Pourquoi cette animosité envers nos écrivains ?
Souffles...
L’écrivain détient sa propre logique. Elle est à lui seul. Sa peau. Même dans le mensonge, la logique de l’écrivain est prophétique, juste. Elle est autre que celles dont disposent les autres menteurs. L’écrivain adore prendre la folie en compagnie. Cette compagnie, cette folie, n’est que sa bougie pour voir clair, détecter la brume et traverser l’obscurité qui règne autour de lui.
Boualem Sansal, écrivain talentueux, le silence, la rigueur et la plume. Le défi et la douceur ! Il ne recule pas ! Fidèle à la mémoire de son ami le romancier Rachid Mimouni. L’encre d’écrivain est équivalente au sang du martyr. Comme Kateb Yacine, Boualem Sansal n’est pas aimé dans ce pays. Rejeté par les siens. Pas tous. Pourquoi on maudit les créateurs. Dieu les a créés à son Image Sublime. En 1978, encore étudiant à l’université d’Es-Sénia d’Oran, j’ai eu la chance de rencontrer Kateb Yacine. Écouter en tête à tête Kateb Yacine. Cela s’est passé à Ténira, petit village agricole dans la wilaya de Sidi Bel-Abbès. C’était un beau jour de printemps, en avril. Assis, Kateb et moi, à même le trottoir, devant le seuil de sa petite maison rurale, il m’a offert une tasse de café.
Accompagné de sa troupe théâtrale, Kateb Yacine venait de débarquer à Sidi Bel-Abbès en tant que directeur du Théâtre régional de Sidi Bel-Abbès. Devant une telle sommité, j’ai été troublé. Kateb Yacine m’a mis à l’aise et j’ai pu réaliser avec lui une interview. Il a parlé de beaucoup de choses : son projet d’un nouveau roman (projet qui n’a pas vu le jour), sur Nedjma, sa vision théâtrale, le pouvoir, les langues en Algérie, la liberté d’expression, etc. L’entretien a été publié dans le journal La République (Al Joumhouria) paru à Oran. Mais parmi toutes les questions que j’ai posées à Kateb Yacine, je retiens la suivante : M. Kateb Yacine, vous en tant qu’écrivain sans pair, qui dans toute votre vie, vous étiez sous les lumières dans grandes villes, ne sentez-vous pas, aujourd’hui, que vous êtes comme en exil, dans ce petit village agricole oublié, au fond de la jarre ? Avec un sourire angélique, moqueur ou diabolique, il m’a répondu : “Ici, dans ce village, je suis entre de bonnes mains, celles de ces braves hommes, les fellahs moudjahidine. Je suis entouré par mon peuple. Ce sont "eux", ceux d’Alger, qui sont en exil.” Je me suis rappelé de cette rencontre avec Kateb Yacine et de ses propos historiques, quand j’ai vu ce silence tueur de la part de nos institutions officielles vis-à-vis de Boualem Sansal auteur du Serment des barbares, lauréat du plus prestigieux prix littéraire allemand : “Prix de la paix” octobre 2011. Pourquoi ce silence mortuaire envers cet écrivain talentueux, courageux et intelligent ? Ceci m’a attristé. Pourquoi, nous n’avons pas organisé une journée, une table ronde en l’honneur de Boualem Sansal ? Pourquoi nos institutions culturelles et universitaires n’ont pas pensé organiser des rencontres avec l’auteur et autour de ses romans? Fêter Boualem Sansal est un honneur et un bonheur pour l’Algérie littéraire et culturelle. À ce point, l’écrivain fait-il peur ? Face à cette situation similaire, à celle de Kateb Yacine, Boualem Sansal dira à tous ceux qui veulent bien l’entendre : à Boudouaou comme à Berlin, je ne suis pas en exil. Plutôt ce sont “eux”, ceux d’Alger, qui sont coupés, exilés dans leur solitude bruyante.
Il nous dira, je vis parmi mon peuple, le peuple de lecteurs. Les romans de Boualem Sansal sont tirés à des milliers d’exemplaires, traduits dans une trentaine de langues.
Au moment où chez nous, l’Algérie culturelle célèbre quelques “faux-monnayeurs” de littérature, le monde, de l’autre côté, célèbre : Boualem Sansal. Même si je ne partage pas quelques idées de l’écrivain. Boualem Sansal, au côté de Yasmina Khadra, lui aussi marginalisé, demeureront nos écrivains les plus connus, les plus lus de la littérature maghrébine, arabe et africaine, dans le monde. Même si Boualem Sansal n’est pas nommé par les nôtres, il est notre ambassadeur extraordinaire. Il est accrédité par les autres. Pourquoi toute cette haine envers nos écrivains qui, avec leur génie, ont réussi à redonner à cette Algérie, par le roman, une voix forte, belle et unique !?
Amin Zaoui
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