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Qui a tué Jeanne d’Arc ?, Bernard Michal

Ecrit par Vincent Robin 15.05.14 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Histoire, Editions Omnibus

Qui a tué Jeanne d’Arc ?, mars 2014, 200 p. 9 €

Ecrivain(s): Bernard Michal Edition: Editions Omnibus

Qui a tué Jeanne d’Arc ?, Bernard Michal

Sur le bûcher dressé place du Vieux-Marché à Rouen en ce matin du 30 mai 1430, un écriteau stipule : « Jehanne qui s’est fait nommer la Pucelle, menteresse, pernicieuse, abuseresse du peuple, devineresse, superstitieuse, blasphémeresse de Dieu, présomptueuse, malcréante de la foi de Jésus-Christ, vanteresse, idolâtre, cruelle, dissolue, invocatrice de diables, apostate, schismatique et hérétique ». Il est environ 9 heures quand, « revêtue de la robe de deuil que l’Inquisition réserve à ses condamnés », juchée debout sur une charrette escortée par huit cents soldats anglais, apparaît à la foule, massivement rassemblée là, celle qui s’en va connaître le sort des flammes. Jean Massieu, l’huissier chargé des mouvements de l’inculpée, Martin Ladvenu, le frère dominicain également voué à l’entourer dans ces instants particuliers, l’ont informée auparavant. Pour elle, Jeanne d’Arc, le moment est venu où elle doit périr par le feu. Un tel déroulement tragique s’inscrit en réalité en application immédiate de la sentence officielle qui a été prononcée peu de temps avant contre la jeune femme.

Au regard du débat judiciaire de quatre mois qui se refermait ainsi, mais au long duquel l’accusée avait toujours semblé pouvoir légitimement défendre sa cause, un tel dénouement ne semblait devoir se confondre avec celui d’une exécution sommaire, quand bien même la liste additive des griefs accusateurs pesa d’un seul coup pour suggérer qu’une raison autre et supérieure se dissimulât tout derrière elle…

Sous son titre interrogateur, Qui a tué Jeanne d’Arc ?, le récent livre de Bernard Michal revient sur la question du procès de Jeanne d’Arc à Rouen et sur le rôle de ses instigateurs véritables. Sous la direction de l’évêque de Beauvais Pierre Cauchon, c’est bien alors un tribunal d’Eglise qui paraît en assumer depuis le début la conduite. Mais il n’est aucune peine à déceler, tout derrière ce paravent religieux, le parti d’hommes de la société civile et politique dont les intérêts conditionnent dès le départ celui d’une inflexion irrévocable vers la condamnation. Bedford, régent de la couronne d’Angleterre, entouré de ses sbires hostiles au clan de Charles VII et aux Armagnacs, incarne le plus sûrement alors cette éminence de l’ombre tirant en outre les ficelles souples de la petite marionnette de l’enfant bientôt roi de France et d’Angleterre, le jeune Henri VI. L’évêque de Winchester et le duc de Bourgogne, leurs satellites, transparaissent également en première ligne sur cette toile résorbée grâce à ses fils comme un piège savant. Traquenard gluant alors, qui inspirera peut-être étrangement plus tard le fils héritier de Charles VII, le roi Louis XI bientôt affublé du titre d’« invincible araigne ».

Face à la remise à plat d’un sujet d’histoire pourtant déjà mille fois visité, analysé et même utilisé à des fins propagandistes, aussi sans avoir jamais dissuadé certaines passions politiques et religieuses brûlantes et résurgentes, le lecteur ne manquera pas de se questionner à son tour avant de parcourir cet exposé au titre accrocheur. Quelle révélation nouvelle l’auteur détiendrait-il cette fois sur cette matière déjà longuement passée au crible ?

