Olympe de Gouges, Une femme dans la Révolution, Florence Lotterie, Elise Pavy-Guilbert (par Patryck Froissart)
Olympe de Gouges, Une femme dans la Révolution, Florence Lotterie, Elise Pavy-Guilbert, Flammarion, février 2025, 176 pages, 22 €
Edition: Flammarion
La vie mouvementée d’une « femme dans la Révolution » est reconstituée par les autrices qui ont manifestement effectué pour ce faire un maximum de recherches sur ce qu’il est possible de retrouver et de recoller des éléments biographiques de ce personnage d’exception et qui en ont comblé les trous en présumant, en levant des hypothèses, en faisant parfois aller librement leur imagination, procédé littéraire qu’elles « avouent », dont elles revendiquent même la nécessité, et qui leur permet de nous offrir une histoire cohérente, qui se tient, qu’on pourrait assimiler ici et là à une biographie juste autant romancée qu’il en est besoin.
Car non seulement les autrices ont tenu à combler au possible, tout en maintenant au mieux la nécessaire vraisemblance, les manques de l’histoire officielle de notre révolutionnaire, à mettre un peu de liant, souvent en se référant aux propres écrits du personnage, dans les ellipses biographiques, à se glisser dans la peau de l’héroïne pour nous faire ressentir ses souffrances physiques, entrer dans ce qu’ont pu, ou dû, être ses pensées, ses affres, ses colères, ses pulsions de rébellion, mais encore reconstituer les circonstances de ses rencontres marquantes avec les plus grands acteurs de la Révolution et les dialogues auxquels elles ont donné cours.
Née Marie Gouze, non reconnue par son marquis de père « biologique », la future Olympe de Gouges est mariée contre son gré à dix-sept ans à Louis-Yves Aubry, officier de bouche de l’Intendant de Montauban. La contrainte de cette union non voulue est peut-être une des sources de la défense des droits des femmes dont elle va être ardente militante, dans la lignée de Marie de Gournay, autrice dès 1622 de l’Egalité des hommes et des femmes.
« L’on me maria à un homme que je n’aimais point, et qui n’était ni riche ni bien né. Je fus sacrifiée sans aucunes raisons qui pussent balancer la répugnance que j’avais pour cet homme… ».
Jeune veuve âgée de dix-huit ans, avant même les Etats Généraux (1789), Marie Gouges, devenue Olympe de Gouges, publie un Projet utile et salutaire par lequel elle sollicite « la création d’ateliers publics et d’une maison de charité particulière où il ne soit reçu que des femmes ». En 1791 ce seront la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne dont elle soumet les dix-sept articles à l’Assemblée, puis la Forme du Contrat social de l’homme et de la femme.
« Femme, réveille-toi : le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ; reconnais tes droits. Le puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstitions et de mensonges. Le flambeau de la liberté a dissipé tous les nuages de la sottise et de l’usurpation ».
De plus en plus activiste, elle s’en prend tour à tour à Marat :
« Fameux agitateur, destructeur des Lois, ennemi mortel de l’ordre, de l’humanité, de sa patrie, atteint en convaincu de vouloir introduire en France une dictature… »
et à Robespierre, qu’elle provoquera un jour en duel :
« Dis-moi, Maximilien, pourquoi redoutais-tu si fort, à la Convention, les hommes de lettres ? Pourquoi t’a-t-on vu tonner à l’Assemblée électorale contre les philosophes, à qui nous devons la destruction des tyrans […] ?
Entre ses attaques, accusations, et provocations personnalisées, Olympe rédige maints pamphlets qu’elle fait imprimer et placarder dans tout Paris. C’est l’un d’entre eux, Les trois Urnes ou le salut de la patrie, par un voyageur aérien, dans lequel elle affirme le droit du peuple à choisir le régime qui lui convient le mieux, y compris, suprême hérésie, la monarchie, qui est prétexte à son arrestation en 1793. C’est devant Fouquier-Tinville, le plus féroce des accusateurs publics, qu’elle est déférée. C’en est fait. Elle est décapitée le 3 novembre 1793, après avoir lancé à la foule un vibrant : « Enfants de la Patrie, vous vengerez ma mort ».
Les autrices ont su de façon pertinente alterner d’une part les faits historiques, publics, avérés et les constructions supposées les relier et d’autre part ce que les écrits d’Olympe permettent d’entrevoir ou laissent deviner (à la discrétion des narratrices) de sa vie privée quotidienne, de ses angoisses, de ses difficultés pécuniaires, de ses problèmes de santé, de sa liaison avec l’homme de lettres Michel de Cubières, de sa relation avec son fils Pierre, à qui elle adresse sa dernière lettre. « Je meurs, mon cher fils, victime de mon idolâtrie pour la Patrie et pour le Peuple ».
L’ouvrage est complété par le récit des circonstances de la réalisation du film Olympe, une femme dans la Révolution (2024), par Julie Gayet et Mathieu Busson, coréalisateurs, dans lequel Julie Gayet incarne Olympe.
Patryck Froissart
Florence Lotterie est professeure de littérature du XVIIIe siècle à l’Université Paris Cité, et s’intéresse plus spécifiquement aux imaginaires de la Révolution française et à des auteurs et autrices de la période. Elle est secrétaire générale de la Société des études staëliennes.
Élise Pavy-Guilbert, maîtresse de conférences à l’université Bordeaux Montaigne et membre de l’Institut Universitaire de France, est l’auteure de la préface de Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (GF Flammarion, 2021).
- Vu : 414