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Qu'avons-nous fait de nos rêves ?, Jennifer Egan

Ecrit par Anne Morin 24.10.12 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Roman, USA, Stock

Qu’avons-nous fait de nos rêves ?, trad. de l’anglais (USA) par Sylvie Schneiter, 371 pages, 22 €

Ecrivain(s): Jennifer Egan Edition: Stock

Qu'avons-nous fait de nos rêves ?, Jennifer Egan

Tout d’abord, une envie de dire qu’on a déjà lu ça, que c’est de l’histoire ancienne : les années passées, la fuite du temps, la jeunesse un peu paumée, tatouée, « piercée », droguée, rock’n roll, beaucoup musicienne, les rassemblements de foule, la vie dans une cité sans âme, les rêves broyés, rendant à chacun son anonymat premier. Comment s’appelait-il (elle) déjà ? Refaire sa vie, la revivre à l’envers, avec des incrustations ici ou là, des arrêts sur image plus ou moins longs.

Lincoln, le fils adolescent de Sasha, l’a bien compris qui, fou de rock, apprécie la chanson à l’aune de ses pauses.

C’est l’histoire d’un petit groupe de musiciens adolescents, c’est l’histoire du monde du (show) business, des ratés de la vie, des loupés, des actes manqués, comme ces petits assemblages que fait Sasha, cleptomane, des objets dérobés, pour leur donner une autre vie, une autre chance, comme ces distorsions que fait subir à ses journées la petite fille de Sasha, décomposant et recomposant la vie de sa famille en bulles, en arbres généalogiques, en labyrinthes, en jeux fléchés où questions et réponses se mordent la queue, donnant à entendre qu’on peut tout refaire, une fois fixées les choses. Ou ces SMS dont la langue phonétique s’apprécie aussi en langage des signes : ouvrir les doigts ou les rapprocher, pour s’éloigner du texte ou de l’objet de l’échange, ou le faire venir à soi.

Langage parlé, langage animé, langage muet, langage scandé, il est aussi question de cela, dans ce livre étrange où le temps fait et défait, au rythme d’un métronome, une vie, un couple, une réputation, une histoire.

Mourir seul, solitaire comme Lou, s’expatrier aux confins du désert comme Sasha et Drew, revenir à la scène sur un malentendu comme Scotty après plus de trente ans de trou noir. Mais n’est-ce pas unévénement, ce qui se produit dans l’intervalle ? Fonder une famille ou être à l’origine d’un mythe, n’y être pour personne, au fond.

Lorsque, à la fin du livre, Bernie et Alex se retrouvent devant l’ancien appartement de Sasha :

« Et il y avait ce couplet, toujours le même, qui, au fond, n’était peut-être pas un écho, mais la chanson de la fuite du temps.

la nui bleu

lé ru ke tu voi pa

la chanson ki çen va jamé

Un claquement de talons sur le trottoir déchira le silence. Alex ouvrit brusquement les yeux, puis Bernie et lui se retournèrent, pivotèrent sur leurs talons en réalité, cherchant Sasha dans l’obscurité cendreuse. Or il s’agissait d’une autre jeune fille, nouvelle venue en ville, qui tripotait ses clés » (p.371). Ce n’était pas Elle. Au fond, partir, revenir, c’est égal.

Revenir sur ses pas pour retrouver son souvenir, manquer de ferme propos, en découdre avec soi-même et les aléas de la vie, son élasticité. Vivre comme une étoile, par sa lumière, longtemps après sa disparition.

Il ne faut rien dire de plus, entrer, s’immiscer dans ce livre, de toute urgence.

 

Anne Morin


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A propos de l'écrivain

Jennifer Egan

 

Jennifer Egan, née le 7 septembre 1962, est une romancière américaine. Elle est auteur de nouvelles, dont un certain nombre a été publié dans les magazines The New Yorker, Harper's, Zoetrope All-Story et Ploughshares. Son roman Qu'avons-nous fait de nos rêves ? (A Visit From the Goon Squad) remporte le prix Pulitzer de l'œuvre de fiction en 2011.

 

A propos du rédacteur

Anne Morin

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Rédactrice

genres : Romans, nouvelles, essais

domaines : Littérature d'Europe centrale, Israël, Moyen-Orient, Islande...

maisons d'édition : Gallimard, Actes Sud, Zoe...

 

Anne Morin :

- Maîtrise de Lettres Modernes, DEA de Littérature et Philosophie.

- Participation au colloque international Julien Gracq Angers, 1981.

- Publication de nouvelles dans plusieurs revues (Brèves, Décharge, Codex atlanticus), dans des ouvrages collectifs et de deux récits :

La partition, prix UDL, 2000

Rien, que l’absence et l’attente, tout, éditions R. de Surtis, 2007.