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Poulidor enfin !, Christian Laborde / Sport, je t’aime moi non plus, Robert Redeker (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché 01.07.22 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais

Poulidor enfin !, Christian Laborde / Sport, je t’aime moi non plus, Robert Redeker (par Philippe Chauché)

Poulidor enfin !, Christian Laborde, Mareuil Éditions, juin 2022, 92 pages, 12 €

Sport, je t’aime moi non plus, Robert Redeker, Entretiens conduits par François L’Yonnet, Insep-Robert Laffont, juin 2022, 112 pages, 10 €

 

Pour bien écrire sur le sport, la bicyclette par exemple, il faut y avoir goûté, pour l’un, Christian Laborde, avoir souvent dégusté les cols des Pyrénées, l’Aubisque par exemple, ou le col de Marie-Blanque, pour l’autre, Robert Redeker, avoir roulé, jusqu’à huit cents kilomètres chaque semaine, confiant à la poche arrière de son maillot ses livres de philosophie, il pédalait pour apprendre à philosopher, et il philosophait entre deux échappées heureuses.

« 15 juillet 1974

ils arrivent ils sont là / c’est le groupe de tête / les plus forts les meilleurs / tous laqués de sueur / à l’orée de la pente / maçons au pied du mur / ô vélos ô taloches / ô bitume bancroche / ici le dur commence il en finira pas » (Poulidor enfin !, Christian Laborde).

Christian Laborde est un troubadour gascon, un romancier de la bicyclette, un tchatcheur qui swingue. Derrière ses mots et ses phrases qui caracolent, se glissent Poulidor, Darrigade, Robic, qui l’illuminent, comme ils illuminaient les spectateurs du Tour de France qui les voyaient passer. Ce dernier petit livre, l’écrivain enchanteur l’a écrit pour le dire, pour l’offrir. Il raconte la victoire de Raymond Poulidor – l’homme qui savait perdre dans la dignité –, victoire !, et quelle victoire dans l’ascension du Pla d’Adet le 15 juillet 1974, une étape de 225 kilomètres entre Seo de Urgel et Saint-Lary-Soulan. Il a 38 ans et il est heureux, comme l’écrivain est heureux de nous conter cet exploit pyrénéen. Poulidor enfin ! s’écoute et s’entend, porté par la voix de Christian Laborde, une voix irriguée par l’accent gascon, qui donne encore plus d’épaisseur à ses mots, un accent qui roule, comme roulent les échappés, comme roule Poupou, il roule comme les gaves et les voitures suiveuses, il roule dans la jeunesse éternelle d’un champion, qui l’est tout autant.

« Est dérisoire ce qui donne de la joie gratuite sans délivrer de message, sans être, à l’inverse de la manière dont le sport est présenté chaque jour dans tous les médias, un discours sous-titrant l’ordre social. Ce pitoyable discours-sous-titre est celui que tiennent à la radio et à la télévision la majorité des journalistes sportifs lorsqu’ils commentent en direct les matchs, les concours, et les courses » (Sport, je t’aime moi non plus, Robert Redeker).

Robert Redeker livre son diagnostic du sport spectacle, de sa mondialisation capitalistique, de ses dérives financières, de la marchandisation des corps, le mercato, et de l’oubli de ce qui en faisait (en fait ici ou là), l’essence même : le plaisir, le jeu, la joie partagée. L’écrivain philosophe met en lumière non quelques dérives, mais un état d’esprit, un état des lieux du sport aujourd’hui, en évoquant ce tropisme compétitif et le fanatisme de la performance. Il développe en quelques phrases quelques constats, qui pourraient en les développant donner naissance à des concepts : la haine du corps, l’homme adulescent, le triomphe du mental sur l’esprit. Pour Robert Redeker, qui aime à se définir comme un ancien sauvageon du sport et un sauvageon de la philosophie, le sport est aujourd’hui impensé et incritiqué, un peu comme s’il était intouchable, et donc irréprochable, sauf à passer pour un fâcheux antimoderne. Robert Redeker va s’employer à le soumettre aux faits, à ce qu’il est devenu, loin fort loin, du plaisir et du jeu qui en étaient ses belles raisons.

Finalement les deux écrivains ne sont jamais très éloignés, ils cultivent tous les deux leurs passions, leurs amours d’enfance et d’adolescence pour la bicyclette, les étapes du Tour qui nourrissent souvent de beaux livres, les coureurs inspirés dans les cols des Pyrénées ou des Alpes, le rugby qui n’était que plaisir collectif, que nous aimions qualifier de « champagne », le jeu qui n’était qu’un jeu d’adultes rieurs.

 

Philippe Chauché

 

Christian Laborde a notamment écrit Le Tour de France (Le Rocher Poche), Le Bazar de l’hôtel de vie (Le Castor Astral), Bonheur (Cairn), Darrigade, le sprinter du Tour (Le Rocher).

Robert Redeker est l’auteur notamment des Sentinelles d’humanité, Philosophie de l’héroïsme et de la sainteté (Desclée de Brouwer), Peut-on encore aimer le football ? (Le Rocher).

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A propos du rédacteur

Philippe Chauché

 

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Rédacteur

Domaines de prédilection : littérature française, espagnole, du Liban et d'Israël

Genres : romans, romans noirs, cahiers dessinés, revues littéraires, essais

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Minuit, Seuil, Grasset, Louise Bottu, Quidam, L'Atelier contemporain, Tinbad, Rivages

 

Philippe Chauché est né en Gascogne, il vit et écrit à St-Saturnin-les-Avignon. Journaliste à Radio France durant 32 ans. Il a collaboré à « Pourquoi ils vont voir des corridas » (Editions Atlantica), et récemment " En avant la chronique " (Editions Louise Bottu) reprenant des chroniques parues dans La Cause Littéraire.

Il publie également quelques petites choses sur son blog : http://chauchecrit.blogspot.com