Un avant-propos très court et très direct éclaire bientôt. Sous l’apparence d’une liasse de documents multiséculaires, les consignations minutieuses des actes qui nous sont restés du procès de Jeanne d’Arc détiennent encore la preuve des collusions perfides à l’appui desquelles fut opéré contre Jeanne d’Arc l’un des plus déguisés complots politiques… Du point de vue des mieux avertis sur cette affaire et, en tout cas de la plupart des historiens spécialisés sur l’époque, rien de très innovant en somme. Non point alors tourné sur des révélations fracassantes et demeurées ignorées encore, le livre de Michal s’attarde au contraire sur ce qui se voit d’insidieux et flou tout au long de l’instruction poursuivie contre celle qu’il qualifie de « simple jeune fille » et de « grand chef de guerre ». Pas à pas, séance après séance où se poursuivent ainsi les interrogatoires et le rappel de faits antérieurs, s’éclaire l’intention perverse des accusateurs de Jeanne dont la mission commune ne sera jamais différente que d’amener et légitimer sa condamnation pour hérésie.

Agencée comme un huis-clos à l’intérieur duquel la proie se voit successivement jetée en pâture aux différents prédateurs réunis, la trame du journaliste et écrivain explore avec intensité la diversité voire le désordre assez remarquable des thèmes abordés dans une continuité fébrile, dont l’orientation ramène cependant toujours sur la voie de la disqualification recherchée comme fin ultime. Le cynisme des intervenants-accusateurs s’y aperçoit avec un relief tout particulier. Notamment celui de Pierre Cauchon, ce clerc arriviste et en charge de la conduite générale du procès, celui de Jean Beaupère, délégué par l’Université de Paris, et, pire encore, celui du rustre et promoteur-procureur de l’instruction, Jean d’Estivet dit « Benedicite », entre tous sans doute le plus indigne.

C’est pourtant aussi avec une détermination arrogante et presque capricieuse, certainement marquée d’insouciance juvénile et périlleuse, que s’inscrit Jeanne dans ses réparties audacieuses :

« Jean Beaupère l’interrompt. Il a retenu l’allusion au port de l’habit d’homme – l’un des griefs retenus pour mener Jeanne au bûcher.

– Qui vous l’a conseillé ?

– Passez outre !

– Un assesseur s’indigne ; que l’accusée réponde !

– Passez outre. De cela je ne charge homme quelconque » (p.29).

Grâce à un rythme d’écriture fort adroitement soutenu et habilement ponctué de brefs commentaires analytiques (pas toujours objectifs pourtant), le récit que rapporte Michal du procès de Jeanne d’Arc retient nécessairement une lecture assidue, quand plus est, la sensation d’être soudain présent en ce tribunal et d’assister en direct aux joutes verbales incite quasiment à lire ce récit théâtral d’un seul tenant.

De tous les épisodes marquants ayant façonné la silhouette de Jeanne d’Arc, comme on les enseigna autrefois dans les écoles républicaines et catholiques, ceux de son procès et de sa trépidante exécution sur le bûcher de Rouen auront de toute évidence retenu une particulière sensibilisation populaire. Exaltations patriotiques et religieuses y auront plus tard trouvé leur compte à la fois, et même « à la foi ». Il est un fait pourtant, que les symboles drainés jusqu’à aujourd’hui par le personnage emblématique auront souvent pris le pas sur son rôle très objectivement historique. Il ne saurait être question ici de dénier la résonnance du phénomène « Jeanne d’Arc », qui défraya de son vivant les rumeurs jusqu’au-delà des frontières, et probablement même encore jusqu’à son procès de réhabilitation tenu 25 années après sa mort. L’historien Philippe Contamine rapporte une abondance d’écrits à partir de 1429 sur ce propos et le formidable retentissement au niveau international dont ils témoignent. On le sait fort bien cependant, c’est sous l’égide d’un pape espagnol au nom des Borgia mais désigné Calixte III, lui-même hanté par quelque coïncidente apparition « mariale », que fut annulée la procédure de condamnation initiale de celle qui avait auparavant entendu « des voix ». Si de son temps déjà la Pucelle suscitait un vif émoi parmi les populations en mal de légendes, sa relation au dauphin, le futur roi Charles VII, ne fut peut-être pas aussi étroite et émouvante qu’on se plût à le dire et à le répandre. « La fille, pour une bergère, fait preuve d’une belle assurance, qui ébranle un peu le roi ». De la sorte s’exprimait Raoul de Gaucourt, témoin et membre de la cour du roi de Bourges en ce début du mois de mars 1429, lorsque comparaissait pour la première fois Jeanne à Chinon. Cette courte déstabilisation du monarque ne serait-elle pas aussi celle qui priva la très fière messagère des anges d’un secours plus marqué à Compiègne ou même lors de son procès à Rouen ? Dans son ouvrage intitulé La guerre de Cent Ans, et publié en 2010, le très sérieux historien Georges Minois donne abondamment à regarder dans ce sens :

