Mourir tendre, Guy Régis Jr
Mourir tendre, 2013, 96 pages, 13 €
Ecrivain(s): Guy Régis Jr Edition: Les solitaires intempestifs
« Le théâtre est mon rêve d’homme »
Le titre d’une œuvre est comme une clef d’or qui nous ouvre les portes d’un lieu mystérieux. Guy Régis Jr plus que tout autre auteur nous invite à une lecture où l’incertitude syntaxique dit déjà le monde autrement. Il ne s’agit pas d’exotisme haïtien, créole, mais d’une vision poétique nouvelle. Mourir va généralement avec jeune, vieux ; mourir ici s’associe à un mot doux. Nous le comprendrons totalement à la fin du texte (p.90) quand l’un d’entre eux dira « je voudrais mourir tendre » comme un oiseau. Tendre de mourir en plein vol. Et d’ajouter « De mourir de la vie ».
Tout le texte de la pièce tendra vers ce point de délivrance, vers son mot ultime « finissement ».
Guy Régis Jr revient aux origines du théâtre occidental, la tragédie grecque. Les personnages, comme l’indiquent des notes de bas de page, fonctionnent comme un chœur antique accompagné de son coryphée. Il les nomme les gens et un d’entre eux. Un prologue constitue l’entrée dans le texte. Annonce lancinante de « ce chant inaugural claironné par des voix invisibles et quatre trombones célestes ». Ce n’est pas la peste qui sévit comme à Thèbes mais le soleil a disparu en une éclipse qui devrait durer cent ans.
Le ciel céruléen endeuille (p.7)
La tragédie dite et redite menace. Guy Régis Jr tisse des phrases qui reviennent identiques et changeantes à la fois comme pour construire un piège dont on est le prisonnier :
Au-dessus de nos têtes, au-dessus de nos têtes même, chaque jour éternellement, tragédie du ciel pris d’assaut par les chevaux blancs, les nuages.
Une voix presque unique s’élève au sein de la tragédie. C’est la voix, l’humaine voix de Perpétue (au prénom haïtien et programmatique). Perpétue est une de ces tondues, de ces chassés ou échappés à qui l’œuvre est dédiée. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant que le texte ait donné lieu récemment en Haïti à une lecture scénique à une voix, celle d’Anne Alvaro. Cette voix appartient à une femme qui parle en longs monologues de son corps désirant :
Je veux, je désire, je veux.
Celui qu’elle veut en elle dans un torrent verbal où les mots se répètent et s’accumulent est Alexandre (souvenir encore de Grèce). Elle est la rivière et Alexandre, l’eau mais aussi le feu : Braise-moi, p.15. Elle s’adresse à lui mais jamais il ne deviendra personnage. Il ne prendra que la place d’un membre du chœur pour répudier Perpétue, p.56 :
Je ne veux point de ce corps qu’a souillé mon père. Repris sept fois.
Perpétue est en exil, en errance. Elle est traquée par la meute des chiens (cf. liste des personnages) et par la meute de ceux qui la condamnent. Le chœur la regarde, commente. Elle est dans la nuit du noir obscur, il faut qu’elle quitte la ville comme Œdipe. Le père d’Alexandre ordonne son exil, refusant cet amour total entre elle et son fils. Et il va la « prendre » p.43 B. dans 3, Vient celui-là qui. Longue mélopée, longue plainte de celle qui reçoit les assauts du père :
Pour pouvoir de moi jouir plus de cent fois. P.51.
Le père au lieu d’exiger l’éloignement de Perpétue, désormais, vient sur elle. Et Perpétue continue d’implorer Alexandre. Le dialogue est une modalité pratiquement impossible ici. Les écritures musicales qu’associe Guy Régis Jr à la parole dramatique relèvent le plus souvent du canon, pp.34, 41, 75, 79, 83. Le principe du canon, c’est d’instaurer un décalage des voix ; elles entrent de manière successive. Les voix peuvent également s’entrechoquer, p.41. La violence tragique vient au milieu de la pièce p.50. Perpétue avoue à Alexandre qu’elle a tué son père.
Il est tombé. Il gisait devant mes pieds. Tué. Mort tué. C’est lui.
La violence toujours agit contre les corps, dans les entrailles du corps féminin. Perpétue sent en elle le battement de la vie donnée par le père :
De lui. Dans mon ventre à moi. P.53
Et la violence de la chair se retourne contre la chair. Perpétue tue cet ignoble enfantement. Les hommes sont aussi cruauté et animalité. Mais la vie triomphe de tout. L’amour s’engendre et des mots seuls, uniques, en liste accouchent de la vie. Une didascalie d’ailleurs propose la projection d’image d’une femme qui accouche, P.93. D’abord l’œuf, le fœtus, et à la fin de B p.92, une phrase construite pour l’enfant chevelu, venu au monde comme le texte lui-même. Cette naissance fait émerger enfin le dialogue, la question et sa réponse entre Perpétue et son enfant de douze ans :
Réveille-toi, Man !
Oui, fils, oui.
Il est où, Pa ?
Le retour à la vie, à l’échange est au fond l’instant où la vie et le théâtre se rejoignent puisqu’à la question de l’enfant, Perpétue répondra : au théâtre. Ce théâtre qui irrigue la vie de son auteur, son rêve d’homme.
Cette pièce a été écrite en 2007 dans le cadre d’une résidence d’auteur. Elle a été nommée en 2008 pour le prix SACD. Elle a été lue au Tarnac de la Villette la même année.
Marie du Crest
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