Mort et vie de Lili Riviera, Carole Zalberg
Mort et vie de Lili Riviera, 8 janvier 2014, 154 pages, 7 €
Ecrivain(s): Carole Zalberg Edition: Babel (Actes Sud)
Une descente aux enfers
Lili Riviera, née Liliane Rivière, est une jeune fille ordinaire et rêveuse. Cependant, les fées qui se sont penchées sur son berceau lui ont assigné un destin tragique. En effet, livrée à une mère au cœur de glace et soutenue par un père aimant mais lâche, la petite fille grandit dans un univers étriqué et sans amour. Son besoin d’affection la pousse dans les bras des petites frappes et souteneurs. Ceux-ci, flairant sa fragilité, l’exploitent et la jettent à la pâture d’une foule en délire, tantôt fascinée par ses formes monstrueuses tantôt dégoûtée par son audace de freak. Son mal-être et ses failles psychologiques l’emmènent aux confins de la folie et l’abandonnent à la froide solitude du monde.
Dans un style simple et dépouillé de toute artifice littéraire, Carole Zalberg s’emploie à décrire l’univers pathétique et misérable qui environne la vie et la mort de cette « star » de l’effeuillage érotique et pornographique. Le roman s’ouvre sur sa mort. Sans concession, l’auteur entraîne son lecteur dès les premières pages dans l’univers glauque et poisseux de la défunte :
« Lili, semble-t-il, s’est étouffée dans son vomi de pilules et d’alcool. Elle en a sur le menton et cette simple souillure suffit à faire basculer les personnes présentes du voyeurisme à la compassion. C’est une pauvre fille qui est là, dans un fouillis de draps et de peluches ridicules. Une créature dont la solitude effroyable saute au visage et force à détourner les yeux ».
Lili est sortie de la scène, elle vient de tirer sa révérence. L’auteur peut donc remonter le temps pour expliquer sa vie, ses transformations corporelles et sa mort. Le roman puise sa force dans l’évocation du destin de Lili. En effet, Carole Zalberg restitue son parcours de vie, ses choix et ses errances. Elle les décrit dans une prose empreinte de compassion et de respect pour un être torturé, fragile mais cependant extrêmement lucide sur elle-même et sur ceux qui l’entourent :
« Elle avait en effet appris à ne pas se voir, ou juste assez pour farder ses traits grotesques avant de les livrer aux regards de milliers d’inconnus. Qui savait que ces yeux avides faisaient encore une déchirure en elle, même après toutes ces années d’exhibition crue ? Elle rêvait qu’on dénonçât l’imposture et qu’enfin elle n’eût plus à donner le change. Elle était un désastre ; même pas à la hauteur de son personnage provocant ».
Toute sa vie, Lili danse, Lili se dépouille de sa dignité, Lili oublie le respect qu’elle se doit à elle-même. Elle monte sur scène en gardant dans un coin de son cœur à l’abri des regards un reste de son jardin d’enfance, de son innocence ravagée. C’est précisément cette part là de Lili que Carole Zalberg veut ramener à la lumière à la rencontre du lecteur : « Lili l’enfant, réfugiée au plafond parmi les projecteurs, regarde Lili la pute faire son numéro ».
Inspiré de la vie de Lolo Ferrari, ce récit est poignant car il retrace la descente aux enfers d’une femme entièrement transformée par la chirurgie esthétique pour devenir un objet sexuel. Livrée à la foule lors des parades monstrueuses, Lili-Lolo devient un freak offert sur l’autel du sexe :
« L’atmosphère évoque à la fois celle d’un zoo, d’un cirque miteux et d’un cinéma porno. Les spectateurs serrés les uns contre les autres (…) Sur la scène Lili est apparue, la moue figée des lèvres laquées de gloss, ses formes délirantes engoncées dans une combinaison de latex rouge, les jambes prises dans des cuissardes à talons tellement hauts qu’ajoutés au poids de ses seins on se demande comment elle est encore debout. La lumière des spots multicolores accentue sa matérialité de poupée boursouflée ».
Mort et vie de Lili Riviera est sans conteste un roman qui décrit avec habileté et subtilité les rêves brisés d’une jeune fille confrontée à la violence et à l’avidité du monde.
Victoire Nguyen
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