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Pour une fois que tu es beau, Jean Cagnard, par Marie du Crest

Ecrit par Marie du Crest 05.11.18 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Théâtre, Espaces 34

Pour une fois que tu es beau, 2018, 90 pages, 14,50 €

Ecrivain(s): Jean Cagnard Edition: Espaces 34

Pour une fois que tu es beau, Jean Cagnard, par Marie du Crest

 

« Le monde est un cyclone enroulé autour de son œil »

La nouvelle pièce de Jean Cagnard est comme un cyclone, un ouragan qui emporte la froide logique. Elle a été écrite et montée pour deux comédiens et des marionnettes. Le corps des comédiens attachés au fils des créatures articulées semblables à des doubles grotesques. Ajoutons à cela un pianiste jouant du Léonard Bernstein ou du Michel Legrand ainsi que le décor d’une toile peinte. La fantaisie fait que les deux personnages, la mère et le fils, jouent la poésie des métamorphoses, celle des transformations animales (le cochon et le cerf) et celle de leur propre corps grandissant démesurément du fils et à l’inverse, rétrécissant de celui de sa vieille génitrice. Le monde a bien subi un profond chambardement, celui qui traverse la planète, le réchauffement climatique qui fait disparaître tour à tour le Groenland puis l’Afrique du sud. Il ne reste plus qu’à délocaliser en Europe la fabrication des bouillottes, à la suite du Tibet. La lecture du texte nous embarque, nous donne le mal de mer dans les tangages du sens : en mer, il faut toujours fixer un cap pour se prémunir des méchantes nausées. La représentation sans doute rend plus doux ce voyage hasardeux.

Les repères : une mère et un fils de 27 ans se retrouvent après le tour du monde de ce dernier. Il  semble être face à la figure maternelle un enfant obéissant, celui qui dit mécaniquement « oui maman », au début de la pièce. Tous deux ne font que s’entrevoir dans la durée répétitive, indéterminée du « plus tard » qui construit le texte par sauts. Leurs échanges dérèglent le langage à coups d’absurdités (mettre de la vaisselle dans un fils taillé comme une armoire) et surtout à coups de jeux de mots en ricochets comme :

arriver à la cheville > arriver jusqu’aux seins (p.14)

vider les couilles > vider les poches > les poches de tes yeux (p.20)

Le monde que le fils retourne découvrir (de la partie 1 à la partie 2) est à la fois drôle, insensé et inquiétant ; il rassemble, gratte-ciel, décolleté et frites dans une sorte de vaste désordre burlesque. Il fait théâtre en somme, comme le dit la mère mais sur un mode ironique en regardant, « en trempant un orteil » et en apprenant.

Les retours du fils sont autant d’expérimentations de la folie humaine (celle des amis puis des ennemis), d’incursions dans le réel affligeant et parmi elles, celle « au bord de la furie », celle de la guerre. Les didascalies « mordent » sur le texte des répliques peu à peu à partir de la partie 3. Les animaux pénètrent sur le territoire de la parole et se substituent à elle : la mère chevauche le cochon (p.45) ; le cerf apparaît et disparaît, dans la matière comme le dit le texte, du surnaturel ou du fantastique (p.46-7) tandis que le fils grandit. La lumière et l’obscurité se succèdent dans un paysage de cendres. La scène du texte dramatique semble alors presque s’anéantir dans un no man’s land. Le fils n’est plus que la voix de son être et sa mère une « chèvre autour de sa plaque dorée » (p.73). Le monde, le vieux monde va vers un ailleurs. Il n’est plus qu’un cyclone destructeur qui entraîne le fils, au sexe devenu immense, faisant ainsi de lui l’homme incestueux, celui à qui sa mère disait : « pour une fois que tu es beau ».

La pièce de Jean Cagnard a été créée au Festival Marionnettes en Chemins, en mai 2018, dans une mise en scène de Pierre Tual, avec Charlotte Bouriez et Pierre Tual.

 

Marie Du Crest

 


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A propos de l'écrivain

Jean Cagnard

 

Jean Cagnard est né en 1955. Il écrit d’abord des romans, des nouvelles et viendra à l’écriture pour le théâtre par le biais de l’adaptation. Il a une quinzaine de pièces à son actif. La poésie l’accompagne toujours. En 2005, il fonde la compagnie la Compagnie 1057 Roses, aux côtés de Catherine Vasseur. Il est traduit dans de nombreuses langues.

Chez le même éditeur : L’inversion des dents (2016), Au pied du Fujiyama (2015), La distance qui nous sépare du prochain poème (2011), L’avion suivi de De mes yeux la prunelle (2006), Les gens légers (2006).

 

A propos du rédacteur

Marie du Crest

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Rédactrice

Théâtre

Marie Du Crest  Agrégée de lettres modernes et diplômée  en Philosophie. A publié dans les revues Infusion et Dissonances des textes de poésie en prose. Un de ses récits a été retenu chez un éditeur belge. Chroniqueuse littéraire ( romans) pour le magazine culturel  Zibeline dans lé région sud. Aime lire, voir le Théâtre contemporain et en parler pour La Cause Littéraire.