« A aucun moment on ne relève chez le roi (Charles VII) le moindre signe de sympathie pour Jeanne, qui est aux antipodes de son tempérament et dont le comportement l’agace. La Trémoille, Régnault de Chartres sont tout aussi choqués par son aplomb, l’aplomb de ceux qui se croient inspirés et qui pensent donc que cela leur donne le droit de mépriser les avis contraires ».

« […] Le 4 mars, elle est arrivée à Chinon, où se trouvait Charles VII, qui est extrêmement méfiant et ne la reçoit que le 6. Il n’est pas surpris outre mesure, car les illuminés courent les rues en cette époque de tensions exécrables. Car ce qui se passe lors de l’entretien a malheureusement été déformé par la légende hagiographique, colportée par la propagande royale, relayée plus tard par celle du patriotisme républicain, et orchestrée par l’Eglise catholique avec une telle constance que la légende a fini par acquérir un quasi-statut de vérité historique ».

Comme ne le dit pas Michal, de telles assertions s’avèrent aujourd’hui peu propices à dédouaner le parti français-armagnac de toute implication dans le sort funeste de Jeanne d’Arc. Un élan patriotique, bientôt conduit par le président français Deschanel (1919, qui avait semble-t-il aussi ses voies, puisqu’il sauta d’un train de chemin de fer en marche), la vouerait alors à la reconnaissance canonique d’Eglise…

Après avoir lu Raymond Oursel et sa traduction intégralement française du procès de Jeanne d’Arc, Colette Beaune pour les droits réajustements effectués tout dernièrement sur l’identité historique de la Pucelle, Georges Duby encore ou Jean Favier sur des questions attenantes, peut-être est-il sain de se laisser tout simplement porter cette fois par ce récit délimité et apuré de Michal qui nous entraîne au cœur d’une pathétique tragédie historique aux accents romanesques.

 

Vincent Robin

 


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A propos de l'écrivain

Bernard Michal

 

Bernard Michal, né en 1932, est un journaliste français. Il commence sa carrière de journaliste à Paris-Presse, puis il est nommé chef du service politique à L’Aurore, Le Parisien libéré, Historama, Investir, et auteur producteur d’émissions historiques à TF1.

Bibliographie :

Les Grandes Enigmes du temps jadis, tome 1, Omnibus, 2010

Les Grandes Enigmes du temps jadis, tome 2, Omnibus, 2011

Les Grandes Enigmes du temps jadis, tome 3, Omnibus, 2012

(uniquement en version numérique)

Les Grands Procès de l’Histoire, tome 1, Omnibus, 2012

Les Grands Procès de l’Histoire, tome 2, Omnibus, 2013

Histoire du drame algérien, Omnibus, 2012

 

A propos du rédacteur

Vincent Robin

 

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Rédacteur

Domaines de prédilection : histoire, politique et société

Genres : études, essais, biographies…

Maisons d’édition les plus fréquentes : Payot, Gallimard, Perrin, Fayard, De Fallois, Albin Michel, Puf, Tallandier, Laffont

 

Simple quidam, féru de lecture et de la chose écrite en général.

Ainsi né à l’occasion du retour d’un certain Charles sous les ors de la République, puis, au fil de l’épais, atteint par le virus passionnel de l’Histoire (aussi du Canard Enchaîné).

Quinquagénaire aux heures où tout est calme et sûrement moins âgé quand tout s’agite : ce qui devient aussi plus rare !

Musicien à temps perdu, mais également CPE dans un lycée provincial pour celui que l’on croirait gagné.

L’essentiel paraît annoncé. Pour le reste : entrevoir un rendez-vous…