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Marchands de mort subite, Max Izambard (par Martine L. Petauton)

Ecrit par Martine L. Petauton le 26.10.21 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Polars

Marchands de mort subite, Max Izambard, Le Rouergue noir, octobre 2021, 350 pages, 22 €

Marchands de mort subite, Max Izambard (par Martine L. Petauton)


L’Afrique de l’Est, celle des grands lacs. Carrefour entre le Rwanda d’après le génocide, les grandes savanes à fauves et à touristes, l’est du Congo et ses – très – abondantes ressources en or. Le récit a pour épicentre (ce mot du vocabulaire séismique aurait d’ailleurs pu être un sous-titre au livre) l’Ouganda, et le nombre copieux de pages ne suffit probablement pas pour dire les épaisseurs grouillantes – type sol de forêt dense – de menaces, sang, corruption, et maux – à peu près tous – qui grondent sous la touffeur équatoriale de ce petit pays ignoré de beaucoup d’entre nous. L’auteur, dont c’est le premier roman, sait de quoi, de qui il parle, étant lui-même « ancien baroudeur » d’Afrique. On le verrait bien journaliste d’investigation à l’occasion, et Pierre, le héros du roman, est probablement plus que son cousin…

Récit conduit à brides abattues, sans négliger aucune facette ni éclairage. Il s’agit d’un père, Pierre, français, à la recherche de sa fille disparue entre Ouganda et Congo de l’Est : « Il absorbait avec une boulimie compulsive chaque indice, chaque fragment, chaque trace ayant un rapport avec le sort de sa fille ». Journaliste free-lance, Anne préparait un article-bombe sur les mécanismes et les acteurs du « commerce / trafic » de l’or dans cette région du monde. Sous le microscope d’Izambard, se dévoilent les rets dans lesquels la journaliste sombrera, elle et ses quelques soutiens dangereusement exposés, Juliet, la courageuse journaliste ougandaise, Ibrahim, le formidable médecin urgentiste…

Pour cerner son sujet, inextricable toile d’araignée, Max Izambard coiffe plusieurs casquettes avec le même bonheur, reporter, journaliste d’investigation, enquêteur, sociologue, géo-politologue, entre autres. La sociologie du monde diplomatique, notamment l’ambassade de France – le vrai, ici, se mangeant seulement cru – est remarquablement exposée, de même l’analyse des grandes métropoles et leurs quartiers sensibles, des milieux internationaux des trafics maquillés dont la violence ne rend rien aux malfrats les plus glauques, enfin le voyage chez les politiques locaux sont une sorte de cerise. Difficile de croquer, en si peu de lignes parfois, le régime autoritaire typiquement Afrique noire ; l’homme fort, ancien révolutionnaire, héros de l’indépendance, accumulant trop de « mandats » et limant par la lèpre de la corruption le peu qui résiste d’humanité dans des lambeaux de démocratie à l’africaine ; ces « mzees » (« vieux sages » en swahili) fatigués, débordés, acculés aux pires exactions contre un peuple qui tente de se lever, avant les inévitables massacres : « Ibrahim avait cherché Juliet tout un jour, toute la nuit… sans relâche dans les moindres recoins de la ville. Il avait patienté dans les salles surpeuplées de commissariats débordés par les émeutes, parcouru du doigt des noms griffonnés à la hâte sur des registres, arpenté des couloirs d’administration obscure, téléphoné à des amis d’amis, parlé à des gens haut placés aux voix hautaines et pressées ».

Souvent, en lisant ce livre qui se « regarde » aussi comme un film d’action, on se prend à penser à État de siège (situé, lui, dans le Chili de la dictature), de Costa Gavras, avec la même dramatique quête.

C’est peut-être le volet géopolitique du récit, jamais cependant indigeste, très documenté avec références en fin de livre, qui impressionne le plus : autant autour du circuit et des modes de trafic de l’or, qu’avec les informations vérifiables des interactions entre puissants, politiques, militaires, dans le domaine du trafic d’armes au temps du génocide rwandais. Frissons assurés.

Le parti pris littéraire du récit est du type choral ; plusieurs personnages interviennent les uns après les autres, ce qui émet des signaux « pédagogiques » bienvenus dans la compréhension du récit sans jamais amoindrir la force, la brutalité, la violence, l’émotionnel, ni rogner sur des descriptions géographiques dignes d’excellentes photos. Décor(s), sons, le swahili, cette langue véhiculaire qui semble « protéger », ou masquer les identités secrètes de toute l’Afrique de l’Est, odeurs bien entendu, descriptions à la précision documentariste jamais lassantes, jusqu’au moindre détail d’un vêtement : la facette sociologue de Max Izambard est des plus minutieuses : « La nuit bruissait d’activités. Ils s’assirent sur le banc et écoutèrent la ville parler, maudire, rugir, baiser, saigner, parier, perdre, gagner, klaxonner d’impatience, émettre tous les bruits imaginables, sauf ceux du repos ».

Certes, le mot « roman » est clairement affiché par Izambard, le mot d’enquête – c’en est pourtant une, et des plus complètes – aurait été, suppose-t-on, une exposition dangereuse pour l’auteur. Mais, la cible est parfaitement atteinte, ce qui donne encore une dimension de plus à ce livre à multiples facettes.

A coup sûr, un très grand livre que ce premier roman des plus prometteurs.


Martine L Petauton


Max Izambard a vécu plusieurs années en Ouganda.


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A propos du rédacteur

Martine L. Petauton

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Rédactrice

 

Professeure d'histoire-géographie

Auteure de publications régionales (Corrèze/Limousin)