Polices ! Sonia Chiambretto
POLICES !, Grmx éditions, 2011, 63 pages, 10 €
Ecrivain(s): Sonia Chiambretto
Le théâtre contemporain sera ou ne sera pas, si est « contemporain celui qui reçoit en plein visage le faisceau de ténèbres qui provient en son temps ». Assurément le texte de S. Chiambretto est contemporain. Mais il se présente d’abord comme un objet graphique.
POLICES d’écriture, couverture pensée par Maxime Allex : la première et la quatrième de couverture forment un tout visuel et matériel. Les plis blancs et grisés se déplient comme un origami sur papier glacé. Il faudra au lecteur ouvrir et déplier le texte. L’intérieur du livre, son cœur jouera sur les blancs, les polices de caractère et nous suivrons une petite moto noire circulant presque sur la tranche du livre (les motards de la gendarmerie ?). A la fin du texte un peloton roule vers le dehors des mots (le dessin est tronqué). Le O de polices devient une grenade à dégoupiller.
POLICES de l’Ordre, toute sortes de polices : la police de la préfecture ; la police du 9.3 ; la BAC (brigade Anti-Criminalité) ; la police des C.R.S ; la police des perquisitions ; la SDAT (Sous direction antiterroriste) ; la police de Vichy
L’unité de lieu de ce théâtre dessiné, poétique, ce sont les lieux de la répression, des arrestations musclées, terribles des polices. Nous partons en Seine-Saint-Denis, nous replongeons en 1961 dans le Paris du préfet Papon et dans l’été de 1942, celui de la rafle du Vel’d’hiv… Les voix qui s’élèvent suppliantes sont celles de la jeune Mayanna ou de Bintou (dédicataire de POLICES). Et leur répondent celles qui hurlent, jappent avec les chiens renifleurs.
A GENOUX !
Le sergent recruteur façon Full Metal Jacket répète :
On laisse pleurer, on ne bouge pas !
ON TIENT. ON CRACHE
Ses hommes doivent savoir utiliser les gaz lacrymogènes.
La terreur policière traverse l’Histoire (1942-1961-2009), elle s’accomplit sur les territoires de la guerre sociale (Villepinte ou Bobigny, Montreuil). S. Chiambretto fait parler aussi les archives comme celles du procès Papon à Bordeaux. L’écriture dit froidement cette violence : elle liste, énumère, recense. Le substantif dans son laconisme brut suffit :
CASQUE
BOUCLIER
CHAUSSURES « COMMANDO »
Toute la page 31 cite les noms et prénoms des manifestants algériens noyés dans la Seine sur l’ordre du peu recommandable préfet de Paris, Papon.
Slimani Amar Guenab Ali Abadou Abdelkader…
Le mot peut aussi graphiquement se disloquer sous le coup de butoir du désespoir (p. 43) :
AU SECOU
R
s
Les polices se modernisent se « technologisent », contrôlant tout et tout le temps.
UNE CAMERA CCD PANORAMIQUE.
Les drones veillent de partout. Sonia Chiambretto referme le livre à charge avec la reproduction d’un tract du collectif SOS Refoulement, daté de 1979 :
N’allez jamais seul à la police. Photocopiez vos papiers (avec traduction en arabe). Et la voix ténue d’un policier (fatigué) se fait entendre, traversant la page du livre jusque sur la quatrième de couverture : Moi, j’en peux plus !
Ainsi l’auteur une fois encore travaille à la fois la matière du texte (ici il se lit, s’écrie, s’écrit visuellement) et témoigne au sens où témoigner c’est déclarer que ce que l’on a vu a bien eu lieu, des infamies de notre Histoire.
POLICES ! sera mis en scène en 2013 au théâtre Durance à Château-Arnoux, chorégraphié par Rachid Ouramdane.
Marie Du Crest
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