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Petit traité du silence, Pascal Bataille (par Marjorie Rafécas-Poeydomenge)

Ecrit par Marjorie Rafécas-Poeydomenge 27.08.25 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Essais

Petit traité du silence, Pascal Bataille, Ed. Guy Trédaniel Avril 2025, 220 pages, 12,90 €

Petit traité du silence, Pascal Bataille (par Marjorie Rafécas-Poeydomenge)


On devrait élever une statue au silence » (Thomas Carlyle). Le silence, souvent perçu négativement comme une sorte de « ghosting », reprend ses lettres de noblesse sous la plume de Pascal Bataille dans ce « Petit traité du silence à l'usage des gens bruyants ».

C'est dans la privation que l'on se rend compte de la valeur des choses. L'auteur a été victime de crises de surdité qui lui ont laissé des acouphènes, tintements de clochette, bourdonnements.... C'est dans ces bruits parasites permanents qu'il a pris conscience de la valeur vertueuse du silence. Le son met notre cerveau sous tension, les réseaux de neurones du système auditif sont les plus développés, même un bruit continuel modéré n’échappe pas à notre cerveau.

Sans prétendre à un panégyrique (mot peu courant signifiant « éloge »), l’auteur propose un nouvel usage du silence dans notre quotidien. Savoir apprécier « the sound of silence », son pouvoir méditatif, esthétique et créatif. Se donner rendez-vous avec le silence revient à plonger dans la musique cachée de son intimité et de l’univers. Le silence est un « état sensoriel offrant un très large champ des possibles, au-delà des évidences ».

Derrière le silence, se dévoile également notre rapport au temps. La priorité au direct, le déferlement du flux d’informations, la pratique du « breaking news » nous immerge dans l’instantanéité et « l’infobésité ». L’actualité brûlante consume sans scrupule nos heures de silence, ainsi que notre capacité à prendre du recul et exercer notre esprit critique. Et donne le sentiment que « toutes les informations se valent », comme le dénonce l’auteur. Nommé par Edgar Morin « le nuage informationnel », il faut réapprendre à se déconnecter de la surabondance informationnelle, afin de « renforcer notre système immunitaire intellectuel » (expression de Gérald Bronner). Le retour du silence dans le bruit médiatique est vital pour réintroduire une « information plus réfléchie, plus nuancée, et surtout plus humaine, dans une recherche sereine de la vérité et du bien public ». Se rajoute à cette infobésité (ou « infobèse »), la rhétorique du « politiquement correct » qui a tendance à réduire notre liberté d’expression et la genèse de nouvelles idées. Le silence peut nous permettre de créer cet espace de liberté que cherche à rogner la sirène de la dictature conformiste, en favorisant nuance et subtilité.

Outre le style d’écriture, certains livres réveillent notre curiosité par l’originalité de leur sommaire. Pascal Bataille associe dans son voyage élogieux aussi bien le silence de Dieu, à celui du cri d’Edvard Munch, qu’à la jouissance silencieuse et la prouesse d’écriture durassienne sur le silence. Le silence est finalement un concept bavard.

Il existe ainsi une force mystique dans le silence. Les grandes religieuses comme Thérèse de Lisieux ou Mère Teresa ont souvent décrit cette « nuit de l’âme », où l’on se sent abandonné par Dieu tout en ressentant une foi et une confiance aveugle dans le divin. C’est cette absence de Dieu qui permet paradoxalement de mieux le percevoir.

Le silence rendrait également plus intelligent. Sur le plan des neurosciences, en réduisant l’hormone du stress et les toxines, il permet d’augmenter les ondes cérébrales alpha et de favoriser la génération de nouveaux neurones et cellules dans la région associée à la mémoire et l’apprentissage. Il est donc temps de se taire pour stopper notre avilissement cognitif...

Plus subversif sur le plan sociétal, à partir d’un article de presse « Faire l’amour silencieusement, pour jouir un peu plus fort », l’auteur s’interroge sur le rôle du silence dans l’intimité de l’acte sexuel. Le silence serait-il une façon de jouir de sa liberté face à l’injonction de rendre sonore son plaisir pour rassurer son partenaire ?

Le silence est aussi esthétique et peut octroyer du caractère à un style littéraire, lui donner du souffle, « créer des temps suspendus », être une invitation « à lire entre les lignes ». Cela rappelle d’ailleurs les lignes de fuite de Gilles Deleuze. Lors de ses années universitaires, Pascal Bataille a rédigé un mémoire sur le thème « L’écriture du silence chez Marguerite Duras ». L’écriture de cette singulière écrivaine l’a toujours captivé, par les interstices du silence glissés dans ses textes qui obligent le lecteur à interpréter le non-dit. Le silence sublime l’art de raconter. « Phrases courtes, fragmentées, elliptiques, mots rares, soigneusement pesés, répétitions lancinantes », par cet effet de dépouillement et de simplicité dans le style, Marguerite Duras réussit à réduire la distance entre elle et le lecteur.

Ce qui est vrai en littérature l’est aussi pour la musique. Schubert était reconnu pour l’utilisation des silences dans ses compositions, qui retentissent à la manière du cri silencieux de la célèbre toile de Munch.

Le silence reste un rempart contre la vulgarité. Mais que penser du « silence menteur » ? Est-il toujours vertueux de se taire ? Certains silences peuvent être pesants et créer des quêtes infinies, comme le désir de comprendre. Cependant, ce sont dans ces nuits noires de l’âme, que l’intelligence humaine se patine…

A propos de l’auteur

Après des études de lettres, de philosophie et un diplôme en sciences et techniques de l’information, Pascal Bataille est producteur, animateur de radio et de télévision. Amateur de littérature, d’art et de philosophie, il s’intéresse depuis longtemps aux concepts de silence et de bruit, en raison d’acouphènes permanents dont il souffre depuis plus de trente ans.



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A propos du rédacteur

Marjorie Rafécas-Poeydomenge

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Passionnée de philosophie et des sciences humaines, l'auteur publie régulièrement des articles sur son blog Philing Good, l'anti-burnout des idées (http://www.wmaker.net/philobalade). Quelques années auparavant, elle a également participé à l'aventure des cafés philo, de Socrate & co, le magazine (hélas disparu) de l'actualité vue par les philosophes et du Vilain petit canard. Elle est l'auteur de l'ouvrage "Descartes n'était pas Vierge".