, qu’il a le bon goût de ne pas nommer, qui « s’est taillé une réputation dans la profession pour ses interviews percutantes d’hommes politiques » (p.207). Elle est venue à Saint-Dizier observer un ministre (innommable lui aussi) dont elle écrit la bio. Elle fait honneur à la capitale :
« – C’est dingue ton histoire de Marne. Qu’est-ce que tu peux bien écrire là-dessus ? Tous ces bleds glauques… Cette France profonde déprimante… T’es vraiment maso ».
Mais il la mouche gentiment :
« – La Marne est un être vivant, complexe. Elle essaie de tromper l’adversaire. Comme tes hommes politiques ».
Jean-Paul Kauffmann possède l’art de la transition sans transition. Rencontre-t-il un asiatique qui randonne comme lui et qui sort une bouteille de champagne de son sac pour trinquer qu’il songe aux adieux de la Malmaison. Il ne reverra jamais cet homme comme Napoléon sait qu’il ne verra plus la chambre où Joséphine est morte (p.87).
Car, chez Kauffmann, tout est bon pour évoquer ses deux marottes : le pinard et Napoléon. Et cela tombe à pic : la Champagne Ardenne que traverse la Marne a vu se dérouler les dernières batailles de la campagne de France de 1814. Et elle est aussi le lieu où poussent bien des vignobles de Champagne, notamment ceux situés aux alentours de la ville d’Aÿ bien connue des cruciverbistes.
Alors il en profite pour picoler quelques bulles en véritable amateur : régulièrement mais en petites quantités. Que ce soit dans le département de la Marne ou celui de la Haute Marne, les autochtones, même les mois aisés, ont toujours une bonne bouteille à boire avec lui.
Après sept semaines et un ultime arrêt à Joinville-en-Vallage où les ducs de Guise firent édifier un château à l’Italienne au 16ème siècle, il atteint son but : la source de la rivière qui émane d’un bloc détaché de la falaise. « Dans cette vasque qui n’a jamais vu le jour, le cœur de la Marne commence à battre. Ce rocher monumental qui donne la vie a l’air d’une idole ». Elle lui murmure : « Enfin tu es là. Tu en as mis du temps ».
Mais laissons à Jeanne, la plasticienne de l’île des loups, le soin de tirer la conclusion à propos de la Marne : « Au fond, tout cela n’est que de la flotte ». Ah… ça ne vaut pas un verre de Saint-Emilion mais 260 pages de flotte comme ça, on peut s’y plonger avec délectation.
Fabrice del Dingo